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Liban - Circonscriptions

Législatives libanaises : Anatomie du vote à Tripoli-Minié-Denniyé

Dans la grande ville du Nord, les rapports d’intérêts et de force ont prévalu sur les grandes causes.

Si les résultats du scrutin du 6 mai dans la circonscription de Tripoli-Minié-Denniyé (Liban-Nord 2) n’ont pas donné lieu à des surprises inédites, à part peut-être la défaite d’un leader sunnite de poids, Achraf Rifi, il n’en reste pas moins que le décryptage des enjeux et des scores obtenus ici et là n’est pas aisé à Tripoli surtout, une ville à l’humeur changeante et aux complexités multiples.

Sur les neuf listes qui concurrençaient pour pourvoir aux 11 sièges de la circonscription (8 sunnites, un alaouite, un grec-orthodoxe, un maronite), trois d’entre elles ont pu moissonner et faire parvenir, dans des proportions différentes, des députés à l’hémicycle. La liste parrainée par le courant du Futur (Le Futur du Nord) a raflé cinq sièges avec 51 937 voix, sachant que sur les 343 061 électeurs inscrits, seuls 38 % ont voté, une proportion relativement faible de l’avis de nombreux observateurs et qui en dit long sur la démobilisation en dépit de la multiplicité des candidats (75 en tout) et des choix politiques offerts.

Le second « grand gagnant » après le courant du Futur est l’ancien chef de gouvernement Nagib Mikati, qui parrainait lui aussi une liste complète (al-Azm), qui a effectué une percée avec quatre candidats. Si la liste du Futur n’a permis de propulser au Parlement que des députés exclusivement sunnites, celle de M. Mikati a produit l’effet inverse, en ce sens que les députés élus en son sein ont reflété la diversité communautaire de la capitale du Nord, ayant raflé tous les sièges réservés aux minorités (maronite, alaouite et grec-orthodoxe).

Ce patchwork communautaire est sans aucun doute une plus-value dont le bloc pourra se targuer, d’autant que ce résultat semble plus proche du discours centriste et modéré pratiqué par M. Mikati. Sauf que l’ancien chef de gouvernement, qui ambitionnait de se repositionner en tant que leader sunnite incontestable dans la capitale du Nord, ne pourra plus prétendre à ce titre et devra se contenter de faire valoir son auréole « nationale », comme le fait remarquer Mohammad Allouche, professeur d’université et analyste politique.

On pourrait dire l’inverse au sujet de la percée exclusive des candidats sunnites sur la liste haririenne, un phénomène qui peut être expliqué par le « discours radical » pratiqué qui a essentiellement tablé sur l’exacerbation de l’antagonisme sunnito-chiite, comme le relèvent certains commentateurs. « En adoptant un discours conservateur, le courant du Futur n’a en tous les cas pas réussi à s’adresser aux minorités », commente encore Mohammad Allouche.


(Lire aussi : Législatives 2018 : Anatomie du vote au Mont-Liban IV)


Des élus monochromes
La percée de candidats monochromes sur la liste haririenne peut également être comprise sous le prisme du « choix de candidats sunnites forts », ce qui n’est pas le cas de la liste al-Azm qui a tablé sur un seul et unique candidat sunnite de poids, Nagib Mikati lui-même. Ce dernier a réussi, à lui seul, à cumuler 21 300 voix, soit le nombre de voix équivalent au total recueilli par trois candidats sur la liste du Futur, comme le rappelle une source proche de la liste. Un score flatteur certes, mais qui sous-tend une « volonté de faire cavalier seul », comme le fait remarquer l’expert électoral Kamal Feghali, qui affirme que M. Mikati a voulu sciemment concentrer toutes les voix sunnites autour de sa candidature.

Une « faille technique » qui doit être mise sur le compte « d’une mauvaise gestion au sein de la machine électorale », relève-t-on dans les milieux proches de M. Mikati, où l’on reconnaît que le jeu du partage des voix préférentielles entre les différents candidats n’a pas eu lieu, contrairement à ce qui s’est passé du côté du Futur. Des sources proches de l’ancien chef du gouvernement mettent également en avant le fait que les électeurs, habitués à voter pour leur zaïm, n’étaient pas prêts à « sacrifier » leur vote pour un autre candidat de la liste.

L’ancien chef du gouvernement n’a, semble-t-il, pas non plus fait bénéficier de sa popularité les candidats minoritaires sur sa liste. Ces derniers auraient été élus à la faveur de votes recueillis auprès de leur base directe, avec des voix ne dépassant pas les 2 246, obtenues par Ali Darwiche (alaouite). Jean Obeid, une éminente figure chrétienne dans la région du Nord, n’aura attiré en définitive qu’un millier de voix. « M. Mikati n’a laissé à ses colistiers que les miettes », note l’ancien député du Futur, Moustapha Allouche.


