La guerre syrienne n'est pas encore terminée que nombre de commentateurs en font déjà le bilan, en prenant soin de distinguer les vainqueurs des vaincus. Dans le camp des perdants : l'Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie. Dans celui des gagnants : la Russie, l'Iran et le régime syrien. L'analyse manque forcément de nuances mais a le mérite de résumer l'évolution globale du rapport de force sur le terrain. Moscou et Téhéran n'ont pas encore réussi à tirer les dividendes de leur intervention sur le sol syrien, mais force est de constater qu'ils sont aujourd'hui en meilleure position qu'ils ne l'étaient au début de la guerre. On ne peut pas en dire autant de Damas. Le régime a réussi à survivre mais au prix d'une inféodation à ses deux parrains. Il est nettement moins fort qu'il ne l'était il y a maintenant six ans et demi.
S'il est en réalité trop tôt pour dresser le bilan d'un conflit dont on ne voit toujours pas la fin, on peut néanmoins distinguer, sans véritable risque de se tromper, un grand vainqueur : la contre-révolution. Comme dans le reste du monde arabe, à l'exception peut-être du cas tunisien, la dynamique contre-révolutionnaire a fini par l'emporter en Syrie. La guerre a tué la révolution. La mort, la peur, la haine, la destruction, la lassitude, l'épuisement ont pris le dessus sur les aspirations démocratiques du peuple syrien. Ce dernier se trouve aujourd'hui pris au piège entre un régime répressif qui vit sous perfusion et une opposition majoritairement islamiste qui s'est radicalisée à mesure que le conflit s'est prolongé. Comme si toute cette période depuis les manifestations de 2011 avait eu pour principal effet de replonger la Syrie des années et des années en arrière.
Les autres pays de la région ne sont pas en reste. Les printemps arabes ont été gelés par un hiver qui pourrait bien durer encore de nombreuses années. Certes, l'État islamique (EI) perd du terrain dans la région. Mais les causes structurelles de son implantation et de son développement sont encore présentes.
Fracture philosophique
L'Irak est dans une situation de guerre quasiment continue depuis presque quinze ans et les communautés ne parviennent toujours pas à s'entendre sur un partage équitable du pouvoir. L'Égypte a renoué avec un autoritarisme et un culte de la personnalité encore plus fort que celui contre lequel le peuple avait pourtant manifesté en 2011. La Libye est le théâtre d'une guerre civile, politique et institutionnelle. Le Yémen connaît la guerre, la famine, le choléra, mais son ancien président Ali Abdallah Saleh continue de croire en ses chances de retrouver le pouvoir... Comme s'il ne s'était rien passé. Les pétromonarchies du Golfe ne semblent quant à elles n'avoir tiré aucune leçon de cette période révolutionnaire et paraissent bien décidées, au contraire, à demeurer des déserts démocratiques.
Le monde arabe recule à grands pas. L'autoritarisme, le népotisme, le communautarisme, tout ce contre quoi les peuples arabes s'étaient révoltés en 2011, n'ont fait que progresser depuis. Et forcément, l'image du monde arabe s'est une nouvelle fois largement détériorée.
L'idée que les Arabes ne sont pas faits pour la démocratie, que les régimes autoritaires, malgré tous leurs défauts, sont les seuls à même d'assurer une certaine stabilité dans ces pays a ressurgi de plus belle. Non seulement dans les opinions publiques des pays occidentaux mais également dans la bouche de nombreux dirigeants, ou aspirant à le devenir, qui défendent avec fierté la théorie du moindre mal.
Occultant les leçons du passé, ces derniers restent persuadés que l'autoritarisme est le meilleur moyen d'endiguer l'islamisme, de protéger les minorités et de stabiliser la région. Comme si au-delà des différends géopolitiques, une autre ligne de fracture sépare la vision des différents acteurs, extérieurs ou non, des conflits arabes : un désaccord philosophique entre ceux qui considèrent que les peuples arabes ont le droit d'aspirer à davantage de liberté et ceux qui pensent qu'au contraire cette liberté sera nécessairement synonyme de chaos. Entre ceux qui font tout leur possible pour faire survivre, tant bien que mal, le « monde arabe de papa » et ceux qui sont persuadés que cette époque est définitivement révolue. Entre l'Arabe du passé et l'Arabe du futur...
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commentaires (5)
Si Assad était le roi en place du Roi Louis XVI la révolution française aurait fait picht et ce n’est pas la Russie qui aurait aidé mais tous les royaumes en Europe.
DAMMOUS Hanna
14 h 18, le 11 septembre 2017