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Actualités - REPORTAGE

L'interrogatoire du chauffeur de Ghassan Touma s'est poursuivi hier devant la Cour de justice dans le procès Karamé "Si j'avais dit un mot dans l'affaire, je ne serais pas ici aujoud'hui", déclare Antoine Chidiac (photos)

Dans une salle aussi glaciale qu’à l’accoutumée, l’inculpé Antoine Chidiac a poursuivi hier son «numéro» de chauffeur, candide et plutôt niais, du chef du service de sécurité des FL dissoutes Ghassan Touma. Comme la fois précédente, il a fait rire l’assistance, ainsi que les magistrats et même le brigadier Khalil Matar, qu’il n’en finit pourtant pas de charger. Si le personnage est particulièrement truculent, il est aussi visiblement beaucoup moins simplet qu’il ne veut bien le montrer, accablant le brigadier pour innocenter ses camarades des FL dissoutes. Sa mémoire est d’une grande précision, lorsqu’il s’agit de donner des détails sur le rôle présumé du brigadier dans l’explosion de l’hélicoptère Puma No 906, à bord duquel se trouvait le premier ministre Rachid Karamé, mais devient subitement très faible quand d’autres personnes sont concernées. D’ailleurs, les avocats de Khalil Matar, MM. Chaker Abou Sleimane, Badawi Abou Dib et Rachad Salamé se sont employés à démonter les contradictions dans ses propos. Me Pakradouni s’est joint à leurs efforts et il a, à son tour, essayé de coincer l’inculpé, poussant ce dernier à lancer: «Pourquoi ne comprenez-vous pas l’arabe? Je sais, vous voulez me piéger...». Et la vérité dans tout cela? La cour continue à la rechercher avec une patience inépuisable. Depuis le début de l’interrogatoire des inculpés, l’assistance a presque oublié que Samir Geagea est impliqué dans cette affaire, tant il se fait discret dans son coin, et tant, d’abord le brigadier Matar, puis maintenant Antoine Chidiac, sans oublier Me Karim Pakradouni, qui oscille contamment entre le rôle d’avocat de la défense et celui de témoin, lui volent la vedette. Pourtant hier, à l’ouverture de l’audience, ses yeux brillants tentaient de transmettre un message...qui ne sera pourtant pas capté faute de décodeur. L’audience commence sur une remarque de Me Bassam Dayé de la partie civile. Rappelant qu’Antoine Chidiac avait déclaré au cours de l’audience précédente qu’à peine rentré de la base navale de Jounieh, le 1er juin 1987, Ghassan Touma s’est rendu au bureau de Karim Pakradouni, il s’est réservé le droit de porter plainte contre ce dernier. Me Naïm a aussitôt protesté, précisant que ce droit est de toute façon préservé et que si de nouveaux éléments apparaissent, c’est au juge d’instruction qu’il faut les présenter. Comme à chaque fois que l’avocat d’une des parties soulève un point, l’autre partie veut répondre, le procureur Addoum veut intervenir et le débat menace de s’éterniser. A tel point que le président Mounir Honein est obligé d’user de son maillet. Ce qu’il fait d’ailleurs volontiers, tantôt pour faire taire les avocats et tantôt pour rappeler à l’ordre l’assistance ou les inculpés. Hier, il a même dû intervenir pour mettre un terme à un échange un peu vif entre le brigadier Matar et Antoine Chidiac. Le procureur Addoum présente ensuite un registre des vols, daté d’avril 1987, à la base de Halate où il apparaît que le brigadier Matar a fait trois sorties à bord de son Hawker Hunter No 280, aux alentours de midi, pendant ce mois. Interrogé, Matar déclare que c’est tout à fait normal, vu qu’il est certes le commandant de la base, mais aussi un pilote et un entraîneur en pilotage d’avions de combat. Il précise que toutes ses sorties ont été effectuées en formation, avec un autre avion piloté par le commandant Ghassan Chahine. Pour Addoum, il s’agit de montrer qu’en mai et en avril, le brigadier a pu survoler le bateau à bord duquel Touma et ses compagnons effectuaient leurs missions de préparation de l’assassinat. Mémoire