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La diplomatie au féminin

Spécialiste des missions difficiles, Frances Guy veut voir les droits des femmes respectés

Les femmes chefs de missions diplomatiques à Beyrouth œuvrent pour porter le dossier des droits des Libanaises devant les hommes politiques du pays. C'est ce qu'a indiqué l'ambassadrice du Royaume-Uni, Frances Guy, lors d'un entretien avec « L'Orient-Le Jour ». Cet article est publié dans le cadre d'une série d'interviews effectuées avec les femmes ambassadeurs en poste au Liban.

En 1985, elle était la première femme cadre politique au service Moyen-Orient du Foreign Office.

Frances Guy n'est pas une femme commune. L'ambassadrice du Royaume-Uni au Liban est une spécialiste des missions difficiles. Son parcours en est la preuve. Son grand sourire, son sens de l'humour et sa modestie ne l'empêchent pas d'être une femme au caractère bien trempé.
Passionnée par son métier, elle confie : « En matière de politique étrangère, mieux vaut être là où il y a un conflit. » Pour cette femme diplomate, ce sont « les postes difficiles qui donnent le plus de satisfaction ».
L'ambassadrice de Grande-Bretagne, qui a la fibre bien féministe, souligne qu'il « ne faut pas exagérer en disant que « la diplomatie devient un métier de femme ». En général, dans les sociétés européennes, il y a plus de femmes qui font ce métier qu'il y a vingt ans, comme il y a plus de femmes dans les conseils d'administration et dans le monde politique. Cela reflète un changement général et n'est pas particulier à la diplomatie.
Évoquant les statistiques relatives à l'administration au Royaume-Uni, elle note qu'au Foreign Office ainsi qu'aux postes managériaux dans divers services, le nombre des femmes ne correspond pas aux buts fixés par le gouvernement.
Passionnée d'histoire et vouant une admiration pour la reine d'Écosse, Mary Stuart, elle ajoute dans ce cadre que son pays a connu d'importantes femmes diplomates dans le passé. Au XVIe et au XVIIe siècle, la Grande-Bretagne avait des femmes consuls à Vienne, à Genève et dans d'autres capitales européennes. Au XIXe siècle, nous avions aussi des orientalistes femmes, explique-t-elle.
Elle met également l'accent sur l'avenir, notant qu'il y aura davantage d'exemples à suivre dans le monde politique et dans la diplomatie, car de plus en plus de femmes deviennent chefs de gouvernement et ministres des Affaires étrangères.
Frances Guy ne parlera jamais spontanément de sa réussite. Travaillant dans un milieu dominé par les hommes, elle a probablement appris à ne pas claironner ses succès pour rester rassurante. Passer sa réussite sous silence quand on est une femme est aussi bien une habitude de la société britannique qu'une particularité féminine, dit-elle, ajoutant que « même si elles ont confiance en elles-mêmes, les femmes hésitent à se présenter à des postes de responsabilité et ne sont pas aussi douées que les hommes pour faire leur propre publicité ».

