La polémique suscitée autour du concert du groupe rock alternatif libanais Mashrou’ Leila et l’annulation de leur concert qui était prévu le 9 août prochain n’en finit pas de répandre ses effets néfastes, ternissant un peu plus l’image du Liban.
Hier, c’était au tour du groupe Metal néerlandais Within Temptation d’annoncer l’annulation de son concert prévu le 7 août dans le cadre du Festival international de Byblos, « par solidarité » envers le groupe Mashrou’ Leila.
« Nous avons appris que Mashrou’ Leila a été déprogrammé par le comité organisateur pour des raisons de sécurité, après que des fanatiques religieux eurent proféré de violentes menaces et demandé l’annulation de leur performance », a déclaré le groupe sur sa page Facebook. « Outre le fait que les autorités libanaises ne sont pas capables en ce moment d’assurer aux artistes la sécurité pour se produire dans un climat de paix, nous avons décidé d’annuler notre concert à Byblos en guise de solidarité envers Mashrou’ Leila, et dans le but de soutenir la tolérance et la liberté d’expression », poursuit le groupe Metal symphonique.
Par-delà le message de solidarité adressé à leurs confrères de Mashrou’ Leila et l’appel à la tolérance et au respect de la liberté d’expression, le groupe néerlandais a clairement mis l’accent sur le climat d’insécurité suscité après les menaces et incitation à la violence qui ont visé les membres du groupe Mashrou’ Leila, déplorant le fait que les autorités libanaises se sont avérées impuissantes d’assurer la sécurité des artistes. Un facteur qui a sans aucun doute été décisif dans la décision du groupe de renoncer à se produire à Byblos.
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Ce nouveau camouflet, qui vient écorner la réputation déjà chancelante du pays, vient confirmer s’il en était encore besoin l’impuissance de l’État à sévir, et surtout sa passivité devant le diktat de groupes religieux qui, relayés par certains responsables au sein de l’Église et par des cadres partisans, ont fini par avoir gain de cause.
« C’est une situation d’autant plus inquiétante que ces effets ne se limiteront pas à un ou deux concerts, mais risquent d’affecter à l’avenir toute la scène culturelle libanaise et la réputation de l’ensemble des festivals internationaux programmés aux quatre coins du pays », confie un membre du comité organisateur du Festival de Byblos.
Selon lui, cet échantillon de haine et d’intolérance, auquel vient s’ajouter l’apathie de l’État qui a laissé faire, risque de restreindre le choix des groupes et artistes qui seront désormais invités au Liban. « Il faut se demander si les organisateurs des festivals vont finir par renoncer, à un moment donné, à inviter des groupes internationaux en se contentant de spectacles produits par des artistes locaux », dit-il.
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Cette double déprogrammation ne manquera pas d’affecter par conséquent le tourisme au Liban auquel les festivals culturels contribuent largement. Le membre du comité organisateur s’interroge d’ailleurs sur le silence assourdissant du ministre du Tourisme, Avédis Guidanian, et du ministre de la Culture, Mohammad Daoud, qui depuis le début de cette controverse ont évité de prendre position, sachant notamment que les autorités judiciaires n’ont relevé aucune violation de la loi de la part des membres du groupe Mashrou’ Leila.
« Le problème est que l’État a préféré se retirer de la scène, les autorités ayant demandé aux protagonistes – les groupes religieux et les organisateurs du festival – de régler le contentieux entre eux, un aveu d’impuissance totale de leur part », dit-il.
La polémique avait éclaté il y a deux semaines sur les réseaux sociaux en raison d’une atteinte présumée à la religion chrétienne due à une photo représentant une icône de la Vierge dont le visage a été remplacé par celui de la chanteuse Madonna, accolée à un article partagé par le chanteur du groupe Mashrou’ Leila, Hamed Sinno, en 2015. Deux des titres du groupe sont également pointés du doigt. Sur un plan plus implicite, l’homosexualité affichée du chanteur semble également déranger.
Après l’annonce de Within Temptation, le comité organisateur du Festival de Byblos a appelé tous ceux qui se sont coalisés pour la défense des libertés publiques à « soutenir » le festival et ses objectifs consistant à « garder la liberté d’expression, l’art, la musique, ainsi que la sécurité des artistes et du public comme nos priorités essentielles ». « Nous ne serons jamais réduits au silence », conclut le comité sur sa page Facebook.
Dans la journée, l’évêque de Jbeil, Mgr Michel Aoun, a remercié le président de la commission épiscopale pour les médias, Mgr Boulos Matar, le père Abdo Abou Kassm, président du Centre catholique d’information, le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, ainsi que le directeur général de la Sécurité de l’État, le général Tony Saliba, pour leur « action » qui a fini par porter ses fruits, le concert de Mashrou’ Leila ayant été annulé.
Mgr Michel Aoun a réaffirmé « son attachement aux libertés publiques que garantit la Constitution. Toutefois, nous tenons à rappeler que la vraie liberté consiste à respecter les valeurs religieuses et les croyances, et doit par conséquent être exercée en toute situation à partir des valeurs et principes humains et religieux que l’Église œuvre à sauvegarder au sein de notre société ».
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commentaires (8)
Dommage nous aspirions à un état de droit, ce qui sous entend liberté, culture, nous tombons en plein dans un état de non droit, que cherchent à régir de hommes qui se disent de religion, le pire étant à venir.
Lecteurs OLJ 3 / BLF
16 h 13, le 05 août 2019