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Dossier Amériques - Analyse

Le Chili : nouvel atout pour les États-Unis en Amérique latine ?

Après 20 ans de pouvoir de centre-gauche, le Chili a basculé à droite avec la victoire de Sebastian Piñera à la présidentielle. Faut-il pour autant s'attendre à un grand chambardement politique ? Un spécialiste de l'Amérique latine fait le point pour « L'Orient-Le Jour ».

Sebastian Piñera et son épouse Cecilia brandissant le drapeau chilien après l’annonce de sa victoire. Victor Ruiz Caballero/Reuters

Dimanche 17 janvier 2010 est une date que les Chiliens ne devraient pas oublier : après 20 ans de gouvernement de centre-gauche depuis la fin de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), le Chili vire à droite. L'homme d'affaires Sebastian Piñera, 60 ans, emporte la présidentielle avec 51,87 % des voix face à Eduardo Frei, qui portait les couleurs de la Concertation, la coalition de centre-gauche. Pour la première fois depuis 1958, le camp conservateur accède au palais de la Moneda de façon pacifique et électorale.
Tout au long de sa campagne, Sebastian Piñera, un entrepreneur multimillionnaire qui possède l'une des plus grosses fortunes du Chili, a misé sur l'idée que son succès en affaires pouvait être un atout et non un risque à la tête de l'État. Cet argument a-t-il suffi à convaincre l'électorat chilien ? Comment, par ailleurs, la Concertation (coalition de quatre partis de centre gauche) a-t-elle pu laisser filer la victoire, alors que la présidente sortante, Michelle Bachelet, qui ne pouvait briguer un second mandat d'affilée, affichait une popularité record de 80 % ?
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l'Amérique latine à l'Institut français des relations internationales et stratégiques (IRIS), on ne peut pas gagner les élections sur un bilan, quelque chose qui est déjà acquis. « Certes, la Concertation pouvait légitimement afficher depuis 1989 un taux de croissance économique de 5 % par an en moyenne, la réduction du taux de pauvreté de près de 40 % à plus de 13 %, la mise aux normes démocratiques de la Constitution. Les militaires ont été renvoyés dans les casernes. Un certain nombre d'entre eux ont été mis en examen pour les crimes commis pendant les années noires. Ces objectifs concrets étaient faciles à identifier et à intégrer dans un programme présidentiel. Pour autant, ils ne s'inscrivaient plus dans un horizon », explique le chercheur. Pinochet est mort. La Concertation, après le décès du dictateur, a perdu son dénominateur fondateur.
« La coalition de centre-gauche est restée sans projet, l'antipinochétisme ne mobilise plus. Victime de ses succès, la Concertation n'attirait plus la jeunesse qui l'identifiait au pouvoir, à l'autorité et paradoxalement au passé. Incapable de se refonder, la Concertation - qui comprend la Démocratie chrétienne, le Parti socialiste, le Parti radical-socialiste et le Parti pour la démocratie - s'est perdue en 2009 dans des querelles intestines l'ayant conduite à faire l'impasse sur les primaires qui avaient si bien réussi en 1999 et en 2005 aux candidats qu'elle avait présentés, Ricardo Lagos et Michelle Bachelet », ajoute M. Kourliandsky. En panne d'idées nouvelles, la Concertation s'est finalement divisée, arrivant à la présidentielle avec trois candidats, Eduardo Frei, Jorge Arrate et Marco Enriquez Ominami. Ce dernier ne s'est rallié qu'au dernier moment, au premier tour du scrutin, à Eduardo Frei. Face à cette coalition divisée, la droite, elle, avait un candidat unique, Sebastian Piñera. « Piñera qui, à la différence de ses prédécesseurs, n'avait rien à voir avec le passé dictatorial », rappelle le spécialiste.
Sebastian Piñera incarne une droite affranchie de la dictature, une droite « chrétienne et humaniste » comme il se définit. Une droite décomplexée qui rappelle avoir voté « non » au référendum de 1988 sur le maintien au pouvoir d'Augusto Pinochet.
« Homme d'affaires à succès, Piñera a pu mettre en avant dans son curriculum des médailles entrepreneuriales, une expérience mise, selon son argumentaire, au service du pays. La droite ainsi humanisée, discrètement appuyée par un épiscopat mal à l'aise depuis 2006 avec une présidente athée et divorcée, offrait une vraie alternative respectueuse des valeurs démocratiques », estime M. Kourliandsky.

