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La diplomatie au féminin - Affaires étrangères

Chef de mission : la diplomatie se féminise

Elles sont dix ambassadrices actuellement en poste à Beyrouth, quinze si l'on compte aussi les représentantes d'organisations onusiennes au Liban.

Maura Connelly, États-Unis.

Certes, le nombre n'est pas important si l'on prend en considération les missions diplomatiques présentes dans le pays. Il n'empêche que le métier se féminise et que certaines ambassadrices en poste à Beyrouth appartiennent à des pays incontournables dans la politique internationale.
L'Orient-Le Jour publiera une série d'interviews de femmes ambassadeurs en poste au Liban. Elles évoqueront leur métier, leur parcours et leur expérience au sein du corps diplomatique de leur pays.
Ces femmes, ou du moins celles que nous avons rencontrées jusqu'à présent, ont beaucoup de points communs : leur force de caractère, leur sensibilité aux dossiers concernant les femmes et leur sens de l'humour. Elles abordent simplement leur interlocuteur, mettent rarement en avant leurs compétences et parlent avec passion de leur métier.
Actuellement donc, dix missions diplomatiques à Beyrouth ont à leur tête des femmes. Il s'agit - par ordre de présentation de lettres de créance - des ambassadrices du Venezuela Zoed Karam Duaiji, du Royaume-Uni Frances Guy, d'Autriche Eva Maria Ziegler, d'Allemagne Birgitta Siefker-Eberle, de Colombie Rida Mariette Aljure Salamé, du Pakistan Ranaa Rahim, du Canada Hilary Childs-Adams, des États-Unis Maura Connelly, de Suisse Ruth Flint-Ledergerber et de l'Union européenne Angelina Eichhorst.
Les cinq femmes représentantes d'organisations onusiennes au Liban sont Marta Ruedas pour le PNUD, Nada Nachef pour le bureau régional de l'OIT, Rima Khalaf secrétaire générale de l'Escwa, Ninette Kelley pour l'UNHCR et Annamaria Laurini pour l'Unicef.
Elles se disent toutes satisfaites du fait que le métier se féminise, mais notent que des progrès restent encore à faire. Celles qui sont déjà en poste à Beyrouth sont contentes de voir arriver de nouvelles consœurs venues présenter leurs lettres de créance.
D'ailleurs, elles ont constitué un réseau d'amitié entre elles. Une fois par mois, généralement les mardis, elles se réunissent autour d'un déjeuner pour discuter, échanger des points de vue et évoquer la situation au Liban, notamment celle des dossiers relatifs aux droits des femmes.
L'ambassadrice du Pakistan, Raana Rahim, explique : « J'étais très agréablement surprise à mon arrivée de voir un groupe de femmes ambassadeurs. Nous sommes devenues amies. Durant nos réunions, nous discutons du Liban, notamment des dossiers des femmes dans le pays, nous parlons d'un large éventail de sujets. Assez souvent, nous invitons une personnalité ou un responsable de la société civile et nous essayons de voir comment nous pouvons aider. »

Changement des habitudes
Évoquant les liens tissés, elle souligne que « l'ancienne ambassadrice de Norvège, Lise Norheim, qui a achevé sa mission au Liban l'année dernière, avait relevé avant de partir que l'un des points les plus positifs de sa mission était d'avoir connu le groupe que nous constituons. Nous ne nous posons pas en compétitrices et nous nous entraidons ».
Ces femmes ambassadrices, même si elles ne le reconnaissent pas d'emblée, ont eu à relever beaucoup de défis, à travailler plus dur que les hommes, pour pouvoir s'affirmer et prouver leurs compétences. Et si elles ont été nommées chefs de mission dans un pays considéré difficile comme le Liban, c'est qu'elles ont réussi leur pari.
Au début de sa carrière, quand elle avait commencé à travailler en 1985 au département du Moyen-Orient au Foreign office, l'ambassadrice du Royaume-Uni, Frances Guy, était la seule femme cadre politique de cette section. « On m'avait prévenue que le chef du département aurait des problèmes à traiter avec un cadre femme, car il ne l'avait jamais fait auparavant. Les choses ont bien changé depuis », raconte-t-elle.
L'ambassadrice du Canada, Hilary Childs-Adams, a eu plus de chance. « En 1980, je faisais partie du premier groupe comptant un nombre égal de femmes et d'hommes. Mais c'était difficile de travailler avec un mentor masculin. Il était généralement admis qu'un senior soit le mentor d'un homme, mais pas d'une femme, en raison de l'aspect plus délicat de la relation. Mais ce n'est plus le cas depuis au moins 20 ans », dit-elle.
Plusieurs années plus tard, Frances Guy a occupé son premier poste d'ambassadeur au Yémen. Elle était la seule femme chef de mission diplomatique durant son mandat dans ce pays. Avant cela, elle avait travaillé au Soudan, en Éthiopie et en Thaïlande.
Quant à Raana Rahim, la première fois qu'elle a été nommée ambassadeur, c'était dans un pays difficile pour une femme : le Turkménistan. Elle avait une seule consœur : l'ambassadrice des États-Unis.
L'ambassadrice du Canada Hilary Childs-Adams, l'ambassadrice d'Autriche Eva Maria Ziegler et l'ambassadrice de Colombie Rida Mariette Aljure Salame, qui est d'origine libanaise, occupent à Beyrouth leur premier poste de chef de mission diplomatique. Mmes Rahim et Childs-Adams ont elle-mêmes choisi de venir au Liban.
« À Beyrouth, les responsables politiques nous traitent selon la qualité des relations qui existent entre le Liban et notre pays », souligne l'ambassadrice du Pakistan.
Frances Guy, qui est l'une des premières ambassadrices à être nommées au Liban et qui est en poste à Beyrouth depuis 2006, met l'accent sur le changement positif de certains responsables politiques vis-à-vis des chefs de missions diplomatiques femmes. « J'ai vu le changement au fil des ans. Il n'y a pas beaucoup de femmes dans la vie politique libanaise, les hommes politiques n'y sont donc pas habitués. Puis ils sont confrontés à des femmes diplomates qui représentent des pays importants pour les relations bilatérales. Avec les années, ils ont appris à mieux traiter avec elles. Ils ont même changé d'attitude, d'un peu condescendants, ils commencent à avoir actuellement un véritable échange avec elles. »
Ce changement s'est surtout opéré quand des pays membres permanents du Conseil de sécurité ont nommé des ambassadrices au Liban, notamment la Grande-Bretagne qui a chargé Frances Guy de l'ambassade à Beyrouth et les États-Unis qui ont remplacé Michelle Sison, il y a quelques mois, par Maura Connelly.

