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Liban - Législatives 2018 - Portrait

Teymour Joumblatt, l’homme qui veut en finir avec la politique des clans

Teymour Joumblatt. Photo PSP

Sa démarche élégante en costume-cravate, ses cheveux coupés court, son nez aquilin, son front pensif et sa voix posée évoquent au premier abord son grand-père, Kamal. Mais sa façon de parler, son humour particulier, une tendance marquée vers l’humilité, voire parfois l’autodérision, son sourire espiègle, ainsi que certaines expressions du visage – des yeux plus particulièrement – rappellent immanquablement son père, Walid. Teymour Joumblatt, candidat à l’un des sièges druzes dans la circonscription du Chouf-Aley, est sans conteste l’héritier de l’une des familles politiques qui ont le plus marqué la politique libanaise au cours du XXe siècle... pour ne pas retourner jusqu’au XVIIe siècle.

Mais s’il est indiscutablement source de fierté, cet héritage constitue également une pression inimaginable pour lui, avoue-t-il. « C’est très dur d’être à la hauteur de mon grand-père et de mon père, d’autant que les gens attendent cela de moi », affirme le jeune bey, dans le cadre de son premier entretien à bâtons rompus avec L’Orient-Le Jour, entre un verre d’Hermitage de Chave et un Amaretto Sour. « Mais j’estime que j’ai plus de pression sur les épaules que Walid Joumblatt lorsqu’il a repris le flambeau. Lui n’avait que Kamal Joumblatt comme modèle à égaler. Moi, je dois me montrer à la hauteur des deux… », explique-t-il.

De son grand-père, Teymour  Joumblatt n’a pas hérité que d’une ressemblance physique. S’il avoue ne pas partager l’engouement de Kamal Joumblatt pour la spiritualité et le yoga, il en a pris l’amour du calme, du recueillement et de la solitude – « ma spiritualité à moi, c’est la lecture, la musique, marcher seul et rester seul », explique-t-il –, mais aussi « son romantisme et son idéalisme, dont il a payé le prix ». « C’est pour cela que je veux prendre aussi du réalisme de mon père, et mélanger les deux », note le jeune homme de 36 ans, avant d’ajouter : « Mais j’ai surtout envie d’être moi-même. »


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La contrainte de la tradition
L’envie de faire ses propres marques revient comme un leitmotiv dans le discours de Teymour Joumblatt. « Je n’ai pas choisi moi-même mon parcours », confie-t-il, avec une pointe de mélancolie. Le jeune homme voulait en effet faire des études de droit à l’Université Saint-Joseph, ou encore des études d’histoire à Londres dans le cadre du King’s Scholars Program – « parce que nous vivons en plein dans l’histoire, mais nous n’en apprenons jamais rien » –, une matière qu’il aime profondément, comme son père. Mais Walid bey en décide autrement et Teymour Joumblatt ira poursuivre des études en affaires internationales, conflits et sécurité à l’Institut d’études politiques de la rue Saint-Guillaume à Paris, la ville préférée de ce parfait francophone. Il y a d’ailleurs vécu dix ans, et ses deux enfants Sabine et Fouad y sont nés.

C’est donc sous la contrainte de la tradition que Teymour Joumblatt est entré en politique – une « politique » pour laquelle il n’a pas vraiment de bons sentiments. « Je n’aime pas la politique, c’est vrai. Au Liban, il n’y en a d’ailleurs pas une à proprement parler. C’est une politique de clans. Chaque chef de parti ou de communauté travaille pour lui-même et pour les siens, c’est tout. Il n’y a pas d’intérêt général », affirme-t-il. « La première question que l’on vous pose c’est : “D’où êtes-vous ?” , pour éviter de vous demander de quelle confession vous êtes. Il y a 19 politiques au Liban, et aucune politique commune. Nous sommes incapables d’élaborer un projet pour assainir l’électricité, par exemple », poursuit le jeune leader.


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Las du discours sectaire
Teymour Joumblatt n’a passé qu’une dizaine d’années au Liban en tout et pour tout. Après avoir reçu des menaces du régime syrien – le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam avait transmis un sinistre message de Bachar el-Assad à son père lors d’une visite à Moukhtara en 2003 –, et dans la foulée de l’assassinat de Rafic Hariri et du printemps de Beyrouth, Walid Joumblatt l’envoie à Paris pour le protéger d’éventuelles représailles. Il y apprend l’autonomie et le sens des responsabilités, mais regrette de ne pas avoir vécu la journée du 14 mars 2005, « parce qu’elle était représentative d’un rêve d’unité que je souhaite voir se réaliser un jour au Liban ». « Je me souviens que dans un kiosque à Paris, ce jour-là, un Français a dit à un autre : “Vous allez voir, dans un mois ils vont de nouveau se taper dessus”. J’en avais été vexé. Je doute qu’une journée pareille se reproduise de sitôt. Nous avons régressé d’une quarantaine d’années, avec le repli sur soi et le discours sectaire, surtout celui qui est employé par le chef du Courant patriotique libre actuellement », dit-il.

