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Kadhafi, « colonel », « guide de la révolution», et maintenant « roi des rois traditionnels d’Afrique »… - Libye

Kadhafi, « colonel », « guide de la révolution», et maintenant « roi des rois traditionnels d’Afrique »…

Pour Hasni Abidi, directeur du Cermam, l'ultime objectif du dirigeant libyen est de se maintenir au pouvoir.


Aristote disait : « De la Libye vient toujours quelque chose de nouveau. » Ce constat est toujours d'actualité au XXIe siècle. En effet, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, élu en février à la tête de l'Union africaine (UA) pour un an lors d'un sommet de l'organisation à Addis-Abeba, entend désormais se faire appeler « roi des rois traditionnels d'Afrique ». Selon des sources concordantes, le guide de la Jamahiriya libyenne a fait passer à ses pairs présents au sommet un message demandant à être officiellement appelé « roi des rois traditionnels d'Afrique » après avoir été « adoubé » par un groupe de chefs traditionnels. Mouammar Kadhafi était d'ailleurs accompagné dans la capitale éthiopienne par sept « rois » africains, vêtus de costumes traditionnels.
Le « guide de la révolution libyenne », le « colonel » Kadhafi, et maintenant le
« roi des rois traditionnels d'Afrique »... Autant de titres pour un seul homme. En près de quarante ans de pouvoir absolu, Mouammar Kadhafi a ainsi largement confirmé la prophétie d'Aristote concernant la singularité des « productions » libyennes. Depuis son arrivée au pouvoir, au lendemain du coup d'État du 1er septembre 1969, l'indéboulonnable doyen des chefs d'État arabes et africains a pu s'accommoder tant bien que mal des transformations qui secouent le monde depuis plusieurs décennies. Mouammar Kadhafi a su résister aux secousses internes et aux pressions internationales grâce à un jeu habile d'équilibre entre les forces politiques, tribales et militaires du pays. Toutefois, le facteur principal du maintien du régime de Kadhafi reste incontestablement les richesses de son pays.
Pour Hasni Abidi, spécialiste de la Libye et directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, « le colonel Kadhafi est redevable à la nature tribale de la société libyenne renforcée par ses soins depuis 1969. La virginité de son équipe et les idées portées par celle-ci ont assuré une certaine bienveillance au colonel conforté par un système de clientélisme irrigué par les grandes ressources financières de la Libye ». Pour asseoir encore plus solidement son régime, rappelle M. Abidi, Mouammar Kadhafi a, en outre, « inventé sa fameuse troisième voie, inscrite dans le livre vert, qui anéantit le tissu social et le développement normal des structure de l'État ». Ainsi, ajoute M. Abidi, « le guide a consolidé une logique où le culte de la personne additionnée au système des comités révolutionnaires exclut l'idée d'un État moderne ». Une stratégie efficace pour se maintenir au pouvoir pendant si longtemps.

La confrontation
L'évolution de la politique de Kadhafi reste néanmoins remarquable. Le dirigeant libyen use sans modération de sa stratégie préférée, la voie de la confrontation, avec son obsession d'affirmer sa puissance militaire ou économique, ou le son soutien au terrorisme.
Dans les années 1970, au lendemain de sa prise du pouvoir, la Libye présentait un grand potentiel, surtout avec la découverte du pétrole dans son sous-sol. Selon certains analystes, un jeu de séduction s'est alors établi entre Tripoli et les pays occidentaux. Ces derniers ne voulant pas qu'il bascule dans le camp soviétique, alors que la Libye courtisait volontiers les Européens.
Dans les années 1980, Kadhafi manifeste son soutien au terrorisme, implantant des camps d'entraînement sur le sol libyen. Selon les Américains, des aides substantielles sont apportées à des groupes comme l'IRA, l'ETA, les Brigades rouges et l'OLP. Plusieurs attentats perpétrés en Europe ont été attribués à la Libye, notamment les attentats de Lockerbie (1988, 270 morts) et de l'avion d'UTA (1989, 170 morts).
Les relations avec l'Occident vont toutefois s'améliorer à partir des années 1990. La tendance s'amplifie après les attentats du 11 septembre 2001, quand le colonel Kadhafi choisit son camp en s'engageant contre le terrorisme et en mettant à la disposition des États-Unis sa base de données. Le dirigeant libyen renoncera surtout à son programme d'armes de destruction massive. En plus de la restitution d'équipement nucléaire, Kadhafi aurait remis aux Américains de précieuses informations sur le marché noir des réseaux souterrains qui commercialisent les différentes composantes indispensables à la fabrication de l'arme atomique.
« L'ultime objectif du colonel est sans doute de se maintenir au pouvoir. Après l'échec de plusieurs tentatives de renversement depuis l'intérieur, Kadhafi a compris que la nature de ses relations avec Washington, Londres et Paris peut le déstabiliser. Il fait alors une première concession importante : la reconnaissance de la responsabilité de son pays dans l'attentat de Lockerbie et le paiement d'une grande contrepartie financière aux familles des victimes », explique Hasni Abidi. Vient ensuite
« le démantèlement de son programme nucléaire et l'engagement de collaborer entièrement avec l'AIEA », souligne le directeur du Cermam. L'expérience irakienne et le renversement de Saddam Hussein ne sont pas loin.
En ce qui concerne la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye qui a eu lieu récemment, elle s'inscrit dans le cadre de la puissance libyenne retrouvée, Kadhafi ne pouvant pas oublier complètement sa politique de confrontation. Il en est de même avec ses attaques virulentes contre la création de l'Union pour la Méditerranée en juillet 2008.
Selon M. Abidi, « son refus de l'UPM n'est qu'une pirouette. La Libye s'apprête à rejoindre le processus euro-méditerranéen et les discutions sont déjà engagées. Le régime ne se privera pas de manifester sa mauvaise humeur quand il peut (le cas suisse), sachant que cette posture est destinée à la consommation populaire ».

