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Moyen-Orient - Eclairage

Le coronavirus, énième plaie des réfugiés syriens

En cas d’épidémie, le Nord-Ouest syrien, aux mains des rebelles, risque d’être fortement touché.

Un membre des Casques blancs syriens désinfecte une tente à Kafr Lusin, dans un camp de déplacés situé dans le nord de la province d'Idleb, à la frontière avec la Turquie. AFP / AAREF WATAD

Une bombe à retardement. Voici comment on pourrait décrire la situation dans les camps de réfugiés syriens dans les pays voisins de la Syrie mais aussi dans les camps de déplacés internes, alors que le coronavirus se propage rapidement à travers le monde. Entassées sous des tentes et vivant dans des conditions épouvantables, des millions de personnes risquent d’être en première ligne en cas de propagation du virus. « Beaucoup ne prennent pas la chose au sérieux. Ils disent : on a vécu les bombardements, l’exode, les attaques chimiques, la faim et le froid. Ce n’est pas le coronavirus qui va nous faire peur », raconte Anwar Chehade, un anesthésiste dans la province d’Idleb.

En Turquie, plus de 85% des réfugiés syriens vivent dans des appartements dans de nombreuses villes à travers le pays. Dans ce pays, 1 872 cas de coronavirus ont été annoncés par le gouvernement, ainsi que 44 morts, sans précision sur leur nationalité. Des mesures de confinement ont été prises pour les personnes âgées de plus de 65 ans uniquement.

Les réfugiés syriens en Turquie se heurtent à différents obstacles quant à la situation sanitaire. « Il y a d’abord la barrière de la langue, car la plupart des Syriens ne parlent malheureusement toujours pas le turc et il y a très peu d’informations en arabe. Ensuite, l’accès aux services de santé, les réfugiés sans papiers ne voulant pas aller à l’hôpital par peur d’être expulsés. Enfin, il est difficile de sensibiliser sur l’éloignement social et la nécessité de réduire considérablement les déplacements domicile-travail et la vie sociale », explique Assad Achi, un activiste syrien, directeur exécutif de l’ONG Baytna, à Gaziantep. Les organisations humanitaires locales se concentrent sur la prévention afin d’apprendre aux gens quelques mesures d’hygiène simples. Mais comme dans la plupart des pays touchés, le virus se propage tellement vite que seules des règles strictes de confinement permettraient d’endiguer la maladie.

En Jordanie aussi, le virus se propage rapidement. En trois semaines à peine, 148 cas ont été confirmés, mais ils pourraient être plus nombreux. « Plus de 650 000 réfugiés syriens vivent en Jordanie et plus de 80% d’entre eux résident dans des communautés d’accueil, c’est-à-dire en dehors des camps. Il est certain que les réfugiés et les autres groupes vulnérables sont plus à risque à mesure que le Covid-19 se propage », explique Karl Schembri, conseiller régional au NRC (Norwegian refugee council). Le 14 mars, le gouvernement jordanien a instauré une série de mesures dont le contrôle des entrées et sorties des camps de réfugiés de Zaatari et Azraq. Avec près de 80 000 habitants, le camp de Zaatari est le plus densément peuplé des camps de réfugiés de la région.


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« Actuellement, les réfugiés titulaires d’un permis de travail ne sont pas autorisés à quitter leur camp. Les réfugiés qui sont sortis du camp sont bien sûr autorisés à rentrer chez eux, mais un examen médical a été instauré à l’entrée. Les visites extérieures ont également été interrompues. Des messages sur le lavage des mains et sur la distanciation sociale sont également diffusés par SMS, sur les réseaux sociaux et les groupes communautaires dans les camps afin d’encourager les bonnes pratiques d’hygiène », explique la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Jordanie, Lilly Carslile. Aucun cas de coronavirus n’a été pour l’instant détecté parmi la population syrienne. « Le HCR reste toutefois vigilant et prend toutes les mesures possibles pour empêcher la propagation du virus dans les camps de réfugiés », explique-t-elle.


