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Spécial Beyrouth capitale mondiale du livre 2009 - Rencontre

La bibliothèque idéale de Jean Salem

Constitutionnaliste de renom, professeur (à l'Université Saint-Joseph) de droit depuis 44 ans et de littérature pendant 20 ans, rédacteur en chef de la revue «Cedrus Libani» (publication franco-libanaise), Jean Salem est un érudit, doublé d'un bibliophile averti. Il est surtout un véritable ami du livre. Un homme qui s'adonne à la lecture comme d'autres cultivent l'amitié : avec attention, délicatesse et intérêt sincère. Et surtout sans étalage... 
C'est d'ailleurs avec beaucoup de réticence que cet homme discret évoque sa bibliothèque, riche en ouvrages qui se rapportent aux trois principales branches de la connaissance: l'histoire et les sciences humaines, la littérature et le droit.

Quelle est votre relation au livre et à la lecture ?
«Ma relation au livre et à la lecture se situe sur plusieurs plans, commence par préciser le professeur Salem. J'ai d'abord des lectures que je qualifierais de professionnelles. Ce sont celles qui sont en rapport avec mon activité d'enseignant à l'université. Lectures juridiques, de droit public et de droit constitutionnel d'une part et lectures littéraires d'autre part. Ces lectures doivent être constamment tenues à jour. Les ouvrages nouveaux doivent être en ma possession, car le livre universitaire vieillit vite, il faut donc acquérir l'édition la plus récente.
En second lieu, il y a les lectures plus directement liées à ma personne. Elles répondent à mes goûts et à mon orientation, notamment en ce qui concerne la littérature. Je m'intéresse en particulier à certaines périodes de l'histoire de la littérature, à certains auteurs comme Pascal, Dante, Montaigne, Rabelais, Stendhal et à certaines œuvres dont je peux avoir jusqu'à dix éditions différentes, car l'appareil critique annoté par des personnes différentes varie d'une édition à l'autre. Ce sont des textes auxquels je reste très attaché», affirme-t-il.
L'histoire figure également en bonne place parmi les lectures personnelles de Jean Salem. «J'ai toujours considéré l'histoire comme étant, selon la maxime latine, un "magister vitae", "l'histoire est maîtresse de vie". C'est une école. La formation historique est indispensable pour toutes les disciplines, qu'elles soient littéraires, scientifiques ou techniques. La dimension historique ne peut pas être perdue de vue, car elle est fondamentale dans l'approche des
problèmes.»
Dans ce même ordre d'idées, Jean Salem estime qu'on ne peut pas non plus séparer la littérature de certaines disciplines comme la théologie et la philosophie. «Car les approches philosophique et théologique constituent des dimensions incontournables de la critique littéraire.»
Dans cet univers d'érudition, la poésie est le jardin secret de Jean Salem. Il en est féru au point de taquiner lui-même la muse. «Je la place au-dessus de tout. À mes yeux, la poésie occupe la première place dans l'échelle de l'activité littéraire. Je dirais même qu'elle est le couronnement de cette activité. Ce n'est pas sans raison que les nations choisissent des poètes comme leurs auteurs représentatifs. Ne dit-on pas la langue de Shakespeare pour désigner l'anglais, celle de Goethe pour l'allemand ou Cervantès pour l'espagnol?»

Vous m'avez cité des classiques en littérature, ne vous intéressez-vous pas au roman contemporain ?
«Je me suis intéressé au roman contemporain jusqu'à la génération qui a suivi le nouveau roman. Par contre, le roman d'aujourd'hui ne m'intéresse qu'épisodiquement. Il me semble que le roman actuel est indécis et n'a pas encore trouvé sa place, même si on y trouve parfois des tentatives et des innovations intéressantes au niveau de la langue, de la structure, de la technique du récit, du rapport avec le lecteur. La production romanesque actuelle est pléthorique mais combien de ces ouvrages arriveront-ils à la postérité ?»
«Je parle ici essentiellement du roman francophone et occidental, pas du roman libanais ou arabe, que je connais fort mal, n'ayant pas accès directement à la littérature en langue arabe», précise cet ancien professeur de littérature, qui signale, par contre, dans le roman - et la poésie - libanais d'expression française «des tentatives très intéressantes et des talents qui ont fait leurs preuves, comme Alexandre Najjar, Charif Majdalani ou Alain Tasso».
Le livre peut-il vous interpeller autrement que par son contenu ? Du point de vue formel et en tant qu'objet rare ou précieux ?
«Le livre en lui-même est un bel objet. Certes, la belle édition, illustrée par des graveurs, des peintres, est intéressante, mais elle n'est pas indispensable. C'est le contenu qui prime. Il reste que l'on a plaisir à lire des auteurs dans de belles collections comme La Pléiade qui sont particulièrement
soignées.»
 