S'acquitter de plusieurs tâches
Les chefs de missions diplomatiques femmes œuvrent aussi pour qu'un changement s'opère dans les conditions de vie des femmes au Liban. D'ailleurs, toutes sans exception connaissent les lois discriminatoires à l'encontre des femmes, et ont décidé d'évoquer avec les responsables ces dossiers, notamment la question des quotas féminins et la loi relative à la nationalité. « Nous ne sommes peut-être pas nombreuses, mais il faut nous compter par rapport notre efficacité », affirme Frances Guy.
Les femmes ambassadeurs sont-elles plus efficaces que les hommes, ont-elles d'autres qualités ? Celles qui sont en mission au Liban savent en tout cas que les compétences ne dépendent pas de l'appartenance sexuelle des individus. Pourtant, elles estiment que les femmes sont davantage portées vers la paix et tentent d'éviter les conflits, qu'elles sont plus attentives à l'équipe qui travaille avec elles et qu'elles peuvent accomplir plusieurs tâches en même temps.
Comme toutes les femmes qui poursuivent des carrières, les chefs de missions diplomatiques doivent gérer leur temps entre la famille et le travail. La tâche n'est pas souvent facile, surtout quand leurs enfants sont en bas âge.
Hilary Childs-Adams parle de sa propre expérience, notant que durant toute sa carrière, elle n'a pris en tout que cinq fois son congé pour pouvoir s'occuper de ses enfants. Eva Maria Ziegler souligne de son côté qu'il y a encore beaucoup à faire dans plusieurs pays européens pour faciliter la vie aux femmes qui ont des enfants et qui comptent poursuivre leur carrière.
Mais aussi, parfois les femmes chefs de missions diplomatiques font un travail supplémentaire, celui qui incombe normalement à l'épouse d'un ambassadeur.
« Il est difficile d'être en même temps femme ambassadeur et maîtresse de maison », note Hilary Childs-Adams, ajoutant que « traditionnellement, il y a des tâches qui doivent être remplies par l'épouse d'un ambassadeur. Par exemple organiser une réception aux conjoints des diplomates canadiens en poste à Beyrouth. En arrivant au Liban, je n'ai pas voulu mettre un terme à cette habitude et je me suis occupée moi-même de la réception ».
Raana Rahim va dans le même sens et évoque une interview qu'elle a donnée « sur les traditions culinaires pakistanaises, mission qui devrait être remplie par l'épouse de l'ambassadeur », dit-elle. L'ambassadrice du Pakistan, qui a deux enfants en bas âge et qui jongle avec ses horaires pour passer du temps avec son époux vivant dans un pays arabe, résume la situation : « Je m'occupe de la maison, de ma famille, je m'acquitte parfois de tâches qui incombent à une épouse d'ambassadeur, je fais mon travail au bureau, je rempli mes obligations en allant à des réunions et des réceptions, et je croise parfois dans des dîners des personnes qui s'exclament : "Ah, l'ambassadeur n'est pas en ville ?", me prenant pour son épouse, ce à quoi je répond invariablement : Je suis l'ambassadeur. »
Certes, le nombre n'est pas important si l'on prend en considération les missions diplomatiques présentes dans le pays. Il n'empêche que le métier se féminise et que certaines ambassadrices en poste à Beyrouth appartiennent à des pays incontournables dans la politique internationale. L'Orient-Le Jour publiera une série d'interviews de femmes ambassadeurs en poste au Liban. Elles...