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Idées - Point de vue

Abstention aux législatives libanaises : les leçons d’un échec collectif

Photo d’illustration archives L’OLJ

Les élections législatives de dimanche laissent un goût d’inachevé pour tous les acteurs politiques et en particulier pour les formations issues de la société civile, dont la nôtre, Koullouna Watani. Privés d’échéance électorale majeure depuis 2013, nous attendions avec impatience cette élection pour débattre et essayer de convaincre les citoyens de notre pays de l’intérêt du changement.
La coalition que nous avions formée avec une grande partie des acteurs aspirant à ce changement s’est néanmoins retrouvée désarmée face aux nouvelles règles du jeu médiatique mises en œuvre. La marchandisation à outrance de l’espace médiatique, les sommes astronomiques réclamées pour les apparitions à la télévision ont rendu notre message inaudible et nous ont coupé de la majorité des électeurs. Cet accaparement du paysage médiatique par certains acteurs politico-affairistes a remis à plus tard les vrais débats politiques, sociaux et sociétaux. Aucun débat sérieux sur le rôle de l’État dans la gestion des affaires publiques ou la sécurité – militaire, économique ou sociale – n’a en effet pu émerger. De même, des questions de société, aussi importantes que la protection des droits et libertés individuelles, la place de la femme dans la société et le respect de ses droits fondamentaux – au premier rang desquels celui de transmettre la nationalité –, la protection sociale pour tous ou la protection des plus démunis, n’ont été abordées qu’à la marge.


(Lire aussi : Koullouna Watani pourrait présenter des recours en invalidation)


Irrégularités par milliers
Il faut aussi continuer de se pencher avec attention sur les irrégularités dont ont été victimes toutes les listes s’opposant aux grands partis et les milliers d’incidents recensés par l’Association pour des élections démocratiques (LADE). À Koullouna Watani, nous avons payé le prix de ces irrégularités : notre candidate au Liban-Sud III, Rima Hmayed, a ainsi été molestée et empêchée de quitter un bureau de vote pendant presque une heure ; nos délégués dans plusieurs régions (en particulier à Tripoli, Jbeil, Chouf et Beyrouth) ont été empêchés de faire leur travail de surveillance des élections et des dizaines de nos représentants n’ont pu accéder aux bureaux de vote pendant plusieurs heures dimanche matin; quant au dépouillement final dans les centres de consolidation, il a été d’une désorganisation alarmante… La liste est longue, mais le comble réside sans doute dans la panne, survenue à Beyrouth I, du système informatique – ayant coûté plusieurs dizaines de millions de dollars – qui a produit un miracle : donnée gagnante avant la panne, notre candidate Joumana Haddad ne l’était plus après…

À regarder cette élection dans le rétroviseur, on se rend compte qu’en définitive, il s’agissait une élection en trompe-l’œil, sans odeur ni couleur. L’establishment en est-il le seul responsable ? Certainement pas : si, à Koulouna Watani, nous estimons avoir réussi le pari de trouver les compromis nécessaires pour rassembler le plus grand nombre d’acteurs du changement au sein d’une campagne que nous savions difficile et déséquilibrée, nous avons malheureusement manqué de créativité pour surmonter ces difficultés et les tourner à notre avantage. Au final, le résultat est là : la très forte abstention (plus de 51 % des inscrits) constitue un échec collectif pour l’ensemble des acteurs politiques, notre formation comme les autres. Notre participation aux élections nous met devant nos responsabilités et doit notamment nous pousser à nous interroger : pourquoi seuls 31 % des électeurs de Beyrouth I se sont rendus aux urnes ? Ce faible taux de participation, en particulier en milieu urbain, nous a été fatal.

Le succès exceptionnel de Paula Yaacoubian, élue à Beyrouth I, et la confusion qui règne toujours sur le sort de Joumana Haddad – et qui fera l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel – ne doivent pas masquer la réalité : l’ensemble des formations politiques n’a pas pu mobiliser et intéresser plus des deux tiers des électeurs, et ceci est un échec collectif. Notre rôle est de réconcilier les citoyens avec le politique ; or, à première vue, cela n’a pas fonctionné. Les partis traditionnels ont su en partie mobiliser leurs partisans, malheureusement beaucoup de paramètres ont démobilisé ceux sur qui nous comptions et qui comptaient sur nous.


(Lire aussi : Anatomie du vote à Beyrouth I)


Équité médiatique
Comme après chaque échéance électorale, les leçons que nous devons tirer de cette campagne sont multiples. De manière générale, il sera d’abord essentiel de confier la gestion des opérations électorales à une véritable autorité indépendante, disposant de pouvoirs effectifs, et non à un semblant de commission électorale, comme celle qui a brillé par son absence lors de ce scrutin. D’autre part, une réelle équité de traitement entre les candidats pour leurs apparitions dans les médias devra être imposée et contrôlée : sans vrai débat politique contradictoire, point de démocratie.