Le seul cadre femme
L'ambassadrice du Royaume-Uni au Liban a été chargée depuis le début de sa carrière de missions difficiles. Après avoir été en poste à Khartoum, en Thaïlande et en Éthiopie, elle a été nommée pour la première fois ambassadeur au Yémen, un pays hostile aux femmes. Elle était la seule femme chef de mission du corps diplomatique à Sanaa. Elle a ensuite été nommée à Beyrouth en octobre 2006.
Frances Guy se souvient de son premier poste au département du Moyen-Orient en 1985, où elle était le seul cadre politique féminin. « Mon patron m'avait prévenue que le chef du département aurait du mal à traiter avec un femme cadre car il ne l'avait jamais fait auparavant. À l'époque, le personnel féminin qui travaillait dans ce département comprenait soit des secrétaires, soit des dactylos », note-t-elle. Aussi, a-t-elle réussi à relever le défi. « Les hommes étaient plus intimidés que moi », dit-elle dans un éclat de rire.
L'ambassadrice estime qu'il est difficile de savoir si le fait d'être une femme diplomate constitue un avantage ou pas. Elle note dans ce cadre que « chaque personne amène un style différent à la diplomatie. On peut sans doute généraliser en disant que les femmes sont des adeptes de la paix. Après tout, ce sont elles qui donnent naissance aux enfants et qui protègent les générations futures. Elles sont portées donc naturellement à éviter les conflits et c'est bien cela la diplomatie : éviter les conflits. »
« Les femmes travailleront donc plus fort pour éviter les conflits... Mais peut-être que, dans certaines situations, ce n'est pas la meilleure chose à faire », s'empresse-t-elle d'ajouter.
Frances Guy met l'accent sur les propos tenus par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, lors de la Journée mondiale de la paix, en octobre dernier. Il avait spécifiquement appelé à la participation des femmes au maintien de la paix et à la prévention des conflits.
À la question de savoir si les femmes diplomates traitent certains dossiers différemment, l'ambassadrice prend l'exemple du Yémen, où elle était chef de mission. « Comme ici et comme dans d'autres parties du monde, les femmes sont généralement impliquées dans des actions sociales, traitent avec les plus démunis et s'intéressent aux dossiers des droits de l'homme. Comme j'étais plus exposée à ces dossiers, j'en avais parlé beaucoup plus sur le plan officiel. Certes, ces thèmes font partie de la politique européenne, mais peut-être parce que les ambassadrices sont plus en contact avec d'autres femmes qui s'occupent de ces dossiers. Elles les soulèvent donc publiquement, plus que les hommes. »

Les droits des femmes
La diplomate, qui a appris à se battre dans un monde d'hommes, surtout qu'elle a été en poste dans des pays à prédominance musulmane, souligne en réponse à une question qu'il « est inévitable, dans ces pays, d'être traitée d'une façon différente des hommes. Les femmes ont à se prouver afin qu'elles puissent être prises au sérieux, le travail devient donc plus difficile ». « Il est plus facile de se positionner en tant que différente, mais il est difficile d'être prise au sérieux », poursuit-elle.
Frances Guy a fait des droits des femmes l'un de ses principaux chevaux de bataille. Dans un blog relevant du Foreign Office et auquel elle contribue régulièrement, elle a un sujet de prédilection : les dossiers concernant les femmes. « D'ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles j'ai été initialement sélectionnée pour écrire dans ce blog était parce que je suis une femme ambassadeur en poste dans le monde arabe et que, jusqu'à présent, nous n'avons pas assez d'ambassadrices au Foreign Office », explique-t-elle.
« Avant mon départ de Sanaa, les hommes politiques yéménites se moquaient de moi parce que je soulevais tout le temps le dossier des droits des femmes et le rôle qu'elles devraient jouer dans la politique », ajoute-t-elle.
Évoquant son expérience de femme ambassadeur au Yémen, Frances Guy raconte qu'elle était la troisième femme ambassadeur nommée à Sanaa. « Il y avait eu avant moi une ambassadrice américaine et une ambassadrice allemande, mais nous n'étions pas en poste en même temps », dit-elle.
« Il n'y a pas de problèmes à exercer le métier d'ambassadeur au Yémen quand on est une femme, pourtant parfois la tâche était difficile. Mais j'étais traitée très correctement. Le problème se posait durant les réceptions et les occasions sociales, car les hommes et les femmes sont séparés », dit-elle. Elle se souvient en détail d'une réception à laquelle elle avait été invitée. « C'était une réception pour mâcher du kat. Ce genre d'occasion sociale est particulièrement très compartimenté. Je suis entrée dans une salle où il y avait une soixantaine d'hommes. L'hôte m'avait invitée parce que j'étais l'ambassadeur de Grande-Bretagne. J'ai traversé la salle, soixante hommes était assis par terre et je savais que 90 % d'entre eux ne voulaient pas de moi dans cette réception », affirme-t-elle.
Elle se rappelle aussi du secrétaire général du parti yéménite al-Islah. « Il avait été critiqué par la presse parce qu'il m'avait serré la main. Lors d'un deuxième entretien, il avait tenu encore une fois à me serrer la main devant la presse. Cet homme m'avait expliqué : "Je veux montrer à tous qu'en me rendant visite vous êtes en train de me respecter et de prendre mon parti au sérieux ". »
Frances Guy n'apprécie pas qu'on ne lui serre pas la main et ne supporte pas le fait qu'on ne la regarde pas dans les yeux parce qu'elle est une femme. Elle avait vécu cette expérience à Khartoum, après le coup d'État mené par le Front islamique. « Certains hommes que je connaissais ne voulaient plus me serrer la main et regardaient le sol en me parlant », raconte-t-elle. Attachée politique auprès de l'ambassade à l'époque, elle avait recommandé à son départ qu'elle ne soit pas remplacée par une femme. Mais c'est sa mission au Soudan qui lui avait donné envie de continuer sa carrière en optant pour les missions difficiles.