N'estimez-vous pas que l'ère de l'audiovisuel risque d'évincer à plus ou moins long terme le livre ?
«Je ne crois pas que les techniques audiovisuelles parviendront à faire disparaître la civilisation du livre, même si on dit qu'elle est près de toucher à sa fin. Personnellement, je ne le pense pas. Je crois que la lecture restera "ce vice impuni" dont parlait Valéry Larbaud et je crois profondément que le livre a encore de belles années devant lui. Pourquoi ? Parce qu'il apporte ce que ne peuvent pas apporter les techniques audiovisuelles: une relation personnelle. Il n'y a pas la même distance entre un lecteur et son livre qu'entre un spectateur et le DVD qu'il visionne. Je crois que le livre établit un lien plus intime, plus direct, plus étroit, en quelque sorte consubstantiel, avec celui qui lit.»
 
Que pensez-vous de
l'e-book?
«Là aussi, je ne crois pas qu'il faille le considérer comme un phénomène différent ou s'opposant au livre classique. Il n'y a pas de différences fondamentales entre eux, sinon le support. Il serait juste un des aspects, une des techniques de réalisation de la culture du livre.»

Quelle est la place de Beyrouth ou du Liban dans vos lectures ?
«Ce n'est que récemment que je me suis penché sur les ouvrages traitant du Liban. Je trouve que leur conception est de plus en plus soignée: techniquement, du point de vue de la qualité de la présentation, de l'impression ou encore de l'iconographie. Ils sont beaux à voir et à feuilleter. Je déplore cependant que, pour des préoccupations de marché, les auteurs de ces livres choisissent souvent de les rédiger en anglais plutôt qu'en français, alors qu'eux-mêmes sont francophones. D'ailleurs, il n'est pas sûr que ce choix de publication en anglais leur vaille plus de lecteurs...»

Que pensez-vous des activités de Beyrouth, capitale mondiale du livre 2009 ?
«Je suis de manière générale favorable à toutes les manifestations qui peuvent aider à la diffusion du livre, qu'il s'agisse de festivals, de salons, de conférences ou de toutes autres activités culturelles. Parce que le lecteur est souvent paresseux et ne va pas spontanément au livre. Il faut l'en rapprocher. Ces manifestations ont ceci de bon qu'elles font arriver le livre au lecteur. En particulier au lecteur jeune qui doit, impérativement, être initié à la lecture, parce qu'elle reste la source première de la connaissance. Montaigne disait qu'il faut "limer, frotter sa cervelle contre celle d'autrui". Le livre le permet incomparablement mieux que n'importe quel autre medium.» 

Publications

Jean Salem a signé plusieurs ouvrages. Un recueil de poèmes intitulé Laude et de nombreux essais, politiques et littéraires, dont :
Le peuple libanais, essai d'anthropologie (éd. Librairie Samir, 1969).
Introduction à la pensée politique de Michel Chiha (éd. Librairie Samir).
Virgile, de la tragédie à l'histoire. Introduction à la lecture de l'Enéide (éd. Cariscript).
Introduction abrégée de l'histoire de Port-Royal de Racine (éd. Cariscript).
Le problème libanais. Essai d'interprétation. Approche d'une solution (éd. Cariscript).
C'est d'ailleurs avec beaucoup de réticence que cet homme discret évoque sa bibliothèque, riche en ouvrages qui se rapportent aux trois principales branches de la connaissance: l'histoire et les sciences humaines, la littérature et le droit. Quelle est votre relation au livre et à la lecture ? «Ma relation au livre et à la lecture se situe sur...