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Dossier Amériques - Société

Les femmes et le pouvoir en Amérique latine

Au cours de la dernière décennie, plusieurs femmes ont réussi à se hisser au sommet de l'État en Amérique latine. La dernière en date, Laura Chinchilla, a accédé à la présidence du Costa Rica le 7 février dernier. Ces victoires ne doivent toutefois pas masquer les progrès qu'il reste à faire, notamment en ce qui concerne les questions de parité, estime Bérengère Marques-Pereira, chercheuse à l'Université libre de Bruxelles et auteure de plusieurs publications sur la citoyenneté sociale et politique des femmes.

Michelle Bachelet a été la présidente de la République du Chili depuis 2006. Ne pouvant briguer un deuxième mandant, elle laisse sa place en mars à Sebastian Pinera. Gerardo Garcia/Reuters

Cristina Kirchner en Argentine, Sila Calderon au Puerto Rico, Mireya Moscoso au Panama, Michelle Bachelet au Chili, Laura Chinchilla au Costa Rica. En Amérique latine, la féminisation de la vie politique est une réalité et l'aboutissement d'un processus qui s'est étalé sur plusieurs décennies.
« Depuis le passage à la démocratie, les pays latino-américains, le Chili en particulier, ont connu une institutionnalisation du genre qui s'exprime à plusieurs niveaux : la mise sur pied d'agences étatiques consacrées à la promotion des droits des femmes et de plans d'action d'égalité des chances entre hommes et femmes en matière civile, économique, sociale et politique, une tendance à l'augmentation du nombre de femmes dans la représentation parlementaire et dans les fonctions ministérielles et, enfin, le développement de liens entre les agences étatiques et les groupes féministes qui se sont professionnalisés et institutionnalisés », affirme Bérengère Marques-Pereira, chercheuse à l'Université libre de Bruxelles.
Les mouvements féministes ont également joué un grand rôle. « Les mouvements féministes et de femmes latino-américains ont connu, au cours des quatre dernières décennies, une dynamique qui leur permet aujourd'hui de revendiquer une participation citoyenne, au sens de capacité à intervenir dans l'espace public et à peser sur les rapports de force pour transformer les rapports sociaux », ajoute Mme Marques-Pereira, professeure en sciences politiques et sociales, tout en précisant néanmoins que les acteurs principaux des passages à la démocratie restèrent les partis politiques. « L'importance accordée par (les partis politiques) aux impératifs de gouvernabilité dictés par les héritages des dictatures a conduit à une marginalisation des mouvements sociaux, en particulier des mouvements de femmes. Ceux-ci ne dictèrent pas le rythme des négociations entre élites qui aboutirent à la mise en place des régimes démocratiques. Cependant, les nouvelles démocraties ont constitué une structure d'opportunité favorable à la mise en place des recommandations émises par les Nations unies en matière d'égalité des sexes », poursuit la spécialiste. En 1995, l'ONU avait organisé, à Pékin, la Conférence mondiale sur les femmes.
« La transcription au niveau national des agendas internationaux en matière de politique des genres représente un défi important dans des sociétés qui restent marquées par un conservatisme social, s'exprimant notamment par un machisme qui est encore loin d'être éradiqué. C'est dans ce cadre qu'il faut considérer l'enjeu de la présence et de la voix des femmes au niveau de la politique institutionnelle », souligne la spécialiste.

Toujours pas de représentation égalitaire des sexes
Il convient toutefois de relativiser le phénomène. « Les nouvelles démocraties latino-américaines ne connaissent pas à ce jour une représentation égalitaire entre les sexes. Au début des années 1990, la moyenne de la représentation féminine dans les Parlements atteignait à peine 10 %, et à la fin de la décennie, seulement 13 %. En 2008, la moyenne de l'Amérique latine et des Caraïbes augmentait à 21,6 %. En 2007, seuls trois pays se situent à quelque 30 % ou plus de députées : l'Argentine, le Costa Rica et le Pérou », poursuit Bérengère Marques-Pereira.
Depuis la fin des années 1990 et la décennie 2000, « les plans d'égalité des chances de l'ensemble des pays latino-américains mettent en avant la participation politique des femmes comme instrument majeur de l'égalité des genres », ajoute-t-elle. Dans la foulée de la conférence de Pékin, la plupart des pays de la région ont notamment instauré des lois de quota. Mais ces lois « ne sont pas toujours efficaces, souligne Mme Marques-Pereira. Cependant, on peut constater qu'en 2005, le pourcentage de femmes dans 17 congrès latino-américains s'élève en moyenne à 20,3 % pour les pays disposant de lois de quota et à 13,7 % pour les pays qui n'en ont pas. On peut également souligner que le rythme de croissance de la représentation féminine à la Chambre entre 1995 et 2004 atteint 9,5 % pour les 11 pays ayant des lois de quota contre 2,9 % pour les 7 pays n'en ayant pas », explique la chercheuse.

Le cas chilien
Pour la spécialiste, parmi les pays sans loi de quota (Salvador, Guatemala, Colombie, Nicaragua, Uruguay, Venezuela), le cas chilien est intéressant. « En Colombie, au Guatemala et au Salvador, la présence féminine à la Chambre stagne ou même diminue entre 1997 et 2008. Par contre, durant la même période, cette présence augmente au Chili, au Nicaragua, en Uruguay et au Venezuela. Ce sont Caracas et Santiago qui connaissent le plus fort taux de croissance. Or, le système électoral binominal fait du Chili un cas particulier en Amérique latine, défavorisant fortement la représentation féminine », souligne Bérengère Marques-Pereira.
L'un des effets de la conférence de Pékin, de la ratification de la Cedaw (la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) et aussi un résultat de l'action de certains mouvements féministes fut notamment une accélération de la féminisation des fonctions exécutives. Cette accélération fut exceptionnellement élevée au Chili.
En ce qui concerne plus particulièrement la participation féminine aux fonctions régaliennes, Mme Marques-Pereira insiste sur le fait que « ce sont dans les pays où les femmes sont depuis longtemps entrées dans les fonctions exécutives que cette participation était la plus élevée en 2008, comme au Mexique, au Costa Rica, et dans une certaine mesure en Argentine et au Chili ». La spécialiste note toutefois que des pays plus jeunes de ce point de vue « attribuent également des proportions importantes de portefeuilles régaliens à des femmes, tels l'Équateur, le Pérou ou le Panama ».
Enfin, il faut souligner que « Michelle Bachelet a été élue à la présidence du Chili en 2006 et Cristina Kirchner à celle de l'Argentine en 2007. Le Costa Rica vient également d'élire une présidente. Jusqu'en 2006, les quelques femmes qui ont occupé la fonction présidentielle en Amérique latine l'ont fait, le plus souvent, dans un contexte temporaire, marqué par une crise politique de leur pays, et comme héritière du capital politique de leur mari. À ce titre, les présidentes récemment élues constituent une rupture. Elles ont été toutes les deux élues dans le cadre d'une continuité démocratique et disposent d'un capital politique propre », conclut Bérengère Marques-Pereira.
Cristina Kirchner en Argentine, Sila Calderon au Puerto Rico, Mireya Moscoso au Panama, Michelle Bachelet au Chili, Laura Chinchilla au Costa Rica. En Amérique latine, la féminisation de la vie politique est une réalité et l'aboutissement d'un processus qui s'est étalé sur plusieurs décennies.« Depuis le passage à la...

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