Une politique qui va changer ?
Avec la victoire de Piñera, à quels changements faut-il s'attendre au niveau politique ? Et ce alors que la droite n'a pu obtenir de majorité solide lors des législatives qui ont eu lieu en même temps que la présidentielle. Le président élu, qui prendra ses fonctions en mars prochain, n'aura donc pas les mains complètement libres et se verra contraint de négocier avec le Parlement.
Pour M. Kourliandsky, « la droite, maintenant aux affaires politiques et déjà détentrice des pouvoirs économiques et médiatiques, est désormais aux commandes pour longtemps. D'autant plus qu'au centre-gauche, l'heure est déjà aux règlements de comptes, exercice habituel de l'après-défaite ».
La politique économique chilienne ne va probablement pas changer, Santiago pratiquant, depuis plus de vingt ans, « un régionalisme commercial ouvert », qui privilégie la concurrence internationale. « Comme le président élu a promis qu'il ne toucherait pas aux acquis et programmes sociaux de ses prédécesseurs, là encore si cet engagement est respecté, la différence, si différence il y a, se lira dans le détail », souligne le chercheur.

Rupture à l'international
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, c'est au niveau de la politique étrangère que la rupture devrait être plus sensible
« La perception que le monde extérieur se fait du Chili est décalée, émotionnelle et solidaire, ancrée dans un passé qui est paradoxalement de moins en moins celui des Chiliens d'aujourd'hui », estime-t-il. L'alternance politique va donc probablement être vécue comme un sentiment d'échec par certains humanitaires et progressistes considérant avoir perdu un eldorado idéologique. « Mais les rapports de force en Amérique latine ne vont pas être profondément modifiés », ajoute le chercheur de l'IRIS.
Le Chili a maintenu, de 1989 à aujourd'hui, de subtils équilibres diplomatiques entre le Brésil, le Mexique et l'Argentine. Il a privilégié les alliances avec les gouvernements modérés, qu'ils soient communément considérés conservateurs ou de centre-gauche. « Ces options sont aussi celles du chef de l'État qui vient d'être élu, sous réserve que ses actes soient demain en accord avec les propos de campagne, souligne le spécialiste. Il n'aura pas, dit-on, de bonnes relations avec le Venezuela, mais ici encore la continuité est d'évidence. » Le Chili de Michelle Bachelet avait des rapports souvent polémiques avec Hugo Chavez.
« La différence et peut-être la rupture sera ailleurs, dans le positionnement à l'égard des États-Unis et des structures de coopération régionale inventées par le Brésil ces dernière années », estime le spécialiste de l'IRIS. Michelle Bachelet avait joué à fond la carte de l'Union sud-américaine (Unasul/Unasur), initiative brésilienne de 2008. « Le Chili soutient aussi la Minustah, mission des Nations unies en Haïti, opération de paix sous direction brésilienne, affirme M. Kourliandsky. Or, sur ces points-là, Sebastian Piñera est resté silencieux. On peut légitimement penser que l'alternance du 17 janvier 2010 est de nature à rendre la main à la diplomatie des États-Unis, contenue ces dernières années par les initiatives régionales spectaculaires et médiatiques du Venezuela, institutionnelles et collectives du Brésil. » Ayant fait ses études aux États-Unis, « on peut se demander si M. Piñera sera plus proche de Washington que de Brasilia, mais on ne peut pas être sûr de cela, il faudra attendre », poursuit le spécialiste.
La nouveauté est que cette élection offre une opportunité aux États-Unis de revenir en Amérique latine, alors qu'ils n'y avaient qu'un pays allié, la Colombie.

Effet dominos ?
Sur le plan régional, le Chili a montré, lors de cette élection, une tendance contraire à celle de l'Amérique du Sud, où la grande majorité des élections précédentes ont été marquées par la victoire de la gauche. Il y a déjà eu un précédent, rappelle néanmoins M. Kourliandsky, le Panama, qui a basculé à droite en mai 2009 lorsque le candidat conservateur, Ricardo Martinelli, a remporté la présidentielle. « C'est un banquier, il a le même profil que Sebastian Piñera. Il ne faut pas oublier que les élections se déroulent sous effet de crise, note M. Kourliandsky. Il peut y avoir des changements, mais cela dépend surtout de la conjoncture locale de chaque pays, de son histoire, de son économie... On ne peut rien prévoir dès aujourd'hui, le temps nous dira si l'Amérique latine va basculer à droite. »
Dimanche 17 janvier 2010 est une date que les Chiliens ne devraient pas oublier : après 20 ans de gouvernement de centre-gauche depuis la fin de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), le Chili vire à droite. L'homme d'affaires Sebastian Piñera, 60 ans, emporte la présidentielle avec 51,87 % des voix face à Eduardo Frei, qui portait les couleurs...

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