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Spécial Beyrouth capitale mondiale du livre 2009

Le cinéma, langue vivante du siècle ?

Art mineur selon certains, genre littéraire bâtard selon d'autres, le scénario, premier outil pour la réalisation d'un film, est néanmoins une œuvre manuscrite proposant une lecture nouvelle. Le Liban, dans sa production cinématographique jeune et ambitieuse, ne fait pas exception à la lettre. Entre adaptations littéraires et scénarios originaux, il avance d'un pas sûr dans le paysage cinématographique. 
Un grand metteur en scène a dit un jour: «D'un très bon scénario, on a vu sortir un très mauvais film, mais le contraire ne s'est jamais vu.» Si on a souvent évoqué les bienfaits de la littérature sur le cinéma, rares sont les ouvrages qui ont parlé de l'action réciproque. Et pourtant... Jacqueline Viswanathan, professeure de littérature et spécialiste de littérature comparée, souligne dans un essai que les littéraires refusent d'admettre le scénario dans leur canon à l'exception de quelques ouvrages comme The screenplay, a litterature de Douglas Garrett Winston et l'article de Jacqueline Van Nypelseer La littérature de scénario. Par contre, nombreuses sont les études qui traitent d'adaptation de romans ou s'intéressent aux romanciers scénaristes. Or les allers-retours entre la littérature et le cinéma sont multiples.
Quelle définition donner à l'écriture cinématographique?
Arlette Farge, historienne du XVIIIe siècle, dans un entretien avec Antoine de Baeque, va même jusqu'à dire que «le cinéma filme l'histoire par mégarde. En effet, placer une fiction dans un contexte de gestes, de décors, de couleurs et de paysages est un travail d'historien sauf que l'historien rêve de le faire alors que le cinéma le réalise».
À tous ceux donc qui prétendent la supériorité de l'écrivain sur le scénariste-réalisateur, il faut opposer la multitude de chefs-d'œuvre du cinéma tirés d'ouvrages littéraires passables comme la fresque historique Barry Lyndon, signé Stanley Kubrick et dépassant l'œuvre originale de William Makepeace Tackeray, mais aussi de Clint Eastwood qui sut tirer des étagères des librairies et les dépoussiérer des best-sellers tombés dans l'oubli pour les faire adapter par des scénaristes (Mystic River ou Million Dollar Baby). À ceux aussi qui se posent l'éternelle question : quid du roman ou du film est le plus honnête, le plus fidèle, on peut répondre que le problème ne réside pas là.
Dans Exercice du scénario manuel, publié en 1990 par la Fondation européenne des métiers de l'image et du son, Jean-Claude Carrière déclare: «Le scénario est une écriture de passage, de transition, et du fait même de son effacement, de son humilité, la plus difficile de toutes les écritures connues. Car elle doit sans cesse se méfier d'elle-même, de ses excès du mirage littéraire, échapper aux charmes des phrases et à la séduction des mots.»

L'expérience libanaise
«Le scénario est une forme d'écriture non pas littéraire, mais visuelle, audiovisuelle, qui a rapport avec les effets de la dramaturgie, affirme le cinéaste libanais Bahige Hojeij qui a adapté le roman L'obstiné de Rachid el-Daïf. «Si j'ai réalisé cette adaptation, poursuit-il, c'est parce que en lisant le roman, je me suis retrouvé dans la peau du personnage. Même si les langages des deux disciplines sont différents, il y avait une concordance de sensibilités qui a permis le passage du roman à l'écran.» C'est donc la scénarisation qui est la passerelle entre deux écritures. «Le metteur en scène s'approprie le roman et le module à sa façon», poursuit Hojeij. «Quand j'ai commencé à scénariser, à transformer l'œuvre littéraire en audiovisuelle, j'ai remarqué qu'il y avait quelque chose qui manquait au film. J'ai donc emprunté un personnage d'un autre roman de Rachid el-Daïf, Passage au crépuscule, et je l'ai intégré au scénario original. C'est la continuité dans l'œuvre de l'auteur qui a facilité cette démarche. L'adaptation n'est plus une transposition plate des mots en images ou une simple copie, mais bien une création artistique à part entière, une mise en relief qui dépasserait l'œuvre d'origine.» Nombreux sont les réalisateurs qui s'adonnent à cet exercice d'écriture, mais rares sont ceux qui peuvent s'enorgueillir d'une écriture originale dans l'adaptation, à citer, Le Mépris de Moravia, transformé en une autre œuvre par Godard.
«Pourquoi les cinéastes libanais n'adaptent-ils pas des œuvres littéraires à l'instar des réalisateurs égyptiens?» s'interroge Hojeij. «Probablement, répond-il, parce que la plupart sont issus d'écoles de cinéma européennes, qui avantagent, elles, les cinémas d'auteur. De plus, le réalisateur aime à s'exprimer sans avoir à passer par un intermédiaire.»