Hôpitaux en ruine

En Syrie même, une épidémie aura des conséquences dramatiques. Dans le Nord-Ouest, plus d’un million de personnes ont dû fuir les bombardements du régime et de son allié russe, et n’ont eu d’autre choix que de se reloger dans des abris de fortune. Pour l’instant, aucun cas de Covid-19 n’a été recensé, mais les autorités locales et de nombreuses ONG s’attendent au pire. Le régime syrien a enfin admis l’inéluctable dimanche en affirmant avoir un patient atteint. Trois autres ont été annoncés hier. Mais les chiffres sont certainement bien plus élevés. Après neuf ans de guerre, le pays est exsangue, son économie est à plat et ses infrastructures de santé dépourvues de moyens.


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A Idleb, les hôpitaux et les centres de santé qui sont encore opérationnels ne pourront certainement pas gérer une affluence de malades. Là-bas, c’est plus ou moins le calme avant la tempête. Malgré tout, les Casques blancs et des ONG s’activent pour faire prendre conscience de l’imminence de ce nouveau danger qui guette. Un danger invisible, sournois, qui vient menacer le peu de répit que les habitants ont depuis quelques semaines, depuis que Moscou et Ankara se sont entendus sur un cessez-le-feu dans la région.

« C’est triste n’est-ce pas ? Il n’y a plus de bombes, mais le coronavirus va nous tomber dessus d’un moment à l’autre. C’est pour qu’on ne soit pas trop dépaysés », ironise Anwar Chehade, qui travaille dans un hôpital de la province d’Idleb. Cet Aleppin d’origine a fui à de multiples reprises les différentes offensives du régime, dont la dernière. Pour la première fois de sa vie, il est aujourd’hui déplacé dans un camp. « Les déplacés internes sont particulièrement vulnérables face au coronavirus et à d’autres maladies, en raison de divers facteurs : une mobilité élevée, l'instabilité, la surpopulation, les conditions de vie inférieures aux normes et le manque d’accès à des soins de santé de qualité », constate Karl Schembri.

Dans les villes d’Idleb encore aux mains de la rébellion, comme dans les camps, la majorité de la population ne semble pas encore mesurer la gravité de la situation, des photos de marchés ultra-bondés circulent sur les réseaux sociaux. La plupart des gens ne disposent pas de masques de protection, de gants ou de gel, des denrées rares à Idleb comme dans le Nord-Ouest, zone contrôlée par Ankara. « Si le coronavirus s’installe chez nous, il ne partira pas », déplore Abdelkafi, professeur d’anglais, qui n’a toujours pu trouver de masques de protection dans les pharmacies près de chez lui. « Quand le virus va entrer dans le camp d’Atmah, à côté de chez moi, ça fera boule de neige, tellement il est surpeuplé », estime-t-il.


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Selon les experts, le virus est déjà probablement présent dans les camps et dans les villes de la région. Mais sans kits de dépistage disponibles, la maladie passe aujourd’hui inaperçue. L’Organisation mondiale de la Santé aurait, selon des activistes, livré ces derniers jours 300 tests dans les zones rebelles, des informations non confirmées par l'organisation. Une goutte d’eau dans l’océan alors que la population se compte par millions.

« Ces populations déplacées vivent déjà dans des conditions que l’on peut qualifier sur le plan sanitaire de catastrophiques. Il n’y a pas moyen d'assurer le niveau élémentaire d'hygiène au quotidien. Il n’y a pas de toilettes, de sanitaires, d’eau potable et de moyens de se laver les mains. Il n’y a pas les moyens d’appliquer les règles de distanciation alors que deux, trois familles se partagent une tente parfois », déplore à son tour, le docteur Ziad Alissa, président franco-syrien de l’UOSSM, (Union des organisations de secours et soins médicaux) qui soutient différentes structures de santé et des ONG syriennes dans les zones de l’opposition.

Les Casques blancs sont aux avant-postes de la lutte contre le coronavirus dans les zones libérées. Dans le Nord sous contrôle turc, la Défense civile a déjà commencé à nettoyer des lieux publics. « Nous avons lancé une campagne dans notre région en coopération avec le ministère de la Santé local et le ministère turc, pour désinfecter au chlore les écoles, les hôpitaux, les bus, et toutes les zones à forte circulation. Les écoles sont désormais fermées et un couvre-feu a été instauré la nuit », explique Abou Issa, chef de la défense civile à Aazaz. De l’eau et du chlore commencent à être distribués dans les camps de la région, et les ONG locales espèrent bientôt recevoir des masques et des gants. Le plus urgent reste la pédagogie. « Les gens doivent comprendre comment des gestes simples peuvent leur éviter d’être touchés par cet ennemi invisible », poursuit Abou Issa.