Du panarabisme au rêve africain
Parallèlement, le dirigeant libyen a fait de l'Afrique sa nouvelle priorité après avoir essuyé de nombreux échecs pour faire l'unité des pays arabes. « Nous ne sommes plus arabes, nous sommes africains », lançait en 2003 celui que le président égyptien Gamal Abdel-Nasser avait pourtant désigné au début des années 70 comme le « dépositaire de l'Union arabe ».
Le dirigeant libyen, élu ce mois-ci à la tête de l'Union africaine (UA) pour un an, a imprimé au cours des dix dernières années une orientation africaine à sa politique étrangère, en s'impliquant notamment dans divers efforts de paix sur le continent. Kadhafi, qui se considérait comme le champion de l'unité arabe, a été l'un des inspirateurs de la création de l'UA, qui a remplacé l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Mais son rêve d'« États-Unis d'Afrique », sa conception de la démocratie et sa politique migratoire restent toutefois très critiqués.
Son élection à la présidence de l'UA constitue néanmoins une revanche sur le sommet d'Accra en juillet 2007, où il avait échoué à faire avaliser ses options panafricanistes, se heurtant notamment à l'opposition de l'Afrique du Sud, poids lourd du continent. Malgré l'humiliation d'Accra, le « guide de la révolution » a toujours maintenu le cap pour réaliser l'unité du continent noir.
« Au lendemain des sanctions contre la Libye suite à l'affaire de Lockerbie et contrairement aux attentes du colonel, les pays arabes ont adopté à la lettre les résolutions du Conseil de sécurité. Le chef libyen décide alors de changer de cap en direction de l'Afrique dont certains pays ont violé symboliquement l'embargo », indique Hasni Abidi pour expliquer la spectaculaire transformation de Kadhafi nationaliste arabe en Kadhafi fervent défenseur de l'intégration africaine.
Au-delà de ce point précis, « il faut chercher les raisons de ce revirement dans les ambitions du colonel de jouer un rôle primordial sur la scène internationale et devenir ainsi l'interlocuteur obligé des Grands, ajoute le directeur du Cermam. Sa position géographique et sa capacité de nuisance l'ont encouragé à jouer un rôle en Afrique. Ses déboires au Tchad constituent un bon exemple ». L'armée libyenne était intervenue pour chasser Hissène Habré de N'Djamena. Ce dernier bat sévèrement l'armée libyenne quatre ans plus tard.

« Le mégalomane efféminé de Syrte »
Sur le plan personnel, la personnalité de Kadhafi reste toujours énigmatique. Est-ce une personne qui n'a jamais pu avoir les moyens de ses ambitions, ou bien pratique-t-il l'adage : se poser en s'opposant ? Sa violence sporadique fait toujours craindre des débordements surtout lorsqu'il participe à des sommets régionaux, de même que sa frénésie verbale et son goût des déguisements. En outre, il étale de façon ostentatoire son penchant pour les jolies femmes, paradant au milieu des « tigresses » qui assument sa protection rapprochée, semblant vouloir compenser, par tous les moyens possibles, les différentes humiliations qu'il a subies. On se souvient de la réplique cinglante de son rival africain Hissène Habré, qui l'a traité de « mégalomane efféminé de Syrte ».
Pour Hasni Abidi, « l'usure du pouvoir a laissé des séquelles sur l'homme. Le bilan est désastreux. Hormis son maintien au pouvoir, toutes les batailles engagées par Kadhafi se sont soldées par un échec. Ce qui explique les revirements dans la politique du régime ».
Reste une seule constante, le « guide de la révolution » gouverne son pays d'une main de maître. Traité de tyran, de dictateur, il a su malgré tout consolider son régime et faire de son pays une destination incontournable du continent africain, du monde arabe et du bassin méditerranéen. Mais la stabilité de la Libye reste indiscutablement liée à un seul homme, Mouammar Kadhafi. Sa disparition entraînera non seulement un vide du pouvoir, mais également une précarisation de la Libye. « À moyen terme, il est difficile d'imaginer une transition démocratique en Libye, dans la mesure où aucune institution n'est disponible pour assurer le changement. Il est en revanche à craindre que la disparition brutale du colonel Kadhafi ouvre la Libye à des perspectives sombres. Face à une compétition féroce entre ses enfants ainsi qu'entre des centres de décisions parallèles, seul Kadhafi est en mesure de régler sa succession. Une réorientation de la direction politique et économique est tributaire du choix de son successeur », conclut Hasni Abidi.
Aristote disait : « De la Libye vient toujours quelque chose de nouveau. » Ce constat est toujours d'actualité au XXIe siècle. En effet, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, élu en février à la tête de l'Union africaine (UA) pour un an lors d'un sommet de l'organisation à Addis-Abeba, entend désormais se faire appeler...