Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Décryptage

Comment Poutine cherche à imposer sa paix en Syrie

Moscou veut convertir ses gains militaires en gains politiques, mais de nombreux obstacles entravent pour l'instant une résolution du conflit syrien.

Certains ont profité de la trêve en Syrie pour manifester contre le régime syrien. Ici, des manifestants à Saqba, à la périphérie de Damas. Sameer al-Doumy/AFP

S'il réussit, il sera considéré comme le roi du nouvel ordre international. S'il échoue, il risque l'embourbement ou, même pire, la disgrâce. Vladimir Poutine joue très gros avec les négociations politiques visant à trouver une issue pacifique au conflit syrien. L'engagement russe en septembre 2015 ne prendra tout son sens que si le locataire du Kremlin parvient à convertir ses gains militaires en gains politiques. S'il passe du statut de parrain prêt à tout pour sauver son protégé à celui de faiseur de paix. Le président russe veut réussir là où les Américains ont échoué. Il veut prouver que le monopole de la pax americana est révolu et que le temps de la pax russia est de retour. C'est son obsession : le retour de la Russie comme une superpuissance. Et le terrain syrien lui fournit, au moins en apparence, une occasion de la nourrir. Il veut marquer l'histoire comme celui qui aura réussi à arrêter un conflit qui paraissait presque impossible à résoudre. Et signer ainsi officiellement la fin du monde unipolaire.

Le plan russe est logique et intelligent. En gagnant la bataille d'Alep, le régime syrien et ses deux parrains, l'Iran et la Russie, ont fini de prendre le contrôle de la Syrie utile et ont sécurisé l'avenir de Bachar el-Assad. Le président syrien ne peut plus être défait militairement et ses parrains n'ont pas l'intention de l'abandonner à court terme : le rapport de force est nettement à l'avantage du clan loyaliste avant même le début des négociations politiques. Acculer les rebelles pour les pousser à rendre les armes et à réduire leurs exigences, au point d'envisager le maintien – au moins partiel – de M. Assad : c'était le plan russe dès le départ et il est en train de se mettre en place. Mais pour avoir une réelle emprise sur les forces rebelles, Moscou avait besoin d'Ankara, leur principal parrain depuis le début du conflit syrien en 2011. Les Russes ont donc offert à la Turquie ce qu'elle désirait le plus – à savoir une intervention dans le Nord syrien afin de sécuriser sa frontière et d'empêcher la formation d'une unité territoriale kurde – en échange de quoi les Turcs ont « abandonné » Alep et ne posent plus le départ de M. Assad comme une condition sine qua non pour débuter les négociations.

Celles-ci peuvent donc débuter autour d'un nouveau format, Russie-Iran-Turquie, particulièrement avantageux pour Moscou puisqu'il se place comme la grande puissance qui arbitre les rivalités entre les deux autres. Exit donc les Américains, leurs réserves et leurs incapacités à faire pression sur les rebelles syriens. Exit aussi les Arabes du Golfe qui refusent d'envisager le maintien de Bachar el-Assad et qui voient l'Iran comme une menace. Les négociations doivent aller vite pour imposer une situation de fait accompli avant l'arrivée au pouvoir du président élu Donald Trump. Même si ce dernier a assuré vouloir coopérer avec les Russes en Syrie, aucun des trois acteurs ne veut lui laisser l'occasion de revenir sur ses promesses de campagne.

 

(Lire aussi : Le chef de guerre Poutine se mue en faiseur de paix en Syrie)

 

Surmonter les divergences
Les possibilités de parvenir à une solution politique sont plus importantes que lors des négociations précédentes, en raison de l'implication directe des trois pays extérieurs les plus engagés dans le conflit syrien. Une fenêtre d'opportunité existe mais les objectifs ne sont pas encore très clairs: Bachar el-Assad sera-t-il autorisé à se présenter aux élections qui suivront la période de transition ou sera-t-il remplacé par une autre figure alaouite ? C'est sur ce point qu'achoppent pour l'instant les négociations. Les Turcs ont revu leur priorité mais ne semblent pas pour autant prêts à normaliser leur relation avec le régime Assad. Les Iraniens, qui ne tiennent pas le président syrien en haute estime, ne semblent pas pour autant prêts à le remplacer par un autre homme, sur qui il n'aurait pas forcément la même emprise. Les Russes ne sont pas clairs à ce sujet: ils laissent penser qu'ils sont plus attachés au maintien du régime qu'au président syrien même, mais n'exercent pas pour autant de pression sur le raïs. Et ce dernier sait parfaitement jouer des rivalités entre ses deux parrains.