(Lire aussi : Législatives libanaises : Anatomie du vote à Rachaya-Békaa-Ouest)


Le tandem Karamé-Samad
Dans les milieux haririens, où l’on admet que le courant du Futur a tout de même « reculé » en termes de popularité par rapport au scrutin de 2009, on tient à mettre en avant les 10 000 voix de plus que leur liste a marquées par rapport à celle d’al-Azm, une différence à laquelle les voix jadis acquises à l’ancien ministre, Mohammad Safadi, qui a pactisé avec le Futur à l’occasion de ce scrutin, ont largement contribué.

« Quatre sièges ont été acquis à la faveur des moyens et de la stratégie mis en place. Le cinquième a été obtenu par l’effet de la proportionnelle », commente le député sortant Ahmad Fatfat dont le fils, Sami, a été élu avec un score relativement honorable à Denniyé, mais moins reluisant que celui qui a été marqué par son adversaire, Jihad Samad (11 897 voix), candidat sunnite sur la liste de la « Dignité nationale », parrainée par Fayçal Karamé, élu pour sa part avec 7 126 voix.

D’ailleurs, certains analystes estiment que M. Karamé a réussi à percer en partie « à cause de la notoriété d’un Jihad Samad qui est parvenu à relever le seuil de la liste ». Outre une base populaire notoire sur laquelle il pouvait quand même tabler, M. Karamé a dû également compter sur les voix issues du bloc d’électeurs chrétien à Tripoli relevant de Sleiman Frangié et sur quelques voix alaouites. Dans les milieux haririens, on affirme sans ambages que la liste Karamé (plus précisément Jihad Samad) a pu compter sur un soutien logistique et financier de Mikati, sur la base « d’un accord à l’amiable conclu la veille des élections », dont l’un des objectifs étaient d’affaiblir la liste haririenne.


(Lire aussi : Législatives 2018 : Anatomie du vote au Akkar)    


Le revers de Rifi
C’est toutefois la défaite de l’ancien ministre, Achraf Rifi, qui aura le plus surpris, même dans les rangs de ses multiples adversaires. Alors que tous les pronostics le donnaient gagnant, à la lumière notamment de la victoire éclatante qu’il avait marquée lors des municipales de 2016, M. Rifi n’aura au final récolté que 5 931 voix, et sa liste un total de 9 656 voix, n’ayant même pas pu atteindre le seuil électoral requis.

Les explications de ce revers sont multiples. Tout d’abord, relève M. Feghali, on a saboté son partenariat avec Khaled Daher, un leader sunnite de poids dans la région, que le Premier ministre Saad Hariri a réussi à convaincre en dernière minute de se retirer de la course. On a fait également assumer à M. Rifi l’échec de l’expérience municipale, les élus parrainés par l’ancien ministre n’ayant pu tenir aucun de leurs paris en matière de développement.

Ayant plutôt tablé sur l’idéologie que sur le clientélisme, il n’a pu recueillir au final « que les votes des gens de principe, qui continuent de croire à la cause qu’il défend ». « Ce qui fait bouger l’électeur tripolitain est l’intérêt direct et palpable. Or, relève Mohammad Allouche, la capacité de M. Rifi à répondre aux demandes en termes de services est très limitée ».
Au final, conclut Moustapha Allouche, « l’argent est plus fort que les slogans brodés autour des grandes causes. En l’absence de l’État, c’est l’équation des rapports d’intérêts qui reste de rigueur ».



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Si les résultats du scrutin du 6 mai dans la circonscription de Tripoli-Minié-Denniyé (Liban-Nord 2) n’ont pas donné lieu à des surprises inédites, à part peut-être la défaite d’un leader sunnite de poids, Achraf Rifi, il n’en reste pas moins que le décryptage des enjeux et des scores obtenus ici et là n’est pas aisé à Tripoli surtout, une ville à l’humeur changeante et...

commentaires (1)

Seulement 38 % des voteurs inscrits auront voté donc ... Ce n'est pas beaucoup. Ce qui m'étonne aussi c'est après avoir visité Tripoli, c'est une belle ville, j'ai aimé la visite à ses monuments son chateau son vieux centre et son port, c'est que Achraf Rifi ne soit pas élu. Peut-être c'est lié à la participation pendant le vote. Je le dis sans être ni pour ni contre Rifi.

Stes David

07 h 58, le 30 mai 2018

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Commentaires (1)

  • Seulement 38 % des voteurs inscrits auront voté donc ... Ce n'est pas beaucoup. Ce qui m'étonne aussi c'est après avoir visité Tripoli, c'est une belle ville, j'ai aimé la visite à ses monuments son chateau son vieux centre et son port, c'est que Achraf Rifi ne soit pas élu. Peut-être c'est lié à la participation pendant le vote. Je le dis sans être ni pour ni contre Rifi.

    Stes David

    07 h 58, le 30 mai 2018

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