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Culture - Découverte

Tête-à-tête poético-musical entre el-Rass et Munma

Ce soir, au Metro el-Madina*, soirée de lancement du numéro huit de la série « Ruptured Sessions », un joyau de CD intitulé « Kachf el-Mahjoub/Unveiling the hidden » (dévoiler l’inhérent), ou l’alliance heureuse du verbe (coup de gifle et oh combien électrique) de Mazen el-Sayed, alias el-Rass, et de la musique électronique de Jawad Nawfal, alias Munma. Amateurs de rap de l’extrême, prenez place.

Mazen el-Sayed, au micro assassin, et Jawad Nawfal, au mixeur electronique. Photo Tanya Traboulsi

D’une belle voix profonde, gutturale, Mazen el-Sayed martèle ses phrases. Ses poèmes, en arabe littéral pour la plupart, mais certains en libanais parlé, sont scandés sur un tempo rapide, avec une attention particulière portée à la prononciation. Le verbe abrasif s’accompagne de sonorités électroniques et autres bidouillages bien maîtrisés, plus ou moins marqués. Ces plages de silences laissant à la prose d’el-Sayed tout le loisir de s’incruster dans les tympans de l’auditeur qui n’en sort pas indemne. L’écriture engagée de ce jeune poète et journaliste (au quotidien as-Safir), diplômé des universités parisiennes en maths, finances et économie, dresse un véritable état des lieux social, culturel et politique d’une époque détraquée, la nôtre, bien évidemment, avec charisme et brutalité. Témoigner, réunir et dénoncer poussent ce jeune homme – qui porte sagement lunettes, barbe et pull à col en V – hors de lui-même, affûte ses mots, souffle sur la braise de ses propos. Son art est stimulé par cette incandescence. Résultat : une technicité et des textes sans concession qui laissent une marque indélébile dans un paysage musical anamorphe et lassant de similitude.


Jawad Nawfal, alias Munma, son complice musical sur ce CD, dit avoir cherché « par tâtonnement », les sons qui épousent le mieux ces rimes. Au verbe acide, musique électronique, électrique, tantôt vibrionnante, tantôt apaisante. L’on note également la participation d’un mixeur de nationalité française, Cédric, dont la patte de velours a
tripatouillé trois morceaux des 12 de l’album.

Une tête bien remplie
Il avait 11 ans, Mazen el-Sayed, lorsqu’il a composé ses premiers poèmes. « Des poèmes en forme de questionnement, adressés aux sionistes, leur demandant pourquoi ils sont en train de commettre toutes ces atrocités et ces injustices en Palestine. » Précoce, l’enfant ayant grandi dans un Tripoli en effervescence, une enfance marquée par l’absence du père (vivant en clandestinité pour des raisons politiques) et l’exigence d’une culture rigoureuse sans concessions ? « J’ai beaucoup lu, des ouvrages à la pelle, dont je ne comprenais pas toujours le sens. Mais j’étais obsédé par l’histoire, par l’accumulation d’images, de références. Je rêvais de devenir archéologue en grandissant. »


L’écriture s’est alors imposée à lui comme « un mode de résistance automatique », vis-à-vis de toutes ces contradictions qui l’entouraient, ces mondes si différents qu’il côtoyait au quotidien, à la maison, à l’école, dans la rue et à la télévision. « Lorsque tu n’arrives pas à parler de ta propre souffrance, tu parles de celle de ton proche, pour y projeter la tienne », explique le jeune homme en soufflant la fumée de sa cigarette. Avec cette même lucidité, el-Sayed affirme ne pouvoir se défaire de deux traits qui lui collent à la peau : la rigueur, « je ne peux pas permettre de dire n’importe quoi. L’expression doit être fondée sur une opinion » ; et le mépris le plus total face à la banalité, à la superficialité. « Je ne vois pas les choses comme positives ou négatives. Ma mesure des choses, c’est la quantité, la sincérité qu’il y a dans l’approche. »


C’est cette philosophie-là, cette « méthodologie de la pensée », qui sous-tend ses écrits. Ses révoltes. Ses cris de rage et de haine face aux faux-semblants, au mercantilisme ambiant, à l’usurpation de la religion, à la pourriture politique et à la corruption sociale. Alors il dit non, il refuse, il accuse, il met en doute, il dénonce. Il laisse libre cours à son indignation. À son angoisse nihiliste, à sa colère, à sa révolte, à son refus d’accepter un monde inhumain. Il parle en son nom. « Mais certaines chansons ne sont pas autobiographiques », souligne avec un sourire narquois ce poète à la formule assassine.


Mazen el-Sayed a plaqué son boulot dans la finance à Paris pour suivre une petite voix intérieure qui l’a conduit à Beyrouth. Mais il ne regrette pas « cette période parisienne de ma vie où je suis allé à contresens de mon intuition... J’ai développé des choses qui m’ont énormément enrichi. Cela a permis à ma poésie, à mes textes et à ma rythmique de se développer d’une façon complètement naturelle. Non forcée par un processus de marché ». Jusqu’au moment où à cause d’une « conjoncture, individuelle, psychologique, politique », une rencontre avec Munma l’a guidé vers cet album qui est venu très rapidement et très naturellement.


Mais qu’est-ce qui a inspiré le titre de l’album ? « Dans la philosophie agnostique des druzes, il y a la dualité entre l’apparent et l’inhérent, ou l’essentiel. À chaque fois que l’on dépasse l’apparent, on enlève un voile qui nous sépare de l’essentiel. L’inhérent devient apparent. Et l’on a un autre voile à dépasser... »


Violente, honnête, intuitive, hermétique et complexe, la poésie de Mazen el-Sayed est merveilleusement bien accompagnée, rythmée, par la musique de Jawad Nawfal. Une heureuse collaboration à écouter en boucle pour en appréhender les multiples niveaux.

*Immeuble Saroulla, à 21h, Hamra. Entrée à 20 000 LL comprenant le prix du CD.
Avec RadioKVM, Caroline et Munma. Informations au 01/753021.
www.rupturedonline.com

D’une belle voix profonde, gutturale, Mazen el-Sayed martèle ses phrases. Ses poèmes, en arabe littéral pour la plupart, mais certains en libanais parlé, sont scandés sur un tempo rapide, avec une attention particulière portée à la prononciation. Le verbe abrasif s’accompagne de sonorités électroniques et autres bidouillages bien maîtrisés, plus ou moins marqués. Ces plages de...

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