proportionnelle à la taille... L’interrogatoire de Chidiac commence ensuite, mais cette fois, ce sont les avocats de la défense qui poseront les questions. Avec beaucoup de gestes et toujours son accent du Nord prononcé et sa manière particulière de s’exprimer, le petit homme (il doit faire à peine 1,55m) tient la salle en haleine. Tout en se présentant comme un naïf et en se moquant de sa petite taille et de son manque de connaissances, il fait preuve de beaucoup d’esprit, se dégageant d’une question gênante par une boutade. Au cours de l’audience précédente, il s’était adressé au président en lui disant: «Vous me connaissez, M. le président, je ne dis que la vérité», comme s’ils étaient des amis d’enfance et hier, il a repris ses appellations familières, notamment à l’adresse des avocats, n’hésitant pas à les semoncer lorsqu’ils essayent de le coincer. Et lorsque Me Rachad Salamé lui demande comment est sa mémoire, il a ce mot: «Proportionnelle à ma taille». Me Chaker Abou Sleimane commence l’interrogatoire et il veut surtout savoir comment il est possible que Touma exécute une mission aussi importante sans avoir à portée de main un poste TSF pour communiquer avec ses hommes à terre. Mais Chidiac insiste sur le fait qu’à bord du bateau, il n’a vu que le poste radio Geneva appartenant au brigadier et celui qui était placé devant Ghassan Menassa et dont ce dernier a pressé le bouton provoquant l’explosion à bord de l’hélicoptère. Me Abou Sleimane revient sur les précédentes déclarations de Chidiac, selon lesquelles Matar aurait lancé, à propos du premier hélicoptère qui a survolé le bateau et qui se dirigeait vers Adma, «Ce n’est pas ça» et lui demande à qui s’adressait le brigadier en lançant cette phrase. Chidiac répond: «Il est à côté de moi. Demandez- le lui. Moi, je ne l’ai pas regardé à cet instant-là». La salle éclate de rire et voyant le succès de sa boutade, Chidiac l’utilisera plusieurs fois. Me Rachad Salamé prend ensuite la relève, mais c’est à une question du magistrat Ralph Riachi qu’il précise que la pochette portée par Ghassan Menassa, au cours de l’une des trois sorties en mer, pouvait contenir un poste radio de la taille d’un remote control. Me Salamé essaire de le pousser à se contredire, mais il répète ses précédentes déclarations, prenant à témoin Me Issam Karam, qui se trouvait avec lui devant le juge d’instruction, en qualité d’avocat de Khalil Matar. Et lorsqu’il ajoute des détails qui ne figuraient pas dans l’enquête préliminaire, il précise qu’après 1 an et sept mois en prison, il a eu le temps de se souvenir de certains faits. En réponse à une question, il déclare que pendant tout le trajet en mer, le jour de l’assassinat, il est resté debout, sans s’appuyer sur la paroi du bateau ou mettre les mains sur une rampe quelconque. Alors que le bateau est resté près de 45 mns arrêté au large de la côte, moteurs éteints. C’est dire qu’il a pu tanguer. Mais selon Chidiac, la mer était «normale» ce jour-là. Me Badawi Abou Dib pose ensuite les questions et il demande à Chidiac de décrire son emplacement sur le bateau. Celui-ci précise qu’il se tenait à 120 cms de Matar et Touma, debout l’un près de l’autre. Menassa est à leur niveau, de l’autre côté du bateau, et Afif Khoury est derrière le volant, du même côté que Menassa. Chidiac répète qu’il n’entendait pas les propos échangés entre Touma, Menassa et Matar. Il a simplement entendu Matar dire «Ce n’est pas ça», à porpos du premier hélicoptère, puis «c’est ça», à propos du second, tout comme il a entendu Menassa s’écrier: «L’avion, l’avion», après l’explosion, lorsque Afif Khoury a sursauté et a mis les mains sur ses oreilles. Selon lui, personne d’autre n’a sursauté. Abou Dib lui demande s’il a fouillé le sac que Matar avait amené avec lui à bord (et qui selon lui contenait le Geneva) et Chidiac s’écrie: «Nul ne lui disait quoi que ce soit». Il précise avoir vu Matar trois