Dans ce qui peut paraître comme un retour à la paralysie qui avait longtemps entaché le processus de formation du gouvernement, il y a un an, la relance des réunions du Conseil des ministres semble être la mission plus difficile que jamais du Premier ministre Saad Hariri.
Pour rappel, le Conseil des ministres est paralysé depuis le 2 juillet. Dans une volonté manifeste d’éviter le risque d’implosion de son cabinet, Saad Hariri a préféré suspendre sine die les réunions de son équipe, le chef du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, insistant pour que l’incident de Qabr Chmoun du 30 juin dernier, qui avait coûté la vie à deux partisans du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés Saleh Gharib (relevant du PDL) dans des accrochages entre des partisans du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et des hommes de M. Arslane, soit déféré devant la Cour de justice, à la faveur d’un vote en Conseil des ministres. Une option qui se heurte tant au veto du leader de Moukhtara qu’à l’opposition de Saad Hariri et du président de la Chambre Nabih Berry.
Au lendemain du discours prononcé vendredi dernier par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, doublé d’un incident survenu dans la nuit de vendredi à samedi devant le domicile de Saleh Gharib, aussi bien M. Joumblatt que son principal rival sur la scène druze s’étaient raidis, douchant les espoirs quant à un proche compromis à même de réactiver le cabinet.
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Il ne manquait à ce tableau qu’une nouvelle escalade verbale de la part de Talal Arslane pour que le blocage se confirme. Lors d’une conférence de presse tenue à son domicile à Khaldé en présence de M. Gharib, le chef du PDL n’a pas mâché ses mots, réitérant son insistance pour que l’affaire de Qabr Chmoun soit déférée devant la Cour de justice. Fort de l’appui de Hassan Nasrallah, Talal Arslane a déclaré sans détour : « Notre demande est claire et nous ne nous rétracterons pas. » « Nous n’avons aucun problème à ce que le Conseil des ministres soit convoqué dans les plus brefs délais. Mais s’il se réunit, il devra discuter de la question de la Cour de justice d’abord, d’autant que la tentative d’assassinat de Saleh Gharib ne saurait être légitimée. Et nous ne discuterons d’aucun point avant de débattre de la question de la saisine de la Cour de justice, et d’adopter un plan de sécurité pour la Montagne. »
Évoquant un éventuel vote en Conseil des ministres, Talal Arslane a tonné : « Nous allons mettre tout le monde au pied du mur sur ce plan. » Et le leader de Khaldé de réagir à la récente initiative de Walid Joumblatt prévoyant de déférer les échauffourées de Qabr Chmoun et le crime de Choueifate du 8 mai 2018 (le meurtre d’un partisan du PSP, Alaa Abou Faraj, et dont l’auteur présumé, Amine Souki, serait un proche de M. Arslane) devant la Cour de justice. L’escalade du chef du PDL est significative, dans la mesure où il a demandé que la Cour de justice tranche tous les dossiers portant sur les incidents dans la Montagne, dans ce qui pourrait être interprété comme une mise en échec de la proposition Joumblatt.
Cette position de Talal Arslane donne sans doute le coup d’envoi à une nouvelle phase de sa querelle avec le leader de Moukhtara, mais aussi avec le Premier ministre. Les milieux de ce dernier contactés par L’Orient-Le Jour confient qu’à travers sa conférence de presse, M. Arslane n’a fait que compliquer davantage la tâche à Saad Hariri et prolonger la paralysie gouvernementale. Celle-ci pourrait même durer un mois encore.
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Berry et les ex-Premiers ministres
Il n’en demeure pas moins que le Premier ministre est toujours en quête d’une issue à même de lui permettre de relancer les séances ministérielles. C’est dans ce cadre que s’inscrit son entretien, hier à Aïn el-Tiné, avec le chef du législatif. À en croire une source proche de Saad Hariri, ce dernier poursuit ses contacts en faveur d’une issue de crise, et l’on pourra y voir un peu plus clair dans les prochaines 24 heures. Mais un autre proche de la Maison du Centre, joint par L’OLJ, se veut un peu plus réaliste. Il estime que la rencontre Berry-Hariri ne pourra pas opérer la percée attendue, d’autant que Nabih Berry – impliqué dans les efforts déployés pour débloquer la situation – n’est pas en mesure d’entrer en confrontation avec le Hezbollah qui vient de se ranger naturellement dans le camp Arslane.
