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Culture - Street Art

Qui sont ces deux femmes dans un parking à Hamra ?

Deux peintures murales gigantesques, réalisées par Zed 40 et Karim Tamerji à l’initiative d’Ahla Fawda, ont été dévoilées hier à Hamra.

Les deux murales réalisées par Zed 40 et Karim Tamerji à Hamra à l’initiative d’Ahla Fawda. Photo DR

Elles occupent presque toute la façade latérale de l’immeuble Massabki

Serhal, qui jouxte un parking de la rue Hamra. Elles captent tous les regards, et pas que ceux qui cherchent à se garer. Passants, conducteurs, cyclistes ou passagers, le mouvement de la nuque est inévitable et le regard reste comme magnétisé. Sur 25 mètres de haut et 18 mètres de large, se dressent deux femmes aux couleurs chatoyantes et aux allures altières. Du street art certes, mais de l’art avant tout. Pour peu qu’on leur dessine un cadre autour, elles pourraient trôner dans un musée. Voilà le dernier né d’Ahla Fawda. Cela fait déjà un certain temps que cette association s’occupe de promouvoir une forme d’art public dynamique, de colorer les rues du Liban et de collaborer avec de nombreux artistes internationaux et libanais, pour faire parvenir un double message : le street art est un art à part entière, et l’art doit être à la portée de tous les citoyens. Ces peintures murales marquent également le début d’un nouveau mouvement, Art of Change, lancé par Ahla Fawda en collaboration avec les partenaires internationaux WhereTheresWalls et RISEgallery, basés à Londres et qui ont inauguré leur studio/galerie en présentant des œuvres d’artistes libanais et étrangers.

Mais comment est née Ahla Fawda et qui sont les deux géniteurs de ces femmes qui se tiennent bien droites dans un parking de la rue Hamra ?


(Pour mémoire : Avec Imane Nasreddine Assaf et Ahla Fawda, la rue est une fête)


Rester debout et avancer…
À chaque 31 octobre au soir, pour célébrer la fête d’Halloween avec ses enfants, Imane Nasreddine Assaf descendait dans la rue Hamra où elle habitait pour effectuer ce qui était devenu un rituel sacré : se déguiser, taper aux portes, récolter des friandises ou en distribuer. Elle était la sorcière bien aimée du quartier ! Chaque année, le groupe initial augmentait en nombre jusqu’à ce qu’il atteigne presque une centaine de gamins qui suivaient émerveillés l’initiatrice de ce mouvement. « Mes enfants grandissaient et je savais qu’un jour tout cela allait prendre fin. Comme investie d’une mission pour ce quartier que j’aime par-dessus tout, je me décide à tenter une nouvelle aventure avec une “Halloween parade”, des activités pour la jeunesse et une récolte de fonds. Enfants et parents ont défilé, nous étions plus de 700, et avec les recettes, nous avons transformé une décharge d’ordures en un espace vert et un olivier planté au centre. » Voilà comment est née cette association qui œuvre pour embellir d’abord le quartier et puis le reste du pays, sous le label d’un délicieux oxymore : Ahla Fawda (le plus beau des chaos), fondée et menée par cette femme qui, depuis, ne s’arrête plus. Chaque année, elle propose des programmes novateurs, de « Hamra Got Talents » au Festival de Aley, elle se retrouve aujourd’hui à monter des projets en Europe pour promouvoir les artistes libanais. Quand on lui suggère en plaisantant de se présenter au poste de présidente de la municipalité, elle rétorque : « Jamais de la vie, je n’aime pas les chaises ; ce que je préfère, c’est rester debout et surtout avancer. »


Peindre avec l’esprit et non avec les yeux
Élias Zaarour a 36 ans, et il est né dans le quartier de la Quarantaine, d’où son surnom Zed 40. « D’ailleurs, c’est étrange, mais les premières manifestations de street art au Liban ont commencé dans ce quartier précisément. À l’époque, nous étions considérés comme de simples tagueurs, des faiseurs de graffitis, sans oublier que nous n’avions pas le matériel adéquat, alors que toute l’Europe bénéficiait des meilleurs produits. Nous, on faisait avec nos maigres moyens du bord. À cette époque, il arrivait même que nos dessins soient effacés, considérés comme un acte de vandalisme », sourit-il. Après une licence en graphic design et un master en arts plastiques, c’est naturellement qu’il se dirige en 2007 vers le street art. « Je savais depuis toujours que la figure allait être mon sujet de prédilection. »

Karim Tamerji a 27 ans. Après un diplôme en architecture à la Lebanese American University (LAU), il suit des cours de design à Sydney (en

