Le signal envoyé une fois de plus hier par la rue, qui a réussi à empêcher les députés d’accéder au Parlement, n’a vraisemblablement pas été capté par le pouvoir qui s’offre le luxe de tergiverser en matière de formation d’un nouveau gouvernement. Aussi bien à Baabda où l’on répercute la position du Courant patriotique libre et du tandem chiite qu’à la Maison du Centre, on campe sur ses positions, aucun compromis n’ayant émergé pour l’heure.
Entre un gouvernement techno-politique sur lequel continuent d’insister à ce jour le CPL et ses alliés chiites, et un cabinet exclusivement formé de spécialistes non politiques que réclame la rue et que réclame depuis sa démission, le 29 octobre, le Premier ministre sortant Saad Hariri, l’impasse persiste.
L’annulation de la séance parlementaire prévue à onze heures venait à peine d’être rendue publique que le chef de l’État, Michel Aoun, qui recevait le coordonnateur spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis, a affirmé que le prochain gouvernement sera « politique et inclura des experts et des représentants de la contestation populaire ». Une annonce qui a sonné comme un nouveau défi à la rue en ébullition et un message clair que le président et ses alliés ne sont aucunement disposés à se plier aux desiderata des protestataires, encore moins aux conditions posées par M. Hariri.
Les sources de Baabda affirment que le chef de l’État a défini « les caractéristiques susceptibles de garantir le succès du prochain gouvernement », qui se résument en une combinaison de trois éléments : politique, technocrate et la représentation du mouvement de révolte. « L’élément politique ne saurait être écarté, puisque le gouvernement doit inévitablement obtenir la confiance des groupes parlementaires et bénéficier d’une couverture politique », précise la source qui souligne que le CPL, le mouvement Amal, le Hezbollah et les Marada notamment souhaitent cette formule.
Prenant fait et cause pour les manifestants qui ont démontré hier leur détermination à aller jusqu’au bout pour faire aboutir leurs revendications, les proches de M. Hariri ont tiré une fois de plus la sonnette d’alarme. Les sources proches du Sérail ont appelé hier les responsables politiques « à adopter une position réaliste et à considérer le mouvement de contestation populaire comme une véritable force en présence ». Comprendre que les équilibres politiques d’antan ne tiennent plus la route et qu’une nouvelle équation, celle qui a été imposée par le mouvement de révolte, doit être prise en considération. Ayant saisi dès le départ l’ampleur de la grogne populaire, Saad Hariri a renversé la table et avec elle les équilibres convenus dans le cadre du compromis présidentiel, qui avait abouti à une paralysie quasi totale de l’exécutif. « Ce qui s’est passé aujourd’hui place de l’Étoile donne clairement le ton de ce qui va advenir. Certaines parties politiques n’ont pas encore réalisé ou compris ce qui se passe dans la rue », confie à L’Orient-Le Jour une source proche du courant du Futur.
(Lire aussi : ... Et une Étoile de plus !, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Le chef du gouvernement sortant reste catégorique : il ne présidera aucun gouvernement qui ne serait pas exclusivement formé de spécialistes indépendants. À défaut, ce sera une autre personnalité sunnite qui devra être nommée. Elle devra ainsi assumer la responsabilité d’un gouvernement comprenant des personnalités politiques, que refuse non seulement la rue mais également la communauté internationale qui détient, rappelons-le, les cordons de la bourse à un moment où le Liban a plus que jamais besoin d’aides financières.
M. Hariri avait, rappelle-t-on, suggéré le nom de Nawaf Salam, l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies, actuellement juge à la Cour internationale de justice. Une personnalité qui a été totalement rejetée par le tandem chiite aussi bien que par le CPL.
« Saad Hariri sait pertinemment qu’un gouvernement qui ne serait pas complètement indépendant des politiques n’aura pas l’aval de la communauté arabe et internationale. Nawaf Salam ne pourra pas non plus l’obtenir s’il devait présider un gouvernement techno-politique. C’est le cercle vicieux », commente un analyste proche du Hezbollah.
Pourtant, convaincu que le complot visant à l’écarter du pouvoir passe aujourd’hui par le biais du mouvement de révolte, le parti chiite s’acharne d’autant plus à se faire représenter au sein du futur cabinet que les révoltes populaires en Iran menacent de le fragiliser à l’extrême.
Cependant, assure-t-on dans les milieux du courant du Futur, M. Hariri a clairement défini devant ses interlocuteurs, chiites notamment, la mission et les objectifs du gouvernement qu’il serait disposé à diriger. Il s’agirait d’un gouvernement transitoire pour une période de six à huit mois et qui aurait une mission bien définie : prendre des mesures à caractère exclusivement économique et financier pour sauver le pays de l’effondrement. Une manière de rassurer le Hezbollah que la question de son arsenal ne serait pas à l’ordre du jour du futur cabinet, encore moins les questions géopolitiques qui ne sont pas la priorité de l’heure. Il reste que la question libanaise a été hier au centre d’une réunion à Paris entre le directeur du département Afrique du Nord et Moyen-Orient au Quai d’Orsay, Christophe Farnaud, son homologue britannique et David Schenker, le secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient. Rien n’a filtré pour l’heure sur cette réunion.
(Lire aussi : Second but des manifestants dans les filets de Nabih Berry)
Ministres sans portefeuilles
Du côté de Aïn el-Tiné, on évoque depuis quelques jours une formule techno-politique adoucie. Elle consisterait à confier aux politiques, dont le nombre ne dépasserait pas les six, des ministères sans portefeuilles, et à des technocrates et représentants de la société civile le reste des ministères dits souverainistes et de services. Une formule qui, tout en étant proche de celle suggérée hier par Michel Aoun, pose problème.
Tout d’abord, il s’agit de savoir quelles seront les figures politiques qui seront désignées, sachant que certains noms, tels que celui de Gebran Bassil, conspués dans la rue, sont devenus inacceptables. Le second problème est de savoir qui aura le dernier mot pour le choix des spécialistes et représentants de la société civile. « Même si constitutionnellement parlant, c’est une prérogative qui revient au Premier ministre désigné, Saad Hariri craint un nouveau bras de fer en coulisses entres les forces politiques autour du choix de ces noms », commente Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, contacté par L’Orient-Le Jour.
Il a beau s’évertuer à dire qu’il n’est plus attaché à participer au prochain cabinet, une déclaration réitérée à plusieurs reprises ces derniers jours, le chef du CPL ne semble pas avoir convaincu ses détracteurs, encore moins les analystes qui estiment que M. Bassil continue de manœuvrer pour assurer son retour sur scène. « Tout son comportement prouve qu’il agit toujours en meneur du jeu », commente une source haririenne.
Lire aussi
« Que Dieu vous pardonne, parce que le peuple ne vous pardonnera jamais »
« Cette drôle de révolution qui rappelle aux autorités le respect de la Constitution »
La réunion parlementaire était supposée marquer le début d’un déblocage conforme aux vœux du 8 Mars
Les parlementaires accordent à la rue une carte gagnante
L’Arabie saoudite a-t-elle laissé tomber le Liban ?
Des handicapés moteurs portent leur cause place des Martyrs
Gouvernement : Aoun prêt à inclure des représentants du mouvement populaire
Entre le Futur et le CPL, le compromis présidentiel anéanti?
commentaires (16)
LA SEULE SOLUTION EST DE DÉLOGER AOUN, SINON RIEN QUI VA CHANGER.
Gebran Eid
16 h 33, le 20 novembre 2019