Une écriture à part
Ghassan Salhab, scénariste et metteur en scène, avoue avoir son propre monde et ses obsessions. «Je lis beaucoup, mais je ne mélange pas films et romans, dit-il. Ainsi, à part la lecture, mes œuvres peuvent être inspirées d'un tas de choses de la vie quotidienne. Le cinéma est un réceptacle de beaucoup d'arts.» Et de poursuivre: «Il s'agit là de deux univers différents. D'une part, la littérature permet une intrusion dans le monde intérieur d'un personnage, ce que le cinéma est incapable de faire à cause de la limite du cadrage. D'autre part, le cinéma, mouvant par essence, apporte une matérialité aux personnages. Et c'est bien sûr le scénario qui en est l'initiateur principal.» «Il y a des scénarios qui sont de merveilleux ouvrages littéraires, ajoute-t-il, je cite par exemple ceux d'Ingmar Bergman.» On pourrait penser également à Michel Audiard qui, par son simple nom apposé au générique des films, attirait un public amoureux des mots et non simplement des images.
«Pour ma part, poursuit Salhab, mon film existe, aussitôt que j'entame l'écriture. Et si le style est épuré, il n'en demeure pas moins que les mots sont choisis de manière à évoquer déjà le déroulement de l'action. Ce n'est pas simplement du formel, mais une substance vivante. Cependant, précise le cinéaste, cet outil, quoique littéraire, diffère du livre car, par sa nature, il est une étape, un projet non abouti qui pourrait dormir dans le tiroirs (en fait combien de scénarios sont encore en attente d'être retouchés, ou rafraîchis) alors que le roman est une entité en soi, qui se suffit à lui-même.»
«Ainsi, souligne Salhab, comme l'écriture est un passage obligé pour la réalisation des films, il est donc nécessaire de la rendre le plus lisible et la plus accessible possible. Écrire pour le cinéma n'est pas encore chose bien comprise au Liban. Cela doit être à mi-chemin entre le romanesque et le technique et il n'existe pas une méthode unique pour apprendre à écrire. C'est un exercice particulier auquel les étudiants en art du cinéma doivent s'initier d'une manière assidue.» Toujours selon le réalisateur, il est important de lire beaucoup de scénarios, imiter les grands et prendre leur exemple pour digérer la matière et passer à autre chose; suivre de longs stages d'écriture et non des ateliers ponctuels pour apprendre à construire un film, en décrypter les techniques et les décortiquer.
 À Orson Welles qui donnait les trois éléments principaux pour un bon film: «a good story, a good story, a good story», Ghassan Salhab ajoute que «c'est la façon dont on structure une histoire, parfois banale, qu'on donne du relief à la parole. L'écriture cinématographique ne serait, en fait, que la puissance du comment».
Samuel Beckett, rappelle Salhab, affirme que «la forme est le fond». Cette forme qu'on traduirait par le mot style et qui, tout en puisant dans les œuvres littéraires, les transcende pour emmener l'autre (c'est-à-dire le spectateur) vers une expérience unique. Totalement différente.

Références
1. Ce que le cinéma fait à la littérature, dossier coordonné par Margaret Flinn et Jean-Louis Jeannelle.
2. Exercice du scénario manuel publié en 1990 par la Fondation européenne des métiers de l'image et du son.
3. Propos recueillis d'Arlette Farge par Antoine de Baeque dans Les cahiers du cinéma, numéro spécial paru en novembre 2000.
4. Extraits d'un article de Jacqueline Viswanathan, professeure de littérature et spécialiste de littérature comparée.
5. La technique du cinéma (Collection Que sais-je).
6. Propos recueillis de deux cinéastes libanais.
Un grand metteur en scène a dit un jour: «D'un très bon scénario, on a vu sortir un très mauvais film, mais le contraire ne s'est jamais vu.» Si on a souvent évoqué les bienfaits de la littérature sur le cinéma, rares sont les ouvrages qui ont parlé de l'action réciproque. Et pourtant... Jacqueline Viswanathan,...