Plus tard dans la journée, Saad Hariri a reçu discrètement au Grand Sérail le ministre de l’Industrie Waël Bou Faour. Selon la chaîne Future TV, il s’agissait d’une occasion pour réaffirmer le maintien des contacts entre MM. Hariri et Joumblatt.
Le chef du gouvernement s’est également entretenu avec les anciens Premiers ministres Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati. La rencontre intervenait deux semaines après le déplacement de ces derniers en Arabie saoudite. Une initiative interprétée comme visant à donner une bouffée d’oxygène à M. Hariri.
À l’issue de la réunion, M. Mikati a déclaré que l’entretien s’inscrit dans le prolongement de la visite à Riyad des ex-Premiers ministres, insistant sur le fait que « M. Hariri œuvre pour rassembler tous les Libanais ». Et d’exprimer l’espoir que la crise puisse prendre fin prochainement. « Nous avons discuté des options possibles », a-t-il ajouté, soulignant que le Premier ministre est confiant que la solution est à même de satisfaire tous les Libanais.
Ces efforts de M. Hariri interviennent à l’heure où le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, semble élaborer une nouvelle initiative pour sortir le gouvernement de l’impasse actuelle. Selon l’agence locale al-Markaziya, le patron de la SG discute avec des responsables haut placés de « nouvelles idées » à même de paver la voie à la tenue d’un Conseil des ministres cette semaine.
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Le sommet religieux
En attendant, les regards seront tournés vers le sommet spirituel prévu ce matin au siège de la communauté druze à Verdun, à l’initiative du cheikh Akl appuyé par Moukhtara, Naïm Hassan. Y seront présents tous les chefs religieux (exception faite du président du Conseil supérieur chiite, le cheikh Abdel Amir Kabalan, pour des raisons de santé).
Interrogé par l’agence al-Markaziya, Abbas Halabi, membre du comité permanent pour le dialogue islamo-chrétien, a confié que le sommet se place surtout sous le signe de l’attachement au pacte national, au maintien du vivre-ensemble et à la réconciliation druzo-chrétienne d’août 2001, au vu du regain des tensions entre le PSP et le PDL.
Et c’est également sous l’angle de cette réconciliation que le rassemblement de Saydet el-Jabal a commenté la crise politique suscitée par la tension entre Moukhtara et Khaldé. À la veille du 18e anniversaire de cette entente historique conclue entre le patriarche Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt (le 3 août 2001), Saydet el-Jabal a réitéré son « attachement à cette réconciliation historique, à l’heure où l’on est en présence de tentatives douteuses de la secouer en portant atteinte à une de ses composantes souverainistes », comme on peut lire dans le texte publié à l’issue de la réunion hebdomadaire du rassemblement, dans une claire allusion à M. Joumblatt.
Achraf Rifi, ancien ministre de la Justice et farouche opposant du Hezbollah, est allé quant à lui un peu plus loin. Sur son compte Twitter, il a plaidé pour une « rencontre urgente à Moukhtara pour faire face à la guerre menée contre Walid Joumblatt, en présence du Premier ministre Saad Hariri, du chef des Forces libanaises Samir Geagea, du leader des Kataëb Samy Gemayel, du chef du Parti national libéral Dory Chamoun, ainsi que des composantes souverainistes indépendantes ». Selon lui, « Maher el-Assad (frère du président syrien Bachar el-Assad) dirige la bataille en concertation avec le Hezbollah. Et quand tout le monde s’est rejoint au Bristol en 2005, les circonstances n’étaient pas moins graves qu’aujourd’hui ».
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commentaires (12)
Toujours les mêmes blocages, toujours les mêmes noms, toujours les mêmes histoires... Depuis plus de 30 ans que les blocages sont les mêmes ou presque. Ca finit par des "bisous bisous" et puis ca boude de plus belle quelques mois plus tard.
LE FRANCOPHONE
23 h 00, le 30 juillet 2019