En ce qui nous concerne, Koullouna Watani doit désormais analyser les résultats obtenus, bureau de vote après bureau de vote, et s’appuyer sur cette analyse pour continuer à affiner une approche de la politique que nous voulons plus participative, et ce, à tous les niveaux de décision. À cet égard, les quelque 40 000 voix qui se sont portées sur nos listes lors de notre première campagne électorale constituent autant de signes d’espoir pour l’avenir.

Nous ne sommes pas, et nous ne devrons certainement pas être les seuls acteurs politiques qui aspirent au changement, mais il est de notre devoir de faire le nécessaire pour façonner le paysage politique libanais afin qu’il ressemble davantage à la société civile. Parvenir à imposer les questions essentielles dans le débat public, plutôt que de le laisser cantonné aux invectives de part et d’autre, sera notre prochain cheval de bataille.

Les chantiers sont énormes, les défis aussi. Quant à la défiance vis-à-vis de l’establishment, elle est à la mesure de l’échec de certains de ses représentants... Les élections sont derrière nous, les prochaines devraient avoir lieu dans quatre ans. En attendant, il appartient à tous les acteurs politiques, et en premier lieu à ceux qui prétendent être des acteurs de progrès, d’agir avec le bien commun comme boussole et de construire un système différent et porteur d’espoir pour l’avenir. Bref, de ramener le politique au cœur de la cité.

Wadih al-Asmar est cofondateur du mouvement « Vous puez! » et co-animateur des listes électorales Koullouna Watani (« Mon pays »).


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commentaires (5)

C'est scandaleux que la loi électorale n'ait pas prévu l'égalité du temps de parole entre tous les candidats. Je découvre ici que les télés ont monnayé au prix fort les passages des candidats à l'antenne ce qui fausse complètement le jeu au profit des partis bien installés. Tant que l'État n'assumera pas son rôle, en arbitrant les temps de parole et en les finançant, la corruption aura encore des boulevards devant elle. Bravo à l'OLJ d'avoir ouvert ses colonnes à M. Asmar.

Marionet

00 h 11, le 14 mai 2018

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Commentaires (5)

  • C'est scandaleux que la loi électorale n'ait pas prévu l'égalité du temps de parole entre tous les candidats. Je découvre ici que les télés ont monnayé au prix fort les passages des candidats à l'antenne ce qui fausse complètement le jeu au profit des partis bien installés. Tant que l'État n'assumera pas son rôle, en arbitrant les temps de parole et en les finançant, la corruption aura encore des boulevards devant elle. Bravo à l'OLJ d'avoir ouvert ses colonnes à M. Asmar.

    Marionet

    00 h 11, le 14 mai 2018

  • Et si on relisait bien consciencieusement cet article qui énumère toutes les fraudes commises par tous: -les partis résistants -les partis résistant aux autres résistants "différents" -les soi-disant irréprochables et purs -les partis fanfarons -les partis ouvertement non-libanais on comprendrait vite que ces élections n'ont éte qu'un vaste cirque à la libanaise, et sans effet bénéfique pour notre pays...dommage ! Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 22, le 13 mai 2018

  • On parle d'échec du à l'abstention, mais si le camp des , comment les appeler encore , 14 Mars ? Souverainistes ? DÉFAITISTES ? Bref si ce groupe qui a perdu avait remporté ces élections, on aurait lu autre chose , comme du genre, le hezb libanais de la résistance défait, rejeté, punit ..... Etc.. .... Donc tout dépend de là où on met le curseur .

    FRIK-A-FRAK

    14 h 51, le 13 mai 2018

  • Y EUT-IL DES ELECTIONS LIBRES ET DEMOCRATIQUES A L'OMBRE DES ARMES ILLEGALES ? BIEN SUR QUE NON !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 40, le 13 mai 2018

  • Mon impression comme étranger c'est que c'est aussi très difficile de faire une campagne politique serieuse dans un mélange de communeautés différentes comme me semble être le Liban. Si c'est une consolation, le grand taux d'abstention en Europe pour les élections européennes c'est aussi parce que l'européen a l'impression que son vote n'importe pas beaucoup pour un parlement ou les mandats sont distribués entre les chefs des pays différents; et ce taux d'abstention est similaire qu'au Liban: pour les élections européens seulement 42,5% des européens votaient en 2014 car le sentiment est que peu importe. En 2009 c'était 43 pourcent. Donc les Libanais malgré tout font encore un bon effort.

    Stes David

    10 h 07, le 13 mai 2018

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