Les trois puissances ne sont pas sur la même ligne. Leurs intérêts divergent et leurs zones d'influence ne sont pas strictement indépendantes les unes des autres. Ils devront surmonter ces divergences pour trouver un accord – ce qui devrait prendre du temps – et ensuite le faire approuver par les Américains, les Européens et les Arabes – ce qui ne sera pas facile.

L'accord de cessez-le-feu conclu hier et déjà enfreint à de multiples reprises illustre la fragilité de tout le processus de paix. Sont exclus officiellement de cet accord les groupes considérés comme terroristes par les Nations unies, à savoir l'État islamique, le Fateh el-Cham (ex-Front al-Nosra), le parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et ses filiales, et le Hezbollah qui est appelé par Ankara à « regagner le Liban ». Le groupe salafiste Ahrar el-Cham n'a pas été très clair pour sa part quant à ses intentions de participer aux futures négociations. L'irrédentisme kurde, la désunion des forces rebelles, la volonté des groupes jihadistes de profiter de l'occasion pour se positionner comme les seuls défenseurs des sunnites ou encore le double jeu iranien qui pourrait saboter le cessez-le-feu via l'action des milices qui lui sont vassalisées sont autant de raisons de rester sceptique sur la prolongation d'un cessez-le-feu à long terme. Condition sine qua non pour entamer des négociations sérieuses. Au Moyen-Orient, gagner la paix est plus difficile que de gagner la guerre. Les Américains l'avaient appris à leurs dépens en Irak. Vladimir Poutine pourrait l'apprendre à son tour assez prochainement.

 

 

Lire aussi

« L’accord de cessez-le-feu en Syrie est le plus sérieux jamais obtenu »

La Syrie divisée en zones d’influence russe, turque et iranienne ?

Les leçons d’Alep appellent à la lucidité

La reprise d'Alep, un camouflet pour l'Arabie saoudite et le Qatar

Ankara et Moscou, nouveaux arbitres du conflit syrien ?

Assad, victorieux à Alep-Est par procuration

Après Alep, la nature de la guerre contre le régime pourrait changer

S'il réussit, il sera considéré comme le roi du nouvel ordre international. S'il échoue, il risque l'embourbement ou, même pire, la disgrâce. Vladimir Poutine joue très gros avec les négociations politiques visant à trouver une issue pacifique au conflit syrien. L'engagement russe en septembre 2015 ne prendra tout son sens que si le locataire du Kremlin parvient à convertir ses gains...

commentaires (3)

RUSSIE,IRAN,TURQUIE...des puissances NON ARABES decident de l avenir de la SYRIE...Il ne reste plus qu a inviter ISRAEL a la table des negociations!

HABIBI FRANCAIS

07 h 58, le 01 janvier 2017

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • RUSSIE,IRAN,TURQUIE...des puissances NON ARABES decident de l avenir de la SYRIE...Il ne reste plus qu a inviter ISRAEL a la table des negociations!

    HABIBI FRANCAIS

    07 h 58, le 01 janvier 2017

  • Il reste en effet beaucoup de points d’interrogations et l’exclusion des groupes terroristes de l’accord de cessez-le feu et des pourparlers de paix risque de prolonger la guerre.

    Tabet Ibrahim

    11 h 04, le 31 décembre 2016

  • Vladimir Poutine finalement peut instauré la paix en Syrie ...hélas, différée depuis 3 ans au moins , par les engagements frivoles et les livraisons d'armes successives occidentales, aux nébuleuses djidadistes de tous bords...qui en 3 ans, ont changé 10 fois d'appellations , