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Nos Lecteurs ont la Parole

Ainsi naissent les superhéros

Hala MOUBARAK
Nés en 1978, 1980, 1982... entre deux temps, quelques mois avant, quelques mois après. Nés entre deux guerres, ou même trois. Je compte. Entre deux cessez-le-feu, deux moments de répit. Inspirer, expirer, rejeter du dioxyde de carbone, le carbone des canons. Nés entre deux discours de personnes qui se déchirent pour un pouvoir ; celui de régner sur un pays. Un pays qu’ils détruisent pour ce pouvoir. Satanée manie de vouloir être sur un siège en velours.
Nés entre deux invasions, deux gouttes de pluie. Nés en temps de guerre. Enfants de la guerre. Dans une cage d’escalier, un hôpital sans fenêtres, un dispensaire de campagne.
Enfance ratée, malgré l’invention de bêtises à petite échelle. Enfance de coups de fusil, d’escapade à dix milles lieues sous terre au lieu de voir le beau du pays. Enfance de cris, de larmes, de peur. D’éducation bâclée en primaire qui sera rattrapée plus tard, avec la paix. Peur des feux d’artifice, des fusils de chasse. Séquelles... Passage en secondaire. Baccalauréat. Études universitaires. Avocat comme papa, ingénieur parce que mes parents le veulent. Métier libéral. Polytechnicien. Début d’un avenir. Diplômes, hautes études, un intellect que l’on trimbale en baluchon face à des salaires tous petits, tous ronds, quasi inexistants. Début de dettes. Cycles vicieux sans fin. Exil. Et l’on se dit que l’on ira pour quelques années, juste pour revenir et faire quelque chose au pays, pour le pays.
Désert... Solitudes... Amis de passage. Aucun point d’ancrage. Tout est éphémère, même le compte en banque que l’on s’efforce de maintenir. Même le canapé du salon acheté chez Ikea. Là-bas, crise économique, chute des prix du pétrole, retour au bercail. Petites économies. Grands espoirs, immenses espérances. Chômage entre deux à six mois. Remise en question. Trop qualifiés pour un marché artisanal, familial, corrompu. Silence.... Trouver une solution, n’importe laquelle. Se satisfaire du peu. Retour aux dettes et aux prêts personnels. Petits boulots ou gros titre sur une carte de visite, mais toujours des fins de mois de survie.
Embouteillage du matin, embouteillage de midi, embouteillage du soir. Insultes, injures, crise de nerfs, prescription pour une boîte d’antidépresseurs que l’on ne prendra jamais. Situation politique dérisoire. Prise de position et d’opposition. Plus rien n’a de sens. Bataille d’intérêts et de désintérêts entre celui qui nous est revenu de Paris avec de la folie en plus et celui qui pointe du doigt comme pour nous faire la leçon. Leçon d’histoire. Les mêmes. Le retour aux guerres. Israël, ennemi, pays voisins, peur aux tripes. Politique encore, les fils à maman et les fils à papa qui s’installent. Politique héritée, prolongement familial, statut par procuration. Quelques femmes qui se taisent au sein d’un Parlement démuni de toute idéologie. Fanatisme, celui de la religion aux grandes idées dérisoires. Se cacher derrière des mots comme la Résistance, le combat. Commencer à mépriser l’autre, celui avec la croix ou celle avec le voile. Oublier notre bagage intellectuel, devenir crétin à son tour. Grandes utopies jetées, comme on jette une partie de soi dans une cuvette de toilettes. Se borner à vivre dans un semblant de quotidien. Suivre le troupeau. S’abrutir. Lire Murakami en cachette, et soutenir des discussions incohérentes qui développent en long et en large la soirée de la veille. Ridicule.
Supporter ce quotidien. Se réfugier dans l’écriture. Être une petite centaine à défendre une cause, le droit des femmes à la nationalité, non à la violence conjugale. Quelques centaines parmi des centaines de milliers. N’importe quoi puisque plus rien n’a d’importance. Quotidien léthargique. État comateux. Cherté de vie en crescendo. Et l’on s’adapte. Embouteillage encore, tempête de pluie, coupures d’électricité, immeuble qui s’écroule. Demain tout sera oublié. C’est le mythe d’un pays qui ne cesse de se mentir à lui-même. Élections. Toujours les mêmes. Le mythe de l’éternel retour. Vote blanc, mais quelle différence, puisque les centaines de milliers votent pour les deux mètres carrés d’asphalte. Pareil. Abrutir un peuple. Le vendre pour quelques dollars. Pareil. Tout est pareil. La vie de mon père ou la mienne. Identiques. Effet miroir.
Sourire narquois...
1978, 1980, 1982... Entre ces années, un peu avant ou un peu après. Nés entre deux guerres, ayant vécu consciencieusement la guerre de 2006, entre deux souffles coupés, entre deux attentas injustes. Nés au Liban et fiers d’être Libanais.
À vous, vous qui êtes ces petites centaines de personnes face aux milliers de centaines. À vous, enfants de la guerre, à l’intellect débordant de vitalité, d’idées et de rêves. À vous, Libanais, survivants, superhéros... Je vous salue !

Hala MOUBARAK
Nés en 1978, 1980, 1982... entre deux temps, quelques mois avant, quelques mois après. Nés entre deux guerres, ou même trois. Je compte. Entre deux cessez-le-feu, deux moments de répit. Inspirer, expirer, rejeter du dioxyde de carbone, le carbone des canons. Nés entre deux discours de personnes qui se déchirent pour un pouvoir ; celui de régner sur un pays. Un pays qu’ils détruisent...

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