La page des heurts de Qabr Chmoun tournée en fin de semaine à Baabda, les regards seront naturellement braqués sur les dossiers épineux suspendus depuis plus de quarante jours à cause de la crise politique suscitée par les affrontements interdruzes du 30 juin dernier. Il s’agit notamment des nominations administratives. Dans un contexte politique tendu, cette bataille devrait opposer le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, à son principal rival sur la scène druze, Talal Arslane, et son allié Wi’am Wahhab, avec l’appui du Courant patriotique libre. Une querelle qui vient s’ajouter au bras de fer entre le CPL et les Forces libanaises, sur ce plan.
MM. Arslane et Wahhab ont d’ailleurs déjà commencé à accorder leurs violons avant la bataille des nominations en Conseil des ministres, attendue prochainement.
Samedi dernier, le chef du PDL n’a attendu que quelques heures après la fin de la première séance gouvernementale après la réconciliation de Baabda, pour afficher sa détermination à se réserver une quote-part des postes administratifs consacrés aux druzes au sein de l’administration publique.
Lors d’une conférence de presse tenue à son domicile à Khaldé, Talal Arslane s’est naturellement félicité de la réconciliation scellée vendredi dernier sous la houlette du chef de l’État, Michel Aoun. Mais il s’est empressé de préciser que son parti et celui de Walid Joumblatt divergent sur plusieurs questions relevant de la politique (politicienne) locale. « Il faut opérer une sérieuse réconciliation politique axée sur la résolution des problèmes survenus dans la Montagne (…). Il faut mettre un terme aux tensions confessionnelles et communautaires, notamment pour ce qui est du siège communautaire druze, des droits des druzes au sein de l’administration publique, ainsi que de la participation (druze) à la prise de décision politique », a-t-il lancé. Et M. Arslane de tonner : « La situation actuelle des druzes est inacceptable, tant sur le plan national que dans une optique strictement intercommunautaire. » Une affirmation qui sonne comme une flèche décochée en direction de Moukhtara qui, selon les milieux de Khaldé, exerce son hégémonie sur la scène druze. « Je ne peux pas rester les bras croisés face à cela », a-t-il prévenu, tout en se disant prêt à « contribuer aux solutions, si les bonnes intentions existent ».
Même son de cloche chez le chef du parti Tawhid, Wi’am Wahhab. À l’issue d’un entretien, samedi, avec Talal Arslane à Khaldé, il a déclaré que « les affrontements de Qabr Chmoun n’auront pas de retombées sur les nominations administratives, la représentation gouvernementale devant se répercuter dans les nominations ». « Nous nous sommes déjà entendus autour de cela avec nos alliés », a fait savoir M. Wahhab.
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Que fera le CPL ?
Cette détermination qu’affichent les deux principaux détracteurs druzes de Moukhtara sert surtout à mettre à profit la rencontre de Baabda, le leader de Khaldé estimant que ce meeting élargi a consacré son poids politique sur la scène druze, et qui, selon lui, équivaut à celui de M. Joumblatt. Mais des observateurs politiques joints par L’Orient-Le Jour soulignent que seule une éventuelle pression de la part du Hezbollah et du Courant patriotique libre pourrait donner satisfaction aux demandes de MM. Arslane et Wahhab, dans la mesure où il s’agit de leurs deux alliés traditionnels. Interrogé par L’OLJ, Mario Aoun, député CPL du Chouf et membre du sous-bloc dit « La garantie de la Montagne » et parrainé par Talal Arslane, ne mâche pas ses mots : « Talal Arslane est l’allié du CPL, et la rencontre de Baabda a consacré sa présence politique sur la scène druze. L’ère du monopole de la décision druze est donc révolue », dit-il.
Sans vouloir répondre explicitement à la question de savoir si une entente a été conclue à Baabda autour du partage des postes réservés aux druzes, Mario Aoun souligne que l’attribution d’une quote-part au chef du PDL « s’inscrit dans la continuité de la pénétration que le CPL a effectuée dans la Montagne lors des législatives de mai 2018 ».
Mais pour ne pas donner le sentiment de vouloir torpiller l’atmosphère positive distillée au lendemain de la réconciliation interdruze, Mario Aoun exclut toute possibilité de voir le cabinet Hariri paralysé à nouveau sur fond de querelle autour des nominations. « Nous avons inauguré une nouvelle page avec Walid Joumblatt, et nous pouvons dialoguer avec tout le monde », se contente-t-il de dire.
Sauf que contrairement à ce qu’auraient pu espérer Talal Arslane, Wi’am Wahhab et le CPL, le leader de Moukhtara, fort d’un appui américain qu’a reflété le communiqué publié la semaine dernière, ne semble pas prêt à faire des concessions supplémentaires à qui que ce soit, comme le déclare sans détour à L’OLJ un proche de M. Joumblatt. « Il est grand temps que tout le monde comprenne que Walid Joumblatt a accepté de faire des concessions, non parce qu’il est dans une position faible, mais dans l’intérêt du pays. Mais nous ne ferons plus de cadeaux », ajoute-t-il, avant de poursuivre : « Nous voulons obtenir nos droits intégralement. Et cela est conforme à la logique axée sur la force adoptée par le chef du CPL. »
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Le Conseil des ministres
Au lendemain de la réconciliation interdruze, le Conseil des ministres s’était réuni samedi à Baabda sous la présidence de Michel Aoun, et en l’absence du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, à qui le PSP avait pourtant imputé la responsabilité des heurts du 30 juin « sur le triple plan moral, légal et populaire ».
Prenant la parole au début de la séance, le chef de l’État a souligné que l’incident de Qabr Chmoun avait eu « des retombées sur le pays », mais que « les choses sont revenues à la normale » à la faveur de la rencontre de vendredi. « La crise a été résolue sur le triple plan politique, par la rencontre de Baabda, judiciaire, à travers l’enquête menée par la justice conformément aux lois en vigueur, et sécuritaire au moyen des services de sécurité qui mettent en application les plans adéquats », a encore dit le président.
À l’issue de la réunion, le ministre de l’Information, Jamal Jarrah, a fait savoir que le Conseil des ministres a approuvé la totalité de son ordre du jour, et qu’il ne se réunira pas cette semaine. Pour ce qui est de l’affaire de Qabr Chmoun, M. Jarrah a fait savoir que le président Aoun a demandé au ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib (dont deux partisans ont été tués lors des heurts), de ne pas évoquer la question lors de la séance.
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commentaires (8)
dixit comedie musical Fairuz Rahbani "Ya3ich Ya3ich": el cha3eb bi wedeh wa Yalleh bi yhekmo bi wedeh. Cette photo du conseil des ministres en dit long sur l'état politique du liban. On voit l'avant plan mais pas le fond! Y-a-t-il trop de cuisiniers pour que le plat soit réussi?
PPZZ58
22 h 42, le 14 août 2019