Changement dans l'attitude des hommes politiques
La diplomate parle de son expérience au Liban. En poste à Beyrouth depuis 2006, elle souligne qu'elle a vu, au fil des ans, un changement dans l'attitude des hommes politiques vis-à-vis des ambassadrices, surtout que le corps diplomatique compte des chefs de mission de pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Allemagne et l'Union européenne. « Les hommes politiques libanais ont changé avec le temps », déclare-t-elle.
« Comme il n'y a pas beaucoup de femmes dans la vie politique libanaise, les responsables ne sont pas habitués à traiter les femmes en tant qu'égales dans leur vie professionnelle. Ils sont ensuite confrontés à des ambassadrices qui représentent des pays importants pour les relations bilatérales. Avec les années, ils ont appris à mieux traiter avec elles. Ils ont changé d'attitude ; d'un peu condescendants - comme ils le sont avec leurs propres épouses - ils commencent à avoir un véritable échange avec les femmes ambassadeurs », explique-t-elle.
Évoquant la situation des femmes au Liban, elle confie : « Dans ce pays d'opportunités, ouvert sur plusieurs plans, il est frustrant de ne pas voir des femmes impliquées dans le domaine politique. »
Elle affirme que les ambassadrices en poste au Liban ont décidé d'un commun accord d'évoquer avec les hommes politiques le dossier des droits des femmes dans le pays, notamment leur représentation au Parlement, le dossier des quotas et la loi relative à la nationalité.
« Le Liban a signé des conventions internationales garantissant l'égalité entre les hommes et les femmes, mais il n'est pas en train de respecter les clauses de ces accords. Nous n'avons pas eu trop d'impact jusqu'à présent, mais nous allons continuer à travailler. Nous sommes une dizaine de femmes chefs de missions c'est vrai, mais il faut compter sur notre efficacité », dit-elle enthousiaste.
Mère de trois enfants, l'ambassadrice de Grande-Bretagne ajoute qu'il faut organiser le travail de façon à ce que tous, les hommes comme les femmes, puissent exercer leur métier.
À la question de savoir si ses missions diplomatiques étaient faciles avec la présence de ses enfants, elle souligne qu'être diplomate n'est pas différent du fait d'exercer un autre travail sérieux à Londres. Mais, avec la diplomatie, il faut compter avec le déplacement de toute la famille, indique-t-elle, notant qu'elle a choisi cette option. « Mes enfants ont beaucoup appris. Ils ne savent pas répondre quand on leur demande où se trouve leur " chez-soi " ou d'où ils sont originaires. Ils disent notre mère est anglaise, notre père français et nous avons vécu dans plusieurs pays du monde », souligne-t-elle en conclusion.
Frances Guy est une grande sportive, et l'un de ses passe-temps favoris est la course à pied. Elle a participé à plusieurs reprises au marathon de Beyrouth. L'été dernier, elle avait pris part au triathlon de Tyr, une idée lancée par un groupe d'Européens et comprenant des compétitions de cyclisme, de natation et de course à pied. Elle aime en outre l'écriture et l'histoire.
Elle aurait opté pour le métier d'académicienne, si elle n'avait pas choisi la carrière diplomatique.
Frances Guy n'est pas une femme commune. L'ambassadrice du Royaume-Uni au Liban est une spécialiste des missions difficiles. Son parcours en est la preuve. Son grand sourire, son sens de l'humour et sa modestie ne l'empêchent pas d'être une femme au caractère bien trempé. Passionnée par son métier, elle confie : « En matière de politique étrangère, mieux vaut être là où il y a un...