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Lifestyle - Spectacle

Hanane Hajj Ali, libre et sans tabous à Washington

Avec « Jogging, théâtre en chantier », l’actrice et metteuse en scène voyage depuis 2017 en Europe et aux États-Unis pour raconter les histoires de ses Médée du XXIe siècle et de courageusement dire leurs non-dits.

Hanane Hajj Ali dans « Jogging ». Photo Marwan Tahtah

Lorsque les premiers arrivés commencent à entrer dans la salle, Hanane Hajj Ali est déjà sur scène. Habillée de noir de la tête aux pieds, elle fait des étirements, tantôt debout, tantôt allongée, puis de drôles de gargarismes pour s’échauffer les codes vocales.

Ce soir, la salle du centre Kennedy, imposant bâtiment le long du fleuve Potomac à Washington, est comble. « Je ne sais pas comment ça se fait, je ne cesse d’être surprise par cette pièce jour après jour », confiait-elle quelques heures auparavant à L’Orient-Le Jour. Avec « Jogging, théâtre en chantier », qui lui a valu le prix de la meilleure comédienne à Édimbourg, Hanane Hajj Ali fait son one-woman-show, partout dans le monde, depuis 2017.

« C’est un hommage au dissimulé, c’est l’histoire de non-dits et l’histoire de femmes, explique l’actrice et metteuse en scène. C’est aussi l’histoire de Hanane Hajj Ali, moi, femme, mère, comédienne, citoyenne, qui déambule tous les jours dans les ruelles de Beyrouth, pour faire du jogging, et prévenir le stress, la dépression et l’ostéoporose. »

Sur scène, elle met en garde son auditoire : « Ceux qui me connaissent apprendront qu’ils ignorent qui je suis et ceux qui me découvrent maudiront l’heure où ils m’ont connue. »


(Pour mémoire : Hanane Hajj Ali : Si seulement nous, Libanais, savions marier nos contradictions au lieu de nous entre-tuer...)


« Un millier de Médée »

Mais en la découvrant, le public sourit. Il s’identifie à cette femme qui perd ses clefs, rêvasse pendant son jogging, et confie, sans tabous, ses rêves et ses craintes les plus intimes et absurdes. « Je suis la femme voilée cool, l’épouse du metteur en scène de génie (Roger Assaf, NDLR) », lance-t-elle.

Et sans crier gare, elle se mue en Médée, la petite fille du dieu soleil Hélios qui, un jour, folle de rage, tue ses enfants. La Médée de la metteuse en scène a « d’immenses yeux noirs comme ceux d’Aishwarya Rai » et est amoureuse de Jason et sa « tablette au chocolat ».

Hanane Hajj Ali a toujours été fascinée par les héros de la mythologie grecque mais jouer le rôle de Médée est une première pour elle. « Je n’ai jamais accepté d’incarner Médée parce que je ne comprenais pas qu’une mère puisse tuer ses enfants », confie-t-elle.

Mais le cancer de son fils, alors âgé de 7 ans, la frappe de plein fouet. « Mon fils a rapidement atteint le summum de la douleur, raconte l’actrice. Un jour, alors que je faisais mon jogging, je me suis imaginée en train de poser un coussin sur son visage pour le tuer et le libérer de sa douleur. Ce rêve m’a tétanisée. J’ai senti que j’étais une parcelle de ce monstre qu’était Médée. Je me suis dit qu’il devait y avoir un millier de Médée dans une ville déchiquetée, morcelée comme Beyrouth. »


(Pour mémoire : Qui est Médée dans une ville (r)usée comme Beyrouth ?)

Sans tabous

C’est ainsi que seule, sur scène, s’exprimant en arabe (surtitré en anglais), Hanane Hajj Ali devient Médée, puis Yvonne, puis Zahra. Médée devient humaine. Et le public sourit moins, s’interroge bien plus.

Dans son Jogging, l’actrice porte son voile, le retire, le remplace. Elle se dévoile, par ses gestes et ses mots, toujours avec une puissance frappante. Elle passe d’une femme trompée et blessée, à une autre :

Yvonne, Médée du Mont-Liban, a froidement tué ses trois filles en empoisonnant leur « salade de fruits avec des litchis ». Elle a ensuite mis fin à ses jours. Zahra, Médée du Liban-Sud, mariée à 15 ans « comme le veut la tradition », a perdu deux de ses fils dans la guerre de 2006 contre Israël et le troisième dans le conflit syrien en 2013.

L’actrice et metteure en scène raconte leurs histoires dans toutes leurs complexités et les vit. Elle secoue le spectateur dans son confort, ses préjugés et ses idées reçues. Avec des mots courageux glissés dans un texte ficelé, avec des gestes puissants, elle fait l’éloge de la liberté d’expression et de la liberté tout court.

Au fil de sa performance, Hanane Hajj Ali fait voyager le spectateur, dans la vie de ses femmes et de leurs hommes, dans leurs songes, mais aussi dans un monde où se côtoient Pier Paolo Pasolini, Heiner Müller, Virginia Woolf, ou encore William Shakespeare. « Something is rotten in the state of Denmark », dit-elle en reprenant les mots de Marcellus dans Hamlet. « Il y a quelque chose de pourri dans la République libanaise », traduit-elle.

« Quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays. Des incidents graves nous secouent (…) Des faits énormes ou imperceptibles, des scandales liés à l’argent, à l’honneur, à la politique, à la religion, à la famille, au pouvoir, (…) », finit par dénoncer l’actrice, sans s’essouffler.

À plusieurs reprises, durant quelques instants, la lumière éclaire le public. Hanane Hajj Ali invite un spectateur à monter sur scène, pour l’aider à faire ses abdos, ou pour présenter un personnage. « Je voulais à travers cette performance faire du théâtre une agora, un espace public vivant où l’on se retrouve », explique-t-elle. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’elle clôt sa pièce par un débat.

C’est là que Hanane Hajj Ali devient moins actrice et plus activiste, qu’elle raconte son combat pour la liberté d’expression et qu’elle parle de sujets qui lui tiennent à cœur comme le droit de la femme libanaise de transmettre sa nationalité à ses enfants. « Il y a un grand travail à faire dans notre pays. Pourquoi la situation culturelle éducative a régressé autant ? interroge-t-elle. Nos universités et nos écoles sont entre les mains des partis politiques, nous n’avons plus de planification stratégique à court et moyen terme. C’est le chaos total. C’est la débandade. » « Mais cela ne veut pas dire que je désespère », lâche-t-elle. Et de poursuivre sa mission, sa bonne parole et son Jogging, à travers les continents.



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