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À La Une - Exposition

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, interlocuteurs de l’image

« How soon is now », qui rassemble le travail ample et diversifié de Joana Hadjithomas et de Khalil Joreige, s’affiche en grand à l’initiative de Ashkal Alwan et de Solidere jusqu’au 20 avril au « Beirut Exhibition Center ».*

Reconstruire Beyrouth à sa manière.

« Ce n’est nullement une rétrospective, commence par souligner Joana Hadjithomas, mais un cumul de différentes installations, œuvres photographiques, vidéos, ou même des objets qui se sont développés et ramifiés de 1997 à 2012. Un corps d’œuvres résumant notre conception personnelle de l’art. »


Complémentaires à la ville comme au travail, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige n’ont eu de cesse de sonder l’amplitude, la magnitude et la puissance de l’image. Comme une immense condensation de leurs réflexions (toujours positives !), les deux artistes ont installé leur chantier achevé, mais cependant en perpétuelle construction, et l’ont consolidé, laissant des fenêtres grandes ouvertes à d’autres projets qui pourraient s’en nourrir au futur.


« Cette exposition, disent-ils de concert, est une tentative pour redonner à la photo son pouvoir premier. Nous sommes agressés tous les jours par un flot de clichés formatés et non significatifs. Nous avons donc essayé de retrouver contre ce flux invasif l’émotion originaire de la photo et sa poétique. »

Le pouvoir de l’image
Peut-on redéfinir et percevoir une ville en évolution ? Donner forme à son développement social et humain ? Comment reproduire son image réelle et non fétichisée ? Par ailleurs, comment mesurer d’une manière photographique le temps présent, réel ? Illustrer cette image-temps qui rompt avec l’habitude et fait entrer le personnage dans la dimension temporelle, « un morceau de temps à l’état pur », dira Gilles Deleuze.


Dans une première série de travaux, Le Cercle de confusion, Équivalences et Bestiaires (1997), Images Latentes (1997-2006) et 180 secondes d’images restantes (2006), les artistes deviennent chroniqueurs de la ville et de ses habitants à travers des zones de la mémoire et des « nappes de passé » qui se concentrent et convergent dans des « pointes de présent ». « Ce travail se compose de tentatives différentes de raconter notre présent dans la ville de Beyrouth », affirme Joana Hadjithomas. Pour reprendre Lacan, « Beyrouth n’existerait pas en tant que concept unique ».

 

Et Khalil Joreige d’ajouter : « Il n’y en a pas une seule, mais plusieurs. On ne doit plus fétichiser la capitale libanaise et en faire soit une femme séductrice, soit une pleureuse. Beyrouth c’est celle que nous construisons tous. À l’instant même. »


Ainsi, dans Le Cercle de Confusion, image aérienne de Beyrouth divisée en 3 000 fragments collés à un miroir, chaque visiteur est invité à choisir un morceau de la carte. Prise à part, cette image fragmentée aura une signification différente alors que l’ensemble, projeté ailleurs, sera interprété différemment. Une interaction s’établit ainsi entre le spectateur et l’œuvre. Destructions, reconstructions et même soustractions d’images sont le thème de cette série de travaux qui réinterprètent l’histoire personnelle ou collective, à l’exemple de ces 180 secondes d’images retrouvées dans la caméra d’une personne disparue, ou même de la vidéo Barmeh où Rabih Mroué parle de Beyrouth sans que la ville n’apparaisse, ou encore ces images latentes où des pellicules non développées recèlent un imaginaire abondant.

Hommage aux rêveurs
Dans un second temps, le tandem est parti à la découverte de projets libanais futuristes et ambitieux nés dans les années 60, destinés à placer le pays sur la plaque tournante internationale. Hadjithomas et Joreige ont exploré l’odyssée de la « Lebanese Rocket Society », ce programme spatial qui a pris naissance à l’Université Haïgazian, à l’initiative de Manoug Manougian, et par la suite avorté, voire enterré. Après être allés à la genèse de ce projet, ils vont suivre toutes les démarches de fabrication, reproduire « Cedar » (le nom de la fusée) grandeur nature, la transporter à travers la ville et exploiter tout ce que ce projet a engendré comme rencontres nouvelles, ici ou aux États-Unis. Dans cette épopée, ils iront à la prospection d’un autre projet qu’ils développeront grâce à Missak Keleckian et qu’ils baptiseront « Carpet ».


« La conquête de l’espace était un rêve pour l’humanité et le pays du Cèdre y a largement contribué. Pourquoi ce rêve s’est-il donc arrêté ? s’interrogent les artistes, et pourquoi ce projet si constructif n’est-il pas inscrit dans nos mémoires ? C’est ce qu’on a voulu savoir en suivant toutes les étapes. » Qu’est-ce que l’humain enregistre comme informations et qu’est-ce qu’il rejette ? Dans d’autres expériences, ils interrogeront également les pouvoirs de la mémoire sensorielle. À l’instar de cette petite vidéo réalisée lors de la grossesse de Joana Hadjithomas.


Enfin, que dire de cette mémoire auditive que le couple reconstituera à travers des sons et des musiques d’une époque, compilés sur un grand disque d’or. Autant de tentatives diverses qui témoignent de la créativité de ces talents multidisciplinaires et de leur désir d’archiver les moments actuels. « C’est le présent qui nous intéresse, précise Joana Hadjithomas. Non une nostalgie passive, mais une trace active non mémorielle au service de l’histoire. C’est bien cette histoire qui redéfinit une ville en évolution. »


« How soon is now » est sans aucun doute un hommage aux rêveurs, à ceux-là mêmes qui traduisent leurs rêves par des actions. Axé sur une intervention active dans le réel, ce travail totalement au service de l’art rend le spectateur acteur et l’invite à rejoindre les créateurs dynamiques sur cette plateforme artistique bien
vivante.


L’image a une puissance phénoménale. En essayant de la détourner, de la magnifier, de l’additionner et même de la soustraire pour comprendre toutes ses multiples facettes, le couple Hadjithomas-Joreige s’est engagé dans une aventure visuelle qui transgresse toute limite.

* Beirut Exhibition Center, jusqu’au 20 avril, tous les jours de 11h à 18h.

« Ce n’est nullement une rétrospective, commence par souligner Joana Hadjithomas, mais un cumul de différentes installations, œuvres photographiques, vidéos, ou même des objets qui se sont développés et ramifiés de 1997 à 2012. Un corps d’œuvres résumant notre conception personnelle de l’art. »
Complémentaires à la ville comme au travail, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige...

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