« Khalik bil beit »

A Idleb, les Casques blancs ont lancé la campagne « Khalik bil beit » (reste à la maison) et distribuent des brochures explicatives. « Ici, nous n’avons pas encore les moyens de désinfecter ou de distribuer du gel ou des masques, alors on mise tout sur la prévention », insiste Abadat Zekra, chef de section des Casques blancs dans la ville d’Idleb. De son téléphone portable, Abou Hussein envoie un message sur un groupe WhatsApp réunissant de nombreux habitants du camp dans lequel il réside, près de Sarmada, vers la frontière turque. « L’épidémie de coronavirus est dangereuse et mortelle. Si elle se propage dans notre région, elle nous tuera par milliers », écrit-il. Cet instituteur déplacé de Hama vit dans ce camp avec près de 600 personnes. « Nous essayons d’expliquer aux gens ce que c’est, et ainsi éviter les fausses rumeurs, parce que certains entendent parler d’un vaccin, ce qui est faux. On a fermé la tente-école, et on dit aux gens de rester le plus possible chez eux. Mais c’est très difficile », explique Abou Hussein.

« Dans des pays organisés comme la Chine, ils galèrent. Chez nous, la meilleure chose qu’on ait ce sont des antibiotiques et il n’y a que très peu de moyens ou d'endroits pour traiter les gens en cas d’épidémie », insiste pour sa part Abdelkafi.


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Rester confinés n’est, en outre, pas à la portée des plus vulnérables qui doivent continuer à travailler pour survivre. « En France, on demande aux gens de rester chez eux, de prendre simplement du paracétamol et de se reposer. Mais ici, avoir du paracétamol et un toit sous lequel se reposer, c’est un luxe », déplore le docteur Alissa. Pour parer au manque de moyens, l’UOSSM explique par exemple aux gens comment fabriquer un masque artisanal, qui, même s’il ne protège pas à 100%, constitue une barrière contre le virus. « A l’époque des attaques chimiques (du régime syrien contre des villes rebelles), les gens improvisaient des masques avec ce qu’ils avaient sous la main », poursuit le médecin.

Depuis le début de l’offensive du régime en décembre, plus de 84 hôpitaux et installations médicales dans le Nord-Ouest ont été endommagés, détruits ou forcés de fermer, selon l’OMS. « Non seulement de nombreux établissements de santé sont à plat, mais un nombre important de professionnels de la santé syriens ont également fui le pays au fil des ans », constate l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Selon le New York Times, des médecins de la région estiment qu’un million de personnes dans la province d’Idleb pourraient contracter le virus, que 100 000 à 120 000 pourraient mourir et que 10 000 auraient besoin d’appareil respirateur. Il y en a actuellement 153 dans tout le Nord syrien.


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commentaires (3)

Sans polémique, le Nord-Ouest syrien risque d'être touché fortement par le coronavirus bien plus qu'au Liban. C'est pourquoi il est fortement conseillé aux déplacés* syriens de rentrer chez eux dans l'Est syrien où il n'y a ni coronavirus ni gaz sarin. * Les Syriens du Liban sont des déplacés et non des réfugiés. C'est leur Président qui les a poussés à quitter leur Patrie et non un ennemi quelconque.

Un Libanais

12 h 21, le 26 mars 2020

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Commentaires (3)

  • Sans polémique, le Nord-Ouest syrien risque d'être touché fortement par le coronavirus bien plus qu'au Liban. C'est pourquoi il est fortement conseillé aux déplacés* syriens de rentrer chez eux dans l'Est syrien où il n'y a ni coronavirus ni gaz sarin. * Les Syriens du Liban sont des déplacés et non des réfugiés. C'est leur Président qui les a poussés à quitter leur Patrie et non un ennemi quelconque.

    Un Libanais

    12 h 21, le 26 mars 2020

  • QU,ATTENDEZ-VOUS ! EXIGEZ L,AIDE INTERNATIONALE POUR AIDER LES REFUGIES SYRIENS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 11, le 26 mars 2020

  • Encore un article de qualité, merci.

    F. Oscar

    07 h 22, le 26 mars 2020

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