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Liban - Reportage

La révolution a replacé le Akkar sur la carte du Liban

Le mouvement de contestation touche un peu timidement cette région pauvre frontalière de la Syrie.

La place de Halba accueille tous les jours les protestataires depuis le 17 octobre. Photos Firas Abdallah

Sur la place de Halba, capitale du Akkar, dans l’extrême nord du Liban, une tente a été installée dès les premiers jours du soulèvement du 17 octobre dernier. Pourquoi à Halba ? Parce que cette ville est le chef-lieu du Akkar et le point d’intersection entre toutes les localités du caza. « À bas le régime des banques ! » lit-on sur une grande banderole apposée sur la façade de la tente.

La contestation dans ce caza prend différentes formes. Le sit-in sur la place de Halba est permanent, mais les manifestants refusent de bloquer la circulation parce que le quartier est à caractère résidentiel et commercial, et qu’il comprend un hôpital.

Les voitures s’y frayent un chemin comme elles peuvent, en l’absence de panneaux de signalisation et de feux. Par contraste, nombreux sont les panneaux mis en place par les ONG signalant la réalisation de projets de développement.

Jeunes et vieux, hommes et femmes se rassemblent tous les soirs sur la place répétant « Tous, ça veut dire tous », ou « Le peuple veut la chute du régime », les mêmes slogans que dans le reste du Liban. Des débats sont parfois organisés avec des activistes locaux ou des professeurs d’université de la région.



Contre la privatisation

Outre le sit-in, les manifestants ont établi une sortie de rituel quotidien qui consiste à bloquer l’accès aux institutions publiques comme aux institutions privées qui « servent leurs intérêts ». Selon Firas Abdallah, activiste originaire du Akkar, « la fermeture des bureaux de LibanPost d’Ogero et de la compagnie BUS (collecte des factures d’électricité) est un message contre la privatisation des services de l’État ».

Tous les jours, les employés se rendent à leur travail, mais tous les jours aussi, les manifestants protestent devant leurs bureaux, refusant de quitter les lieux avant que ceux-ci ne soient vidés. De ce fait, les employés du bureau de LibanPost à Halba ont rejoint l’équipe du bureau de Qobeyate. Les banques aussi ont été fermées par les manifestants. Mais une semaine plus tard, les protestataires se sont rendu compte que cette mesure était à l’avantage des banques, puisque, de toute façon, ces institutions ont intérêt à retenir l’argent de leurs clients dans un contexte pareil, conformément à des mesures qui équivalent à un contrôle des capitaux.

« Nous avons donc décidé de protester à chaque fois qu’un client ne reçoit pas la somme qu’il exige de la part de la banque et nous avons réussi par deux fois à leur assurer l’exercice de leur droit », ajoute M. Abdallah. Selon lui, les manifestants ont également imposé la fermeture des bureaux de change de la localité pendant deux jours.

Le nombre des manifestants devant les institutions varie de dix à soixante selon les jours. « Des fois, sept personnes réussissent à elles seules à fermer l’une ou l’autre de ces institutions », déclare l’activiste.


(Lire aussi : Irresponsabilité criminelle, l’édito de Michel TOUMA)


Rôle prépondérant des écoliers et des femmes

Dans cette région oubliée par le développement, et dont les habitants réclament depuis toujours l’ouverture de branches de l’Université libanaise (officielle), le mouvement scolaire est un pilier de la contestation. Un grand nombre d’élèves de différents établissements scolaires participent régulièrement au rassemblement sur la place et aux sit-in devant les institutions publiques. « Les élèves vont d’école en école pour convaincre leurs camarades que leurs diplômes ne leur serviront à rien si le soulèvement n’aboutit pas », affirme M. Abdallah.

Que ce soit sur la place ou lors des marches, la présence de la femme dans le soulèvement du Akkar est elle aussi remarquable. Lina Chaar, mère de quatre enfants et originaire du village de Akkar el-Atiqa, affirme encourager deux de ses enfants universitaires à participer à la révolution au lieu d’assister aux cours. « Leur avenir m’inquiète plus que l’année académique qu’ils pourraient rater », lance-t-elle.

Pour Mme Chaar, la participation des habitants de Akkar était beaucoup plus importante lors des premières semaines du soulèvement. « Dès que les écoles et les universités ont rouvert leurs portes et que la vie a repris son cours, l’enthousiasme des Libanais a baissé », regrette cette mère de famille qui estime cependant que le recours à la désobéissance civile sera, tôt ou tard, « inévitable ».