Australie) et s’intéresse de plus en plus au street art. « On n’était pas destinés à se rencontrer Élias et moi, c’était un pur hasard. Et depuis, nous avons des rituels. On se retrouvait tous les week-ends pour dessiner, échanger nos esquisses, nos impressions et nos rêves. Nous savions pertinemment qu’il nous fallait nous construire une identité, mais d’une certaine façon, nous nous complétions. Sans avoir à trop élaborer, quand un projet se présentait, nos réflexions se rejoignaient », raconte-t-il. Et Élias Zaarour d’ajouter : « Nous partageons la même approche pour le mouvement, les couleurs, le dynamisme de la composition, la notion de l’espace, la texture et l’esthétique. »

Et à la question de savoir comment il est possible de réussir, les yeux collés au mur, une fresque de 25 mètre, si les repères ne se perdent pas, le binôme répond du tac au tac : « La difficulté de peindre une fresque aussi grande exige un contrôle de l’esprit, il faut donc peindre avec l’esprit et non avec les yeux. »


Arrêt sur image(s)
Sur un fond découpé en aplats de couleur, deux femmes à la composition en tranches et aux couleurs éclatantes se détachent, imposantes par leur présence. En réalité, elles représentent les deux visages d’une seule femme : d’un côté la paysanne, ayant les pieds bien plantés dans la terre, et de l’autre, sa version contemporaine. Celle de gauche soutient si bien ses trois enfants sur ses épaules que son visage disparaît sous le poids des responsabilités. Chaque enfant a une expression différente et ils forment à eux trois l’allégorie de l’enfance. Autour de sa taille, est noué un tablier, celui qui renvoie à ses origines. Elle est une terrienne attachée à ses racines, qui laboure et qui nourrit. Elle est ce que Zed 40 respecte le plus : la femme ancestrale, notre mère à tous. « Elle est, pour moi, la force, l’amour maternel, la tradition, le sens des valeurs et la beauté. »

Quant à l’œuvre de Karim Tamerji, c’est la femme paysanne version moderne dans un urbanisme contemporain. Entre le réalisme de son visage façon Millet et l’abstraction de ses membres, elle est un mélange judicieux de plusieurs mouvements artistiques : le figuratif, l’école abstraite et le réalisme. Regarder l’une et regarder l’autre, c’est regarder l’évolution de la femme à travers le prisme de deux talents à suivre.

On retrouve les œuvres d’Élias Zaarour et de Karim Tamerji, avec celles de Ghaleb Hawila (artiste calligraphe récipiendaire du 3e prix L’OLJ/SBGL de la saison 3 de Generation Orient) et de Jad el-Khoury, alias Potato Nose, dans le nouveau studio d’Ahla Fawda à Hamra, immeuble Assaf, 3e étage, pour une exposition indoors qui dure jusqu’à fin mai.



Pour mémoire
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Elles occupent presque toute la façade latérale de l’immeuble Massabki Serhal, qui jouxte un parking de la rue Hamra. Elles captent tous les regards, et pas que ceux qui cherchent à se garer. Passants, conducteurs, cyclistes ou passagers, le mouvement de la nuque est inévitable et le regard reste comme magnétisé. Sur 25 mètres de haut et 18 mètres de large, se dressent deux femmes aux...

commentaires (2)

C'est très beau, très frappant les esprits et mille bravos aux artistes. Cela dit je vais lancer une idée simple, utile, pédagogique, noble et efficace, espérant qu'un artiste peintre ou un mécène prennent l'idée à cœur afin de la réaliser au cœur de la capitale libanaise. l'idée : Honorer toutes ces femmes étrangères employées de maison, en réalisant une peinture gigantesque en leur honneur, qui en quelques années plusieurs parmi elles, ont été poussées au suicide par le mauvais traitement de leurs employeurs inhumains. Un tel acte aura le mérite de nous mettre tous devant nos responsabilités et nous rappeler nos devoirs envers autrui et envers nous même. On en sortira grandi. Avis aux artistes

Sarkis Serge Tateossian

08 h 40, le 03 mai 2019

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Commentaires (2)

  • C'est très beau, très frappant les esprits et mille bravos aux artistes. Cela dit je vais lancer une idée simple, utile, pédagogique, noble et efficace, espérant qu'un artiste peintre ou un mécène prennent l'idée à cœur afin de la réaliser au cœur de la capitale libanaise. l'idée : Honorer toutes ces femmes étrangères employées de maison, en réalisant une peinture gigantesque en leur honneur, qui en quelques années plusieurs parmi elles, ont été poussées au suicide par le mauvais traitement de leurs employeurs inhumains. Un tel acte aura le mérite de nous mettre tous devant nos responsabilités et nous rappeler nos devoirs envers autrui et envers nous même. On en sortira grandi. Avis aux artistes

    Sarkis Serge Tateossian

    08 h 40, le 03 mai 2019

  • Magnifique!!! Merci les artistes.

    Allam Charles K

    06 h 58, le 03 mai 2019

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