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Culture - L’artiste de la semaine

alaa minawi, l’éclaireur...

Toute la démarche de cet artiste visuel libano-palestinien vise à porter un éclairage sur ce qui abolit les frontières et rapproche les humains. C’est dans cet esprit qu’il présente, dans le cadre du Fringe Festival d’Amsterdam, sa dernière installation performative intitulée « 2048 Bodies-Borders-Belonging ».

alaa minawi, en clair-obscur. Photo Rui Reis Maia

alaa minawi n’aime pas les lettres capitales. « Les majuscules me semblent arrogantes, comme une manifestation de l’ego. Elles m’évoquent des barrages relationnels », affirme cet artiste visuel, scénographe et designer de lumière, qui préfère que l’on écrive ses nom et prénom en lettres minuscules. « Je les trouve d’ailleurs graphiquement plus esthétiques et fluides », ajoute la voix rieuse, au bout de la ligne. Joint par téléphone à Amsterdam, où il met les dernières touches à « 2048 Bodies-Borders-Belonging », l’installation-performance qu’il présente du 5 au 8 septembre dans le cadre du Fringe Festival dans la capitale néerlandaise, l’artiste libano-palestinien revient, d’un débit rapide ponctué de petits rires enthousiastes, sur les heureux hasards qui l’ont menés sur la voie de… la lumière. Car celle-ci est l’élément essentiel de son travail. L’axe à partir duquel rayonnent ses cogitations humanistes, existentielles et politico-identitaires, mais toujours essentiellement tournées vers les autres.

Silhouettes errantes…

Une empathie qui irradie de My light Is Your Light, l’une de ses œuvres phares, inspirée du sort des réfugiés qu’il avait côtoyés en travaillant en tant qu’interprète pour une ONG. Ému par leurs récits de vie, alaa minawi avait voulu mettre en lumière leur sort. Il avait ainsi conçu six silhouettes entièrement en néon, qui par leurs seules postures expriment toute la misère de l’errance. Une lumineuse installation qui, après avoir été exposée, au printemps 2014, place Samir Kassir à Beyrouth (à l’occasion du festival dédié au journaliste assassiné), poursuit, jusqu’à ce jour, sa tournée des capitales du monde : de Londres à Washington, en passant par Berlin, Istanbul, Toronto et, évidemment Amsterdam… Où elle avait été sélectionnée, la même année, parmi les 30 œuvres (sur les 360 candidatures internationales) présentées par le Amsterdam Light Festival.

« 2048 », une installation performative

Une installation qui constituera un tournant dans la vie du jeune homme, puisqu’elle l’amènera à s’établir en 2016 aux Pays-Bas. Même s’il revient régulièrement à Beyrouth, pour y donner, notamment, des workshops. « Cette ville reste pour moi très inspirante malgré tous ses déboires », dit-il. Ainsi, au cours de son dernier séjour beyrouthin, c’est dans les discussions, les échanges, les débats avec ses amis et collègues artistes libanais qu’il a puisé, il y a quelques mois, la teneur du texte qui accompagne le second volet de « 2048 ». Une installation offrant une sorte de cartographie d’un territoire indéterminé tellement chargé de conflits et de tensions qu’il atteint un point de neutralité, doublée d’une performance interactive, à travers laquelle alaa minawi fait pénétrer le public dans l’univers des apatrides et des sans-papiers par le biais des questionnements identitaires qu’il lui adresse directement.

Alors que le premier volet de « 2048 », présenté en 2018, explorait ces notions d’identité à travers un angle philosophique et existentiel, dans ce second volet, sous-titré « Bodies-Borders-Belonging », l’artiste va plus loin encore en axant sa recherche sur l’aspect politique du sentiment d’appartenance, avec ses libertés et ses limitations, ainsi que les connexions de l’identité, du nationalisme et de la globalisation.

Liberté, créativité et café

Une thématique identitaire liée à l’histoire personnelle de ce talentueux trentenaire. Né à Beyrouth en 1982 d’un père palestinien et d’une mère libanaise, alaa minawi a passé les huit premières années de son existence en Arabie saoudite, où son père travaillait. Ce n’est qu’en 1990, à l’occasion du retour familial au Liban, qu’il découvre ce pays qui est (partiellement) le sien et sa capitale, « dévastée et en même temps tellement changeante que ça en devenait fascinant », confie-t-il. « Les nouveaux bâtiments qui remplaçaient de manière drastique les anciennes bâtisses ont imprégné ma mémoire d’enfant. Ils ont certainement eu un impact sur la construction de mon esprit, même si je ne saurais pas vraiment dire de quelle manière. »

Sept ans plus tard, avec le divorce de ses parents, c’est le paysage familial qui devient aléatoire. alaa et son frère aîné s’installent seuls dans un appartement à Hamra. Une liberté précoce qui aura pour effet de dévoiler sa créativité dans le domaine… culinaire. « Il a fallu que j’apprenne à cuisiner. Je commençais par suivre les recettes à la lettre et puis, à un moment donné, je ne pouvais m’empêcher d’ajouter des ingrédients à ma guise. Parfois très éloignés de ceux du plat d’origine. Évidemment, ma cuisine n’était pas très appréciée », signale avec autodérision celui qui, depuis, carbure surtout « au café ».