« Habitués à la misère »

Pourquoi la participation au soulèvement est-elle relativement faible au Akkar, alors que près de 60 % de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté ? Pour M. Abdallah, les raisons sont multiples. « Tout d’abord, il faut prendre en considération le fait que le Akkar est une région immense et que les gens qui vivent dans le jurd et aux frontières (avec la Syrie, NDLR) ne peuvent pas se payer les frais de transport vers Halba, dit-il. D’autre part, de nombreuses familles ont un ou plusieurs de leurs membres dans l’armée libanaise et s’abstiennent, de ce fait, de participer aux manifestations de peur d’embarrasser ou de mettre en péril leurs maris ou leurs fils ».

Il existe également des raisons politiques à cette abstention. M. Abdallah explique que dans les villages à majorité chrétienne, « beaucoup d’habitants sont proches du Courant patriotique libre ou d’autres partis au pouvoir et ne se sentent donc pas concernés par le mouvement ». Selon lui, la peur est également un facteur important, d’autant que certains politiciens interdisent aux habitants de participer aux rassemblements et les tiennent sous surveillance. Fouad Mnayyer, père de famille présent tous les jours sur la place de Halba avec ses enfants, rappelle que « la région du Akkar est la plus marginalisée et la plus abandonnée de tout le pays ; c’est comme si elle ne figurait pas sur la carte du Liban ».

« La révolution est magnifique mais je ne comprends pas pourquoi certains habitants s’abstiennent toujours d’y participer, peut-être qu’ils ont peur ou qu’ils se sont habitués à la misère », lance-t-il.

Connivence entre les municipalités et les ONG

Aucune association ou organisation non gouvernementale n’est présente sur la place de Halba. Pour les activistes, les ONG sont l’autre versant du pouvoir en place ou alors « un instrument entre les mains des responsables corrompus ».

« Avant l’implication des ONG à Akkar, la corruption au niveau des municipalités prenait la forme d’une simple faveur rendue ici et là à un membre du conseil municipal, mais les ONG ont introduit de nouvelles formes de corruption », estime M. Abdallah. Pour les manifestants, les municipalités sont de connivence avec les ONG. Ils en profitent pour conclure des marchés douteux. « Résultat : chaque édile est désormais le client attitré d’une ONG », conclut M. Abdallah.

Pour remédier à une gouvernance désastreuse, M. Mnayyer réclame la formation d’un cabinet composé exclusivement de technocrates. « Nous ne voulons pas d’un cabinet techno-politique ! Nous n’accepterons pas de retourner à la case départ ! » s’exclame Kifah el-Halabi, un boucher entouré de ses deux petites filles, qui ajoute : « Il est clair que les responsables ne répondront pas aux appels du peuple. Mais aujourd’hui, nous sommes là et aucune marche arrière n’est plus possible ! »


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Sur la place de Halba, capitale du Akkar, dans l’extrême nord du Liban, une tente a été installée dès les premiers jours du soulèvement du 17 octobre dernier. Pourquoi à Halba ? Parce que cette ville est le chef-lieu du Akkar et le point d’intersection entre toutes les localités du caza. « À bas le régime des banques ! » lit-on sur une grande banderole apposée sur la...

commentaires (3)

Cette agitation bénéfique que cette révolution a commencé montre, quelques soient les résultats, que le peuple libanais est vivant, est clair dans ses idées et besoins et que les partis politiques devraient le respecter. Faute de quoi, le Liban se videra de ses jeunes les plus actifs et créatifs, qui se retrouveront à l'étranger à pleurer leur patrie occupée par des moyenâgeux sans avenir et sans vision.

Wlek Sanferlou

18 h 59, le 03 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • Cette agitation bénéfique que cette révolution a commencé montre, quelques soient les résultats, que le peuple libanais est vivant, est clair dans ses idées et besoins et que les partis politiques devraient le respecter. Faute de quoi, le Liban se videra de ses jeunes les plus actifs et créatifs, qui se retrouveront à l'étranger à pleurer leur patrie occupée par des moyenâgeux sans avenir et sans vision.

    Wlek Sanferlou

    18 h 59, le 03 décembre 2019

  • C'est triste de voir tous ces personnes pauvres ne pensez vous pas que derrière tout il y a la Syrie & cie.?

    Eleni Caridopoulou

    17 h 37, le 03 décembre 2019

  • Donc la " revolution" inscrit sur une liste les régions qui la rejoignent. .?????? Hahahahaha Vite DONNEZ moi le no de tel de la "révolution" pour les appeler et m'inscrire à mon tour . Hahahahahaha....... Opium du peuple ...

    FRIK-A-FRAK

    14 h 21, le 03 décembre 2019

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