ou quatre fois en compagnie de Ghassan Touma. Me Abou Dib l’interroge ensuite sur la configuration de l’immeuble abritant le domicile de Ghassan Touma, insistant sur l’emplacement du conteneur des gardes, où il affirme qu’il dormait lorsqu’il était de permanence. L’avocat présente ensuite une photo des lieux, contredisant les propos de Chidiac, notamment sur l’emplacement du conteneur. Et ce dernier déclare qu’en 1987, la configuration était différente, car depuis 1990, les FL avaient creusé une route passant à côté de l’immeuble pour pouvoir éviter de passer trop prêt de la base d’Adma. Cet élément est important parce qu’il permet de déterminer si oui ou non Chidiac a pu voir Matar arriver ce sinistre 1er juin au domicile de Touma. L’interrogé maintient ses propos. Me Abdo Abou Tayeh, avocat de Aziz Saleh, pose ensuite quelques questions très précises sur la relation entre Ghassan Touma et sa secrétaire, Amal Abboud, sur le fonctionnement du bureau de Touma et sur la vue que l’on a de son domicile. Chidiac déclare qu’il ignore la fonction de Aziz Saleh au service de sécurité, mais à une question du président, il répond que le bureau de ce dernier se trouvait au même étage que celui de Touma et que s’étant rendu chez lui à deux reprises, il l’a trouvé seul dans un bureau. C’est ensuite le tour de Me Pakradouni qui tente de démontrer que Touma n’a pu monter une telle opération sans prendre des mesures exceptionnelles ou donner certaines instructions ou au moins mobiliser ses troupes. Mais Chidiac insiste sur le fait qu’au cours des trois jours qui ont précédé le crime, il n’a perçu aucune activité inhabituelle. Il reconnaît que les FL effectuaient régulièrement des patrouilles navales le long de la côte, dans la région sous leur contrôle à l’époque. Mais à une question du magistrat Riachi, il précise qu’un seul navire effectuait la patrouille (On est loin du déploiement de navires au large de Tabarja, le jour du drame, décrit par Matar). Quant à Chidiac, il répète qu’il n’a pas remarqué un tel déploiement ce jour-là parce qu’il avait les yeux fixés sur Touma tout au long de la sortie en mer. Me Pakradouni l’interroge une nouvelle fois sur sa place à bord, et à la demande du président, il fait un nouveau croquis avec l’emplacement de chacun des 5 passagers. Après une longue discussion, il déclare qu’au moment de l’explosion, Menassa regardait vers le nord, sa radiocommande posée devant lui sur une planche en bois inhérente au bateau. Mais à ce moment, le bateau était arrêté, moteurs éteints, son bout légèrement tourné vers la côte, comme pour un début de demi-tour. Les avocats commencent aussitôt à analyser la situation. Mais le président met un terme à la discussion naissante. Pakradouni demande alors à Chidiac s’il a parlé à quelqu’un de ce qu’il a vu ce jour-là et l’homme répond par la négative. «Touma vous a-t-il menacé pour obtenir votre silence?», insiste le vice-président du parti Kataëb, et Chidiac s’écrie: «Il n’avait pas besoin de nous menacer. Nous savions très bien ce qui arrivait à ceux qui parlaient. Si je l’avais fait, vous ne m’auriez pas vu ici». Prié par le président de dire s’il a su que quelqu’un a été liquidé, Chidiac affirme qu’il ne sait rien. Enfin, à une question de Me Pakradouni, il répond qu’il n’a même pas su lorsque Touma a quitté le pays. Il ne l’a appris que bien plus tard. Vendredi, la cour poursuivra l’interrogatoire des inculpés et pourrait procéder à une confrontation entre Matar et Chidiac... qui risque d’être animée. Scarlett HADDAD
Dans une salle aussi glaciale qu’à l’accoutumée, l’inculpé Antoine Chidiac a poursuivi hier son «numéro» de chauffeur, candide et plutôt niais, du chef du service de sécurité des FL dissoutes Ghassan Touma. Comme la fois précédente, il a fait rire l’assistance, ainsi que les magistrats et même le brigadier Khalil Matar, qu’il n’en finit pourtant pas de charger. Si le...