À Hay el-Sellom, un des quartiers les plus surpeuplés de la banlieue sud de Beyrouth, le fleuve de Ghadir, ou ce qu’il en reste, serpente parmi les habitations. Jonchée de détritus de toutes sortes, l’eau couleur ciment dégage une odeur pestilentielle qui s’accentue avec l’arrivée de l’été. C’est ici qu’ont été tournées les images qui montrent les eaux emportant un fleuve de déchets impressionnant dimanche dernier, à l’occasion des fortes pluies qui sont tombées. Cette vidéo a, depuis, fait le tour du web sans que l’on puisse savoir à qui incombait la responsabilité de cet énième désastre écologique.
Attablés juste au-dessus du fleuve, malgré l’odeur écœurante et les déchets, trois habitants du quartier jouent au tric-trac et fument un narguilé, dans une vaine tentative d’oublier le paysage qui les entoure. Khalil, la cinquantaine, est ouvrier et habite le quartier depuis plusieurs années. Il estime que le désastre des déchets flottants dimanche à la surface du fleuve est à reprocher à la fois à la municipalité de Choueifate (à laquelle Hay el-Sellom est rattaché) et aux riverains eux-mêmes. « Malheureusement, les gens du quartier jettent leurs ordures dans le fleuve. Mais il faut dire qu’il y a peu de bennes à ordures ici et que les gens doivent faire des détours pour se débarrasser de leurs déchets. Il faut davantage de bennes, déplore-t-il. Il faut infliger des amendes aux riverains qui polluent, mais la municipalité n’ose pas puisque certains sont protégés par des partis politiques ou des clans. » « Nous n’en pouvons plus de l’odeur. Les égouts de Kfarchima sont déversés ici », ajoute le quinquagénaire.
Assis à côté de Khalil, son fils trentenaire se dit complètement désabusé. « Rien ne va changer, personne ne va rien faire pour changer la situation. Que pouvons-nous faire de toute manière ? Organiser une manifestation? Brûler des pneus ? Il n’y a même pas d’électricité ici, il ne faut donc pas s’étonner si on croule sous les déchets », souligne le jeune homme.
Bassam, un épicier du coin, estime également que la responsabilité face à la pollution du fleuve est partagée. « C’est en même temps la faute aux riverains et à l’État. Ce dernier devrait couvrir le lit du fleuve, là où il passe sous les habitations, pour empêcher les gens de jeter leurs ordures par les fenêtres », affirme-t-il à L’Orient-Le jour. « Que peut faire la municipalité de plus ? Elle nettoie le lit du fleuve au début de l’hiver et à la fin de l’été et elle a placé des bennes à ordures, mais les gens continuent de jeter leurs déchets dans la nature. D’ailleurs, ce n’est même plus un fleuve puisque les égouts passent par ici », lance Bassam.
Mohammad, 20 ans, assure pour sa part que le fleuve change de couleur au gré des jours et des matériaux polluants. « Le fleuve passe du mauve au rouge ou au vert... Partout où l’on va ailleurs, on ne voit pas des déchets comme ici car les municipalités prennent soin de leurs villes », lance-t-il.
Latifé, la quarantaine, est quant à elle au bord du désespoir : « Il n’y a rien ici. Les droits de l’homme, ça n’existe pas dans ce coin. Peut-être qu’ils ne nous considèrent même pas comme des êtres humains. »
Ministère, CDR ou municipalité ?
Contacté par L’Orient-Le Jour, l’activiste environnemental Imad Kadi explique que les fleuves sont sous la tutelle du ministère de l’Énergie et de l’Eau, mais que leur nettoyage est normalement du ressort du ministère des Travaux publics et des Transports, ainsi que du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR). Sauf que dans le cas du fleuve de Ghadir qui traverse Aley, Kfarchima et Choueifate avant de se jeter dans la mer, la municipalité de Choueifate affirme être également intervenue dans le processus.
« Nous avons commencé à nettoyer le fleuve fin juillet, en coordination avec le ministère des Travaux publics et des Transports, et le travail est encore en cours. Nous répétons ce procédé tous les ans avant l’hiver et à la fin de l’année. Ce travail nécessite entre un mois et demi et deux mois pour être achevé », explique à L’OLJ Hicham Richani, directeur du comité des travaux publics au sein de la municipalité de Choueifate. M. Richani impute par ailleurs la présence des déchets flottants aperçus dimanche dernier au manque de civisme des citoyens.
« Le problème, c’est que les riverains jettent leurs ordures dans le fleuve (…).Nous avons essayé de sensibiliser les gens maintes fois et City Blue (la société en charge de la gestion des déchets ménagers dans Beyrouth) collecte les ordures tous les jours. Je ne comprends pas comment les gens peuvent jeter des ordures sous leurs propres fenêtres », souligne M. Richani qui assure que certaines parties du fleuve ont été salies à nouveau environ vingt jours après l’opération de nettoyage.
Quant à l’odeur pestilentielle qui se dégage du fleuve, M. Richani estime qu’elle est due aux ordures en décomposition jetées dans le fleuve. « Il n’y a pas d’égouts qui se déversent dans le fleuve ni de déchets industriels. Nous avons réglé le problème l’année dernière en reliant les habitations à un système de drainage des eaux usées qui passent dans un tuyau placé au milieu du lit du fleuve. Ce tuyau arrive à la station d’épuration des eaux usées située sur l’embouchure du fleuve, près de la décharge de Costa Brava », déclare-t-il.
« Nos équipes vont à nouveau nettoyer le fleuve dans les jours qui viennent. Les déchets collectés seront triés et envoyés à la décharge de Costa Brava », ajoute le fonctionnaire qui précise que Choueifate produit 270 tonnes de déchets par jours.
Interrogé par L’OLJ sur l’opération de nettoyage du fleuve, un haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics et des Transports a tout d’abord refusé de répondre, prétextant le fait qu’il avait terminé ses horaires de bureau. Il a ensuite déclaré ignorer tout du dossier en question. « Je ne sais pas du tout si le fleuve de Ghadir a été nettoyé cette année », a-t-il dit, avant de jeter la responsabilité sur la société chargée d’exécuter les travaux : « J’ignore si l’entrepreneur a entamé le processus de nettoyage à l’heure actuelle », a-t-il ajouté.
Joint par L’OLJ, le ministre des Travaux publics et des Transports, Youssef Fenianos, n’était pas disponible pour un entretien. Le CDR n’était pas joignable non plus pour commenter les faits.
Pour mémoire
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Beaucoup de questionnements sur notre avenir ... L'éducation, la culture ... sont à la base de tout progrès.
Sarkis Serge Tateossian
12 h 30, le 11 septembre 2018