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Liban - Législatives 2018 - Interview

À Beyrouth I, la bataille de Pharaon est « une résonance politique de celle du 14 Mars »

Michel Pharaon.

Candidat à sa propre succession au siège grec-catholique de Beyrouth I (Achrafieh-Rmeil-Saïfi et Médawar), Michel Pharaon affiche une sérénité et une assurance à toute épreuve qu’il puise dans sa confiance dans un électorat qui, comme lui, reste fidèle aux principes du 14 Mars et de la révolution du Cèdre dont il a été l’un des principaux acteurs. Très proche de sa base populaire qui ne l’a jamais déçu, le ministre et député est engagé, comme on le sait, dans la bataille électorale sur une liste avec les Forces libanaises, les Kataëb et des candidats indépendants. Une liste soutenue aussi par Antoun Sehnaoui. Cette alliance est somme toute très naturelle étant donné qu’avec les Kataëb et les FL, c’est un même combat qu’il a mené sur de nombreux dossiers, dans un même dessein, celui d’une rationalisation de la politique de l’État. Un objectif qu’il reste déterminé à poursuivre, une fois le scrutin terminé.

Candidat indépendant depuis le début de sa carrière de parlementaire, même lorsqu’il se présentait aux élections sur la liste du fondateur du courant du Futur, Rafic Hariri, Michel Pharaon a essayé dans la perspective de la consultation populaire de dimanche de rééditer l’expérience des municipales et de former à Beyrouth I une coalition de partis, en se fondant pour cela principalement sur le rapprochement de 2016 entre les FL et le CPL, un rapprochement qu’il avait salué parce qu’il permettait aux deux formations de tourner la page d’un passé douloureux. Mais il devait vite déchanter au vu des exigences des interlocuteurs aounistes. « J’avais fait un tour d’horizon avec tous les partis, dont le CPL et le Tachnag, et il était clair qu’on se dirigeait vers une bataille. Certaines personnes du CPL souhaitaient encore ce rapprochement avec les FL (malmené à cause des dossiers des navires-centrales et des nominations). Il y avait cependant une certaine logique politique : dans une coalition incluant un candidat du CPL, il fallait qu’il y ait aussi Nadim Gemayel. L’équation était malheureusement impossible. Parallèlement, Sami Gemayel m’avait expliqué, en présence de Nadim, qu’il refusait d’être sur une même liste avec le CPL mais j’avais aussi compris que les Kataëb n’avaient pas de problème à s’allier aux FL à Achrafieh », raconte M. Pharaon.


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 « Avec cette loi, bizarrement, il est préférable d’avoir une bataille politique, mais s’il y avait eu une coalition, nous l’aurions perçue sur base de ce qui pourrait être le résultat des élections : quatre et quatre, pour chaque camp. Il existe des forces connues à Achrafieh qui, dans une loi proportionnelle, méritent d’être représentées. La position du CPL ne correspondait pas à ce qu’on voyait comme forces en présence et donc je peux dire que les discussions se sont arrêtées tôt. J’avais cependant insisté pour laisser une place libre sur notre liste pour le candidat du Henchag-Futur parce que nous considérions qu’il était normal qu’il soit avec nous, jusqu’au moment où nous avons été avisés qu’il allait être sur la liste du CPL, ce qui n’était pas naturel. »
Si son alliance avec les FL et ses relations, qu’il qualifie de très bonnes, avec Nadim Gemayel « confèrent une certaine stabilité politique à Achrafieh », une coalition plus élargie aurait eu l’avantage, comme pour les municipales, de « dégager un accord interchrétien sur les affaires en rapport avec le développement » et, au niveau politique, de « rassembler sur une même liste toutes les forces actives de Beyrouth I ». Il avait réussi cette gageure lorsqu’il avait été chargé en 2016 par le président Michel Aoun, le Premier ministre Saad Hariri et les FL, de former une alliance dans la perspective des municipales.


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Des projets bloqués
« À l’époque, raconte Michel Pharaon, on avait presque autant de griefs que ce qu’on appelait la société civile, contre l’action municipale, mais politiquement, pour qu’il y ait une représentativité et vu que le CPL, au sein du gouvernement Mikati, bloquait beaucoup de projets prévus pour notre région, afin qu’on ne puisse pas les mettre à notre actif, j’avais considéré que cela permettait de dissocier l’action politique de celle du développement. Nos projets étaient tous prêts en 2011 mais ils sont restés bloqués. En 2016, lorsque la coalition avait été formée, le CPL avait accepté d’endosser tous nos projets pour la région, même s’il n’a pas vraiment tenu parole par la suite : l’aménagement de mégaparkings limitrophes de la région, l’autoroute Fouad Boutros, dont on pense modifier le parcours, un projet de tunnel sous l’avenue Charles Malek… D’autres projets sont moins connus du public, comme l’établissement, avec la municipalité de Beyrouth, de deux centrales électriques à la Quarantaine et à Horch Beyrouth pour assurer l’électricité en permanence à la capitale. C’était l’un de nos projets-clés. Un autre projet boqué est celui du dessalement de l’eau de mer. »


