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Liban - Feuille de route

Que la force soit avec toi…

Il y avait une grande part de lucidité dans la formule 14-marsiste, née au lendemain des événements du 7 mai 2008 et presque aussitôt abandonnée, selon laquelle « il est impossible de tenir une consultation électorale à l'ombre des armes du Hezbollah ».
Non que l'arsenal en question se soit effectivement avéré, dans la pratique, être un obstacle à la tenue de l'opération électorale en tant que telle - même si nombre de candidats chiites hostiles à la ligne politique du Hezb en ont souffert directement avant le scrutin ou le soir même des résultats, à l'instar d'Ahmad el-Assaad, Bassem el-Sabeh ou Salah Haraké. Cependant, les armes n'ont pas « pesé » militairement sur le scrutin, un fait que les observateurs internationaux ont pu constater directement. D'ailleurs, il y a bien une raison pour que ces armes n'aient pas été utilisées pour influer sur le cours des élections : tout le camp du 8 Mars, avec ses ramifications régionales (et beaucoup de diplomates étrangers et de Libanais désespérés aussi), était persuadé que l'affaire était in the pocket, que la majorité allait changer de camp. Le ton victorieux employé par une chaîne de télévision et un couple d'animateurs très courtisés par l'opposition dès la fermeture des bureaux de vote, le 7 juin au soir, était un signe particulièrement révélateur de la tendance générale. Puis il y a eu la fameuse douche écossaise des résultats, y compris pour la Syrie, qui pensait que le Liban allait lui revenir politiquement et sans efforts, et l'Iran, qui se voyait déjà en haut de l'affiche internationale, sans penser que sa défaite libanaise allait lui revenir à la figure...
Il faut néanmoins être crédule pour penser que le danger des armes du Hezbollah n'est que militaro-sécuritaire. Le 7 mai 2008 et son cortège de morts dans la capitale et dans la Montagne constituent la représentation la plus extrême, la plus crue, du tort que ces armes peuvent porter à la société à l'intérieur. Mais il ne faut pas oublier qu'avant d'être un facteur potentiel de guerre civile, les armes avaient déjà prouvé qu'elles pouvaient influer sur le rapport de force politique et paralyser le système ; pour ne pas dire torpiller littéralement les mécanismes démocratiques. Quelle est la viabilité d'une démocratie consensuelle lorsqu'un parti s'arroge, au nom d'une communauté et grâce à un avantage militaire de poids qu'il est seul à posséder, un droit de veto exclusif sur toutes les questions d'ordre stratégique (ou culturel désormais, comme le prouve l'affaire Gad el-Maleh) ? Les spécialistes de la question, libanais ou étrangers, vous donneront tous la même réponse, noir sur blanc : nulle.
Le problème, c'est qu'au lendemain même des résultats, et alors que les électeurs avaient une nouvelle fois plébiscité l'équipe du 14 Mars au nom de ces thèmes offensifs de campagne électorale, la majorité, par la voix de Saad Hariri notamment, a immédiatement cherché à composer avec la minorité. Certes, il était nécessaire de tendre la main, mais le 8 Mars a nettement perçu dans le geste du vainqueur une preuve de faiblesse. La faiblesse étant la crainte manifeste de nouveaux dérapages sécuritaires sur le terrain, la hantise dissuasive des armes létales du Hezbollah. Ainsi, d'un discours d'abord défaitiste, le tandem Nasrallah-Aoun est immédiatement revenu à son agressivité sitôt le verrouillage du Parlement assuré par la réélection de Nabih Berry, et le 8 Mars a pu se concentrer tranquillement sur une nouvelle stratégie cherchant à lui assurer sur le terrain un substitut à sa non-légitimation par les urnes.
Le plus grave dans l'assaut que subit le 14 Mars sur tous les fronts depuis que Saad Hariri a décidé de devenir Premier ministre, et qu'il se voit obligé de reculer en permanence sous les coups de boutoir de l'opposition au niveau de la formation du cabinet, c'est que la question des armes et son influence sur la vie politique n'est plus aussi médiatique, alors même qu'elle joue un rôle essentiel, par exemple, dans le revirement joumblattiste aux effets néfastes sur la majorité. Tant et si bien que certains manipulateurs en chef - comme Gebran Bassil, samedi, chez Omar Karamé - tentent de faire avaler au public du 14 Mars qu'il est naturellement faible et que la majorité est incapable de gouverner, sinon qu'elle s'est complètement étiolée. On n'est plus très loin du retour à cette formule extraordinairement pernicieuse de « majorité fictive » qu'employait son beau-père avant le 7 juin pour exprimer ce qui, dans la réalité, était l'effet de la violence morale, en puissance, des armes du Hezbollah sur un public de nature non violente.
Or s'il est une leçon à retenir des événements des quatre dernières années, c'est que l'opinion publique du 14 Mars ne doit pas douter de sa force, surtout à l'heure où le péché principal de son leadership politique est justement de continuer à ignorer sa puissance. C'est en effet cette mauvaise gestion et cette incapacité du 14 Mars à croire en lui-même et en sa force qui font qu'il est quasiment incapable de capitaliser sur ses victoires. Le problème du 14 Mars n'est autre que le suivant : il possède une force redoutable au niveau de l'opinion publique et de la société civile qui n'arrive pas à se concrétiser au niveau de la décision politique. La preuve : malgré le doute entretenu en permanence par ses « chefs » sur la capacité du mouvement à drainer des foules, le 14 Mars est toujours surpris par le degré de mobilisation et de disposition des citoyens. Ainsi, le 14 mars 2005, le monde entier - public souverainiste compris - a été totalement surpris de voir 1,5 million de personnes dans les rues de la capitale. Puis les 14 février 2006, 2007, 2008 et 2009, le 14 Mars a également été surpris de voir que - malgré les campagnes d'intimidation, les assassinats, les voitures piégées, les manifestations violentes de la part du 8 Mars et aussi toutes les erreurs de gestion - les citoyens étaient toujours au rendez-vous, plus nombreux d'année en année. Et, surtout, le 14 Mars a presque été surpris de sa victoire le 7 juin dernier : pourtant l'opinion publique s'est mobilisée en masse pour voter contre le projet adverse et renouveler, malgré la médiocrité de la plupart des candidats en lice, sa confiance aux orientations du 14 Mars.
Là où le public du 14 Mars accomplit un exploit, ce dernier est à chaque fois irrémédiablement détruit au niveau du centre de décision politique, la raison principale de cette déroute politique étant bien évidemment le chantage opéré par le Hezbollah qui continue de mettre la classe politique devant l'équation suivante : « La paix civile (le gouvernement, le système, etc.) selon mes conditions, ou la guerre. »
Le 14 Mars est confronté à une maladie grave qui ne cesse de l'affaiblir face à ses ennemis. Il reste à savoir comment convertir cette puissance réelle en gain politique : cela passe nécessairement par une révision du comportement politique des ténors du 14 Mars et par une décision de miser enfin sur ce qui fait leur force réelle, l'opinion publique. C'est-à-dire de cesser de se comporter en chefs de clan et de communauté, et de laisser la voie ouverte à la création d'un espace politique collectif, transversal, horizontal et moderne qui associe étroitement société civile et opinion publique, pour qu'ils ne soient plus les soldats de réserve auxquels l'on fait appel seulement quand rien ne va plus et que le désastre est imminent.
Il y avait une grande part de lucidité dans la formule 14-marsiste, née au lendemain des événements du 7 mai 2008 et presque aussitôt abandonnée, selon laquelle « il est impossible de tenir une consultation électorale à l'ombre des armes du Hezbollah ». Non que l'arsenal en question se soit effectivement...

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