Interrogé dans ce cadre sur les chrétiens victimes de représailles après l’assassinat de Kamal  Joumblatt le 16 mars 1977 et la réconciliation de la Montagne entre son père et le patriarche Sfeir en août 2001, Teymour Joumblatt rappelle qu’il a lui-même effectué une tournée l’an dernier au Chouf, « pour présenter mes excuses à mon tour ». « Je n’ai pas vécu tout cela, mais je suis prêt à m’excuser encore si c’est nécessaire, afin de maintenir le calme. J’espère seulement que ceux qui alimentent le discours sectaire s’excuseront eux aussi un jour. Nous avons tous été victimes et bourreaux durant la guerre et nous avons tous fait des erreurs, dit-il. Avec les Forces libanaises et les Kataëb, il n’y a pas de problème : ils sont attachés à la réconciliation qui a eu lieu, précise-t-il. Mais le CPL considère, lui, que la réconciliation n’a pas été conclue avec lui et qu’elle n’existe donc pas. Or cette réconciliation a bien eu lieu il y a dix ans, et il faut maintenant la consolider avec des projets de développements. »

Ses priorités en tant que leader aujourd’hui sont au niveau de trois secteurs : l’électricité, la santé, avec la crise des déchets, et l’eau. « C’est l’essentiel. Pour un pays qui continue de se vanter d’être l’exception culturelle du monde arabe, c’est grave d’en arriver à ce niveau. L’infrastructure, c’est ce qui fait un pays », affirme Teymour Joumblatt. « Il faut commencer quelque part. On ne change pas un pays de haut en bas », dit-il, en insistant sur l’éducation au civisme.


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Le legs de May Joumblatt
Mais le domaine public est loin d’être le seul centre d’intérêt de Teymour Joumblatt. Il doit en effet à sa grand-mère May Joumblatt, née Arslane, un goût immodéré pour l’art et la culture, et c’est avec une tendresse infinie qu’il évoque le souvenir de cette femme extraordinaire. « C’est elle qui tenait la maison à tous les niveaux. C’était notre repère à mon père et moi. Elle m’envoyait des photos d’acteurs. Elle aimait beaucoup le cinéma, la musique, l’opéra, le jazz et la musique italienne. Nous avons d’ailleurs vécu deux ans à Rome ensemble », raconte-t-il. C’est elle aussi qui l’a initié à la poésie et au dessin, et qui lui a communiqué son sens de l’élégance vestimentaire. Et de souligner : « Ma grand-mère était une survivante. Elle m’a marqué par sa forte personnalité et sa culture. Elle était impressionnante. Elle n’avait même pas besoin de parler pour exprimer son autorité. »

Grâce au legs de May Joumblatt, Teymour Joumblatt est un véritable cinéphile. Ses acteurs préférés ont pour nom Gary Cooper, Humphrey Bogart, Cary Grant, Burt Lancaster, Gregory Peck ou Paul Newman ; ses réalisateurs Howard Hawks, Robert Aldrich, Jean-Luc Godard, Élia Kazan, Gillo Pontecorvo, Bernardo Bertolucci, Ken Loach, Mike Leigh, Paolo Sorrentino, l’Anglais Steve McQueen, Cédric Klapisch ou Jacques Audiard. Et, sur le plan musical, les musiciens et chanteurs qu’il aime écouter sont Miles Davis, Leonard Cohen, Jacques Brel, les Beatles, Pink Floyd, U2, Radiohead, ou encore Gregory Porter. Il cite également Francis Bacon parmi ses influences en peinture, et adore Dostoïevski, J. G. Ballard, Nabokov, ou encore Les Derniers jours d’un condamné, de Victor Hugo en littérature. Le jeune leader est aussi poète et envisage de publier un jour un recueil de ses poèmes. « Mais cela fait cinq ans que je n’ai plus touché à la poésie – je n’ai plus l’inspiration, politique oblige… », révèle-t-il.

« Le cinéma est un moyen pour moi de m’évader de la réalité, confie Teymour Joumblatt, et il faut pouvoir rêver de temps en temps. Le Liban aussi est un rêve. J’espère que nous pourrons en faire une réalité, un Liban d’unité et de la souveraineté, loin des conflits sectaires, de l’ultracommunautarisme et de l’ultra-individualisme, du chaos et de l’incivilité – même si cela doit prendre encore quelques générations… »



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Sa démarche élégante en costume-cravate, ses cheveux coupés court, son nez aquilin, son front pensif et sa voix posée évoquent au premier abord son grand-père, Kamal. Mais sa façon de parler, son humour particulier, une tendance marquée vers l’humilité, voire parfois l’autodérision, son sourire espiègle, ainsi que certaines expressions du visage – des yeux plus particulièrement...

commentaires (6)

Malgré la grande différence d'âge, je suis d'accord avec Taymour sur Gary Cooper, vedette de "High Noon" ainsi que sur le Don-Quichottisme de Gébran Bassil.

Un Libanais

16 h 35, le 30 avril 2018

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Malgré la grande différence d'âge, je suis d'accord avec Taymour sur Gary Cooper, vedette de "High Noon" ainsi que sur le Don-Quichottisme de Gébran Bassil.

    Un Libanais

    16 h 35, le 30 avril 2018

  • Look who is talking... unbelievable.

    FRIK-A-FRAK

    15 h 52, le 30 avril 2018

  • "l’homme qui veut en finir avec la politique des clans" A tiens? il suffit que le Monsieur/Beik se relise pour voir quel mensonges il dit

    Mill Linro

    12 h 42, le 30 avril 2018

  • C'est incroyable comme tous ces candidats sont dévoués au bien-être du Liban...avant le 6 mai 2018...! Attendons de voir ce qui arrivera...après cette date, au cas ou ils seront élus ! Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 36, le 30 avril 2018

  • NAIF QUI CROIT QUE LES HERITIERS DE LA CASTE REGNANTE POURRAIENT REFORMER LE PAYS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 12, le 30 avril 2018

  • Lecture non indispensable puisque je vote à Beyrouth. Tant mieux.

    M.E

    07 h 25, le 30 avril 2018

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