« Nos députés ont-ils rempli leur devoir ? » C’est à partir de cette question que le LCPS (Lebanese Center for Policy Studies) a effectué une étude chiffrée pour mesurer et évaluer les prestations des membres sortant du Parlement pour la période s’étendant de 2009 jusqu’à 2017.
Annoncés jeudi lors d’une conférence organisée au Mövenpick, les résultats sont « choquants » et « désolants », notamment pour ce qui est du taux de productivité des législateurs et de la pertinence des lois adoptées par rapport aux doléances des citoyens (également répertoriées dans l’étude). Réduite à son strict minimum également, la mission de contrôle de la politique du gouvernement, qui incombe aux députés, laisse tout autant à désirer. C’est ce qui ressort des chiffres dévoilés par cette étude, qui constituent une véritable mise à nu des parlementaires, de leur sérieux et de leur efficacité.
Dévoilée un mois et demi avant les législatives, le timing de la publication des résultats « est voulu », relèvent le directeur exécutif du LCPS, Sami Atallah et le président du conseil d’administration, Mohammad Alem. Selon eux, ces informations sont l’occasion pour les citoyens de faire un choix éclairé lors de la prochaine consultation électorale.
« Savez-vous quel est le plus beau métier au monde ? Celui de député au Parlement libanais », lance M. Alem à l’audience. Et pour cause, explique-t-il, « les représentants de la nation touchent des salaires consistants pour travailler uniquement six mois sur douze. De plus, dit-il, ils échappent à toute reddition de compte ».
Pour la majorité d’entre eux, leur méconnaissance des dossiers intéressant les citoyens est scandaleuse, si l’on en croit les chiffres. En effet, un grand nombre parmi les représentants de la nation ne connaissent pas les chiffres du chômage ou de la pauvreté, explique M. Atallah. « Seuls 37 députés sur 128 ont pu donner le chiffre exact du chômage », dit-il. « Seuls 5 sur 128 ont admis que le chômage était un véritable problème », ajoute-t-il. Idem pour le taux de pauvreté dans le pays, un grand nombre d’entre eux n’étant pas au courant de ce taux qu’ils croyaient beaucoup moins important. Bref, les députés semblent d’autant plus déconnectés des réalités, en tous les cas des besoins du citoyen lambda, qu’ils ne se soucient que peu de voter des lois répondant à ses doléances.
Soumis à leur tour à un questionnaire ciblé, 2 496 citoyens ont exprimé leur opinion sur des questions politiques ou relatives à des dossiers socio-économiques. L’exercice était destiné à mettre en exergue la compatibilité entre les attentes des Libanais sur ces sujets et la réplique des législateurs.
« Nous constatons que le Parlement n’a adopté que très peu de lois qui intéressent directement les citoyens et qui répondent à leurs soucis, soit 31 textes sur un ensemble de 352 adoptés entre février 2010 et 2017 », révèle M. Atallah. Et de poursuivre : « En passant en revue les procès-verbaux des séances parlementaires, on relève que les députés n’ont quasiment pas déployé d’efforts ne serait-ce que pour discuter des préoccupations majeures des citoyens, comme l’augmentation du coût de la vie, des frais d’éducation et des soins médicaux, du chômage, autant de questions figurant en tête des priorités des Libanais. »
La mascarade
Sur les neuf sessions de contrôle général de la politique du gouvernement et de ses activités, seulement cinq ont eu lieu durant ces trois mandats (dont deux prorogations). « Des débats qui, souvent, frisent le folklore, note M. Alem. Les séances de questions adressées aux ministres ne dépassent généralement pas les trois minutes par question, sachant que dans certains pays cet exercice peut aller jusqu’à trois heures. »
Il ressort également que durant les séances parlementaires, les députés lancent des accusations de corruption à droite et à gauche sans jamais présenter des documents à l’appui. « La mascarade s’arrête là », ironise à son tour le directeur du LCPS.
Si la participation des parlementaires aux sessions du Parlement reste de l’ordre de l’acceptable, soit 84 %, elle est souvent passive. Durant la période examinée, 85 députés se sont absentés sans justifier leur absence. « Les chefs des groupes parlementaires sont ceux qui participent le moins », note M. Atallah, qui rappelle que certains députés ont fait acte de présence « deux ou trois fois seulement, en contrepartie d’un salaire plein qu’ils ont touché sur neuf ans ».
Mohammad Alem soulève, pour sa part, l’absence d’entente au sein des blocs parlementaires, notamment des divergences, voire des conflits majeurs autour de certains dossiers au sein d’un même groupe. « Cette faille prouve que ces blocs se forment en général autour d’intérêts politiciens et n’ont aucune vision, encore moins un agenda politique clair sur les questions économiques, sociales ou politiques », dit-il. Il dénonce au passage le fait que la composition de gouvernement n’est qu’un « modèle réduit du Parlement puisqu’il regroupe des ministres représentant les principaux blocs parlementaires. D’où la neutralisation forcée de la tâche de contrôle de l’exécutif qui incombe aux députés ».
À partir de cette étude « qui sera prochainement mise en ligne ainsi qu’un décryptage de la composition de l’hémicycle et des partis politiques présents », selon la promesse faite par la directrice des programmes, Rania Abi Habib, le LCPS entend définir une feuille de route avec des recommandations. Celles-ci visent à pallier « les failles structurelles et légales monstres qui ont fini par se répercuter sur les prestations des parlementaires ». Les chercheurs proposent notamment d’amender la Constitution en y introduisant une clause pour que le Parlement soit en session permanente et non quelques mois durant l’année. Des réformes également doivent être introduites pour obliger les députés à assister aux réunions des commissions.
M. Alem conclut son intervention en invitant les Libanais à faire pression pour réclamer de meilleures prestations et un Parlement plus efficace. « Quant à nous, nous nous engageons à maintenir une surveillance étroite des prestations, activités et agendas des nouveaux élus », promet le président du conseil d’administration du centre.
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LA LIBRE EXPRESSION
11 h 44, le 26 mars 2018