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Liban - Circonscriptions

Législatives libanaises : Anatomie du vote à Rachaya-Békaa-Ouest

Le revers des choix tactiques et stratégiques du courant du Futur.

Caractérisée par une base populaire fidèle à la mouvance souverainiste du 14 Mars (électorat sunnite largement majoritaire, soutenu par un électorat druze de poids), la circonscription de Békaa-Ouest-Rachaya a vu toutefois une défaite caractérisée du courant du Futur. Face à une liste concentrant des figures prosyriennes (Abdel Rahim Mrad, Élie Ferzli, Fayçal Daoud), tacitement soutenues par le Hezbollah, donc une liste du 8 Mars par excellence, le courant du Futur n’a pas réussi (ni voulu ?) constituer une liste représentative de l’identité politique des électeurs. L’anatomie du vote dans cette circonscription remet en cause, par-delà les erreurs des machines électorales, les choix tactiques du courant du Futur, en l’occurrence son alliance tacite avec le Courant patriotique libre (CPL) au détriment des Forces libanaises (FL) et du Parti socialiste progressiste (PSP), ainsi que ses choix stratégiques : la logique du zéro problème avec le Hezbollah, qui a ôté au discours du courant haririen toute crédibilité auprès de ses électeurs. 

La démobilisation des électeurs sunnites, et pas que sunnites, a fait perdre à ce courant son principal candidat à l’un des deux sièges sunnites de la circonscription, le député sortant Ziad Kadri, qui plus est, était son seul candidat partisan. 

Sur un électorat sunnite de près de 70 000 inscrits, 36 000 à 38 000 sont des électeurs potentiels, parmi lesquels 26 000 presque acquis au courant du Futur. De ceux-là, moins de 8 500 ont voté pour M. Kadri, et 8 768 pour son colistier Mohammad Karaaoui, qui a été élu à son détriment. Au moins 10 000 électeurs sunnites relevant du courant du Futur ne se seraient donc pas exprimés dans les urnes. Sachant que le coefficient électoral a été de 11 080, ces électeurs auraient pu faire gagner à la liste Futur-PSP un siège supplémentaire. 


(Lire aussi : Législatives 2018 : Anatomie du vote au Akkar)



Derrière la défaite de Kadri
Le courant du Futur avait pourtant tout fait pour optimiser les chances de M. Kadri. D’abord, il a fait le choix d’écarter de la course l’un de ses deux députés sortants, en l’occurrence Jamal Jarrah, à qui il a fait miroiter un portefeuille ministériel. 

Ce choix a fait suite au mécontentement des électeurs de Békaa-Ouest-Rachaya à l’égard de MM. Kadri et Jarrah, qui avait été transmis au Premier ministre par des notables sunnites et druzes. Mais la mise à l’écart de M. Jarrah n’a pas suffi à forcer l’engagement des électeurs en faveur de M. Kadri. Aussi, parmi les électeurs sunnites, identifiés par village pour donner leur vote préférentiel au favori du courant du Futur, nombreux sont ceux qui se seraient abstenus de voter, en dépit de leur engagement déclaré. 

Même le choix controversé du candidat au second siège sunnite, Mohammad Karaaoui, une figure proche du 8 Mars, avait été fait par le courant du Futur pour servir M. Kadri. « L’idée était qu’il attire une partie des électeurs de Abdel Rahim Mrad, ayant un profil similaire », se défendent certains milieux du courant du Futur. Ce sera « une erreur de calcul », reconnaissent-ils, la victoire allant finalement à MM. Mrad et Karaaoui. Mais comment expliquer que M. Mrad soit le premier gagnant de la circonscription avec 15 111 votes, et que M. Karaaoui ait obtenu de justesse plus de voix que son colistier, Ziad Kadri (8 768 pour le premier contre 8 392 pour le second) ? 

Les deux candidats vainqueurs ont en commun d’avoir exploité leurs ressources personnelles, financières notamment, pour se rallier des votes sunnites, apprend-on de source indépendante. C’est cela l’atout de M. Karaaoui par rapport à Ziad Kadri. Pour ce qui est de M. Mrad, il aurait bénéficié de 2 200 voix chiites du Hezbollah et de 900 votes de druzes, en plus des 11 500 votes de sunnites, dépassant de loin les pointages du courant du Futur qui lui donnaient au plus 6 000 voix sunnites. 