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Le vote arménien
Une alliance interchrétienne à Beyrouth I n’est pas jugée comme étant contre-nature par M. Pharaon. Il trouve prématuré de commenter l’opportunité de la loi électorale hybride proposant un mélange des deux systèmes proportionnel et majoritaire. « À cause du vote préférentiel, cette loi fait que chaque candidat est en train de mener une campagne à la dimension de son district électoral, ce qui est quelque part malsain, alors que dans le passé, les colistiers étaient soudés », déplore-t-il, en reconnaissant cependant que les voix préférentielles vont au moins permettre à chaque candidat d’ « évaluer, au vu des résultats, sa base populaire ».
Le ministre se montre confiant quant aux résultats attendus et rappelle qu’ « aux législatives de 2009, notre score était de 5/0 par rapport à la liste adverse, puis de 12/0 aux élections des moukhtars en 2016 ». « La majorité qu’on avait aux élections dans notre circonscription, sans Medawar, est claire », explique-t-il. Le fait d’avoir associé ce quartier aux trois autres, qui composent Beyrouth I, n’aura pas une incidence majeure sur le résultat du scrutin, à cause, précisément, du vote préférentiel. « Il est clair que l’apport de nouvelles voix changera la proportion de la majorité des suffrages, mais vu le nombre de candidats arméniens, les voix arméniennes vont se diviser également. Elles n’influenceront pas les voix non arméniennes. Elles vont bien entendu hausser le coefficient électoral et favoriser ainsi leurs députés », analyse-t-il.
S’il considère que dans plusieurs régions, les coalitions électorales qui n’ont pas de résonance politique claire vont permettre à chacun de prendre les voix qui correspondent à sa base, il souligne que sa liste se caractérise par le fait qu’elle constitue « une résonance politique de la bataille du 14 Mars. (….) À part le candidat arménien du Henchag qui était notre allié électoral et qui est dans le bloc du Futur, notre bataille n’est pas loin de celle de 2009, avec une atmosphère à Achrafieh, qu’on sait, qu’on sent, qu’on vit, qui est 14-marsiste dans les titres et dans les constantes et les principes, même si le 14 Mars n’est plus une coalition politique ». « Les constantes souverainistes restent importantes pour nous et pour les électeurs d’Achrafieh », insiste Michel Pharaon.


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Un programme s’inscrivant dans une continuité
Ce sont ces mêmes constantes, qui constituent la pierre angulaire du projet d’édification de l’État, qui motivent son action au sein du gouvernement : avec les Kataëb, jusqu’à leur démission du gouvernement Salam, à cause du cafouillage qui a marqué la gestion de la crise des déchets, puis avec les FL au sein du gouvernement actuel de Saad Hariri. Le programme électoral des trois alliés s’inscrit ainsi dans la continuité naturelle d’une action qu’ils mènent sans relâche et qui est appelée à s’intensifier après les élections, à cause, principalement, de la gravité de la situation économique dans le pays.
Concernant ses priorités au sein du nouveau Parlement, M. Pharaon répond ainsi sans hésiter : « Les dossiers délicats qui sont en Conseil des ministres. » Il met en avant notamment la lutte contre la corruption et un accord autour d’une stratégie nationale de défense : « Presque à chaque Conseil des ministres, j’ai un problème à cause des histoires de corruption, mais aussi de la loi sur les PPP (partenariats public / privé) qui n’est pas appliquée. Le problème de corruption ou même de rumeurs de corruption commence à gangréner le tout. Après ces élections, on n’a plus le luxe de ne pas avoir une équipe gouvernementale qui a la compétence, l’honnêteté et l’expérience nécessaires, l’une ne pouvant aller sans les deux autres », affirme-t-il.
Soulignant l’importance des dossiers qui nécessitent tous des financements importants et des réformes fondamentales, Michel Pharaon insiste sur le fait que, « contrairement à ce que les gens croient, les autorités ont une baguette magique pour changer les choses ». « Il s’agit de la loi sur les PPP votée depuis le 18 septembre 2017, précise-t-il. Tous les gros dossiers qui concernent les télécommunications, l’électricité et l’infrastructure peuvent être placés sous cette loi. L’affaire des navires-centrales peut être aussi réglée dans ce cadre. ».