Virage à 180 degrés

Cette créativité en jachère dont fait preuve le jeune homme va se manifester dans le domaine artistique, deux ans plus tard, de manière totalement impromptue. Alors étudiant en computer sciences à la Lebanese American University (LAU), il réalise « brusquement, en sortant d’un examen », que ce n’est pas ce à quoi il a envie de consacrer sa vie. Déterminisme, ou heureux hasard, c’est à cet instant précis que son regard tombe sur une affiche sollicitant des comédiens pour une pièce estudiantine en préparation. Il s’y rend « par curiosité ». « Et bizarrement, je me suis révélé bon acteur. Mon interprétation a été un tel succès que j’ai décidé d’arrêter mes études, à un semestre du diplôme, pour me familiariser avec cet univers du théâtre. Où, jusque-là, je n’avais jamais mis les pieds », signale-t-il.

Il s’oriente alors vers des études de communication arts (radio-tv-films) toujours à la LAU et s’initie, en parallèle, à tous les métiers de la scène. Et notamment l’éclairage, pour lequel il se découvre un talent inné. Le jeune homme qui se cherchait a finalement trouvé sa voie. Celle de la lumière qu’il signe aussi bien pour des pièces de théâtre (il a notamment collaboré avec Jawad el-Asadi, Lina Abiad et Robert Wilson) que pour les spectacles des grands festivals (Byblos, Beiteddine…).

La progression de son parcours aurait pu s’arrêter là ! Sauf qu’à l’instar de la grande majorité des artistes, alaa minawi cumule plusieurs boulots alimentaires, dont celui d’interprète auprès de l’ICMC (International Catholic Migration Commission) entre 2013 et 2015. « J’étais chargé de traduire les récits de vie que me confiaient les déplacés postulant pour un visa d’émigration aux États-Unis. J’ai été sensible à leur douleur et leur désarroi, sans me douter que les sculptures lumineuses qu’ils allaient m’inspirer m’entraîneraient si loin », affirme cet artiste ouvert aux autres, comme aux hasards de la vie.

Frontières et appartenances

Car, suite à leur exposition à Amsterdam, il aura l’opportunité de poursuivre un master en beaux-arts, scénographie et design à l’université d’Utrecht. Un diplôme qui enclenchera le second grand tournant dans sa vie et sa carrière.

« J’avais le désir d’enrichir ma réflexion sur la lumière. Son impact sur nos vies. Ce qu’elle nous renvoie de notre perception de la réalité et de la vérité… Cette formation m’a aidé », dit-il. À partir de là, c’est en « chercheur de lumière(s) » qu’il se dirigera vers un art visuel où le questionnement et l’interactivité sont dominants. À l’instar de ces installations performances (2048, part I et II) qu’il promet de venir présenter à Beyrouth en 2020.

Lui qui ne cesse de s’interroger sur son sentiment d’appartenance au pays du Cèdre (« Suis-je un Palestinien au Liban ? Et un Libanais aux Pays-Bas? Le fait que beaucoup de mes amis soient libanais influence-t-il mon identité ? ») ne refuse jamais l’occasion d’y retourner. « De toute façon, je ne refuse rien de ce qui se présente à moi. Même un projet non rémunéré peut être une bonne aubaine. Tout peut être dispensateur de lumière… » affirme en conclusion alaa minawi. L’éclaireur.


23 mars 1982

Naissance à Beyrouth.

1990

Retour de la famille au Liban.

1999

Il s’installe avec son frère aîné

à Hamra.

2004

Il abandonne ses études de

computer sciences.

2012

Première performance lumineuse avec le musicien

Vladimir Kurumilian

« A Piano In My Pillow ».

2013

Il conçoit « My Light Is Your Light ».

2014/2015

Son installation est sélectionnée au Amsterdam Light Festival.

2018

Master en Fine Arts, scénographie & Design de la Hogeschool voor de kunsten Utrecht (Pays-Bas).

2019

Il présente entre le 5 et le 8 septembre « 2048 », une installation performative au Fringe Festival à Amsterdam.


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http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/


alaa minawi n’aime pas les lettres capitales. « Les majuscules me semblent arrogantes, comme une manifestation de l’ego. Elles m’évoquent des barrages relationnels », affirme cet artiste visuel, scénographe et designer de lumière, qui préfère que l’on écrive ses nom et prénom en lettres minuscules. « Je les trouve d’ailleurs graphiquement plus esthétiques et...

commentaires (1)

Il est temps de naturaliser tous les enfants de mère libanaise ! Le Liban se prive de talents comme celui de Alaa Minawi et de milliers d'autres ! Puisses-tu mon ami éclairer avec ton oeuvre la conscience de nos dirigeants politiques qui nous font honte !

OMAIS Ziyad

01 h 42, le 04 septembre 2019

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Commentaires (1)

  • Il est temps de naturaliser tous les enfants de mère libanaise ! Le Liban se prive de talents comme celui de Alaa Minawi et de milliers d'autres ! Puisses-tu mon ami éclairer avec ton oeuvre la conscience de nos dirigeants politiques qui nous font honte !

    OMAIS Ziyad

    01 h 42, le 04 septembre 2019

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