(Lire aussi : Anatomie du vote à Kesrouan-Jbeil)



Virages communautaires
Par-delà les chiffres, l’incapacité du courant haririen à mobiliser ses électeurs est liée aussi à la configuration d’ensemble de sa liste. Sans s’allier formellement au CPL – bien qu’il ait envisagé de le faire dans un premier temps –, le courant du Futur a sélectionné un candidat au siège grec-orthodoxe qui favorise par défaut le candidat de la liste opposée : Élie Ferzli, soutenu par le CPL. Le candidat Ghassan Skaff, médecin certes respectable de Beyrouth, mais méconnu de sa région, avait très peu de chances de faire contrepoids à M. Ferzli. En tout cas, il avait moins de chances que le député sortant Antoine Saad, membre du bloc joumblattiste, écarté par le choix de M. Skaff – non sans compromettre les rapports du courant du Futur et du PSP. Au final, Ghassan Skaff a obtenu 995 voix, le plaçant loin derrière Élie Ferzli, élu avec 4 899 voix. M. Ferzli aurait bénéficié notamment de 1 500 votes chrétiens du CPL et 1 000 votes chiites du Hezbollah, ainsi que de votes sunnites et grecs-orthodoxes indépendants. De l’avis d’une source du courant du Futur, M. Skaff aurait, comme Ziad Kadri, pâti des erreurs de la machine électorale, et en particulier de la portée communautaire que le courant haririen a donnée au scrutin. Les électeurs sunnites préférant un candidat non-sunnite sur la liste, comme Amine Wehbé, un chiite indépendant issu de la mouvance de gauche du 14 Mars – qui n’a obtenu que 350 des 18 000 votes chiites, accaparés par le Hezbollah et Amal –, auraient été sommés de voter pour un candidat de leur communauté : une contrainte qui a dissuadé plusieurs de se rendre aux urnes, de l’aveu de la source du courant du Futur. Cette réorientation communautaire du discours haririen explique que le nouveau bloc du Futur ait perdu le pluralisme qui faisait sa spécificité. 

Mésentente Futur-PSP
Le courant du Futur a essuyé un autre revers : sa mésentente avec le PSP autour du candidat au siège grec-orthodoxe a donné l’impression que le Futur est moins enclin à circonscrire la résurgence des symboles syriens que ne l’est le PSP. Cette mésentente a en tout cas entièrement désolidarisé les deux partis, et exacerbé la portée ultracommunautaire de la nouvelle loi électorale. Waël Bou Faour, seul candidat du PSP sur la liste du courant du Futur – et qui avait caressé l’idée de former une liste indépendante foncièrement hostile à celle du 8 Mars, en réaction à la démarche du courant du Futur –, en est sorti premier vainqueur avec 10 677 voix. Il a obtenu, avec près de 8 000 votes druzes, l’appui de la majorité de l’électorat relevant du PSP, en dépit de voix dissidentes (12 000 à 13 000 sur 21 000 électeurs druzes). Il aurait aussi bénéficié de 1 000 à 1 500 votes sunnites, ainsi que de votes chrétiens.

La mise à l’écart de M. Saad coûtera au courant du Futur la défaite du ministre Ghattas Khoury dans le Chouf, même si les milieux de ce courant démentent l’existence d’un tel lien. 


(Lire aussi : Législatives libanaises : Anatomie du vote à Baabda)



Le cas Henri Chedid
Le seul candidat « imposé » par le courant du Futur à avoir été élu est le candidat au siège maronite, Henri Chedid. Il avait été retenu au détriment du candidat des FL, et en dépit de pressions du PSP pour l’intégration de ce parti chrétien sur la liste. Nuance toutefois : ce qui a fini par assurer la victoire de M. Chedid ne serait pas le courant du Futur mais les FL. Celles-ci auraient décidé, à deux semaines des législatives, de mobiliser leur électorat, estimé à 3 000 voix, en faveur de M. Chedid, en contrepartie de l’adhésion de ce dernier au groupe parlementaire des FL. Sur les 1 584 voix qui l’ont fait élire, il faudrait compter entre 700 et 1 000 votes des FL (c’est dire si l’électorat chrétien, estimé à 30 000, moins actif qu’en 2009, aurait pu être mobilisé par une alliance entre le courant du Futur, le PSP et les FL autour de candidats probants). L’adhésion de M. Chedid au groupe des FL n’a pas duré plus d’une semaine. Il a déclaré jeudi dernier, depuis le Grand Sérail, vouloir rejoindre le bloc du Futur. Il aurait lancé des promesses similaires au CPL, mais aussi au Hezbollah. Ce qui pourrait aussi expliquer le maigre résultat de son rival, Naji Ghanem, maronite soutenu par Amal. Ce dernier a en tout cas été dépassé par sa rivale sur la liste de la société civile, Maguy Aoun, figure médiatique appréciée de la région, qui a réussi à marquer 847 voix, dépassant largement le résultat de ses colistiers.



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