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Stratégie de défense et indices de confiance
Une autre priorité, non moins importante pour lui, est celle d’une entente sur une stratégie nationale de défense, « un grand sujet politique qu’on n’a plus le luxe d’aborder en tant que tel ». « S’il y avait eu un accord sur une stratégie de défense en 2005 ou 2006, la guerre de juillet (2006) n’aurait peut-être pas eu lieu. Il n’y aurait même pas eu besoin de Paris 3 ou de CEDRE. Aujourd’hui, à cause de cette dualité des armes, sans définition précise de la liaison entre celles des forces légales et celles qui se trouvent en dehors des institutions militaires, il existe véritablement un problème de confiance », souligne Michel Pharaon. Et d’expliquer : « Dans tous les pays démocratiques, l’indice de confiance est représenté par les indices économiques et il est relié à la politique. Après le renversement de l’accord de Doha (2008) qui bénéficiait d’une couverture politique locale et internationale, un problème de confiance est apparu. Il n’y a plus eu d’investissements au Liban depuis 2011. La croissance a également baissé et la dette continue de grimper. Si l’accord de Doha avait été maintenu et s’il y avait eu une entente autour d’une stratégie nationale de défense, la croissance serait restée à 5 ou 6 % et les Libanais seraient revenus investir dans le pays. Le problème de la dualité des armes n’est donc pas seulement souverainiste. Il est existentiel parce qu’il affecte les deux domaines financier et économique. Les représentants du Hezbollah au gouvernement parlent maintenant de réformes et de développement économique. Mais nous n’avons plus d’investissements ! »


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Poursuivant ses explications, il relève que « le ratio dette / PNB aurait pu être préservé pour maintenir une stabilité financière si la croissance n’avait pas baissé à cause de ces considérations politiques ». « Notre stabilité financière commence à être en danger à cause de ce ratio qui monte d’année en année. Pour la protéger, il nous faudrait aujourd’hui une croissance économique de 15 %, ce qui est impossible. En l’absence de réformes politiques, et d’une stratégie claire de défense, nous sommes véritablement en danger. Il ne suffit pas de présenter juste un programme pour que les choses changent. Il faut d’un côté une équipe véritablement sérieuse pour l’appliquer et l’arrêt des grosses corruptions. Il faut, surtout, un accord politique qui puisse ramener les investissements au pays », soutient-il.
Un autre dossier qui lui tient à cœur est celui des déchets. « Je suis le seul ministre à avoir voté contre la solution qui avait été adoptée par le gouvernement pour la gestion des ordures (l’élargissement des décharges de Costa Brava et de Bourj Hammoud, avant l’achat d’incinérateurs), parce que la première proposition faite par le ministre de l’Environnement était plus valable. Ce qui se passe est un cauchemar. Le dossier des déchets devrait être lui aussi sous les PPP. (…) Tout est relié quelque part à la corruption. Le coût de traitement des déchets dans la solution préconisée par le ministre de l’Environnement aurait pu tourner autour de 30 dollars la tonne, mais aujourd’hui, les solutions votées au gouvernement vont monter à plus de 100 dollars la tonne, alors qu’on n’a plus de moyens et qu’on va en avoir de moins en moins », avertit-il.


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Candidat à sa propre succession au siège grec-catholique de Beyrouth I (Achrafieh-Rmeil-Saïfi et Médawar), Michel Pharaon affiche une sérénité et une assurance à toute épreuve qu’il puise dans sa confiance dans un électorat qui, comme lui, reste fidèle aux principes du 14 Mars et de la révolution du Cèdre dont il a été l’un des principaux acteurs. Très proche de sa base...

commentaires (2)

Mais comment peut-on croire tous ces candidats (de tous bords) qui faisaient partie intégrante de la politique libanaise durant des années et qui, du jour au lendemain, ont des projets grandioses et si purs ! Pour la première fois, on a l'opportunité d'élire des personnes de la société civile, et on devrait à tous prix voter pour eux ! Les gens qui pensent que cette fois-ci, le parti X our "mars" Y, vont agir différemment, se fourrent le doigt dans l'œil et n'auront qu'à se blamer dans quelques années...

Grand Duc

14 h 46, le 03 mai 2018

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Commentaires (2)

  • Mais comment peut-on croire tous ces candidats (de tous bords) qui faisaient partie intégrante de la politique libanaise durant des années et qui, du jour au lendemain, ont des projets grandioses et si purs ! Pour la première fois, on a l'opportunité d'élire des personnes de la société civile, et on devrait à tous prix voter pour eux ! Les gens qui pensent que cette fois-ci, le parti X our "mars" Y, vont agir différemment, se fourrent le doigt dans l'œil et n'auront qu'à se blamer dans quelques années...

    Grand Duc

    14 h 46, le 03 mai 2018

  • Excellent, très beau votre discours, Mr Pharaon! Mais vous esquissez une image incroyablement dramatique de notre situation économique qui ne pourrait qu’empirer et nous mener à la faillite garantie si rien ne change... Vous soulignez que, quelque part, tout est lié à la corruption! Vous faites partie de l’establishment politique depuis des décennies et on ne vous a jamais entendu dénoncer cette médiocrité ambiante et pourrie de cette manière! Serait -ce le bla-bla pré-électoral qui deviendra « business as usual » par la suite, où seriez-vous à la tête d’un renouveau politique pour lutter ouvertement contre cette corruption et joindre la société civile à votre bataille? On vous lance le défi!

    Saliba Nouhad

    02 h 21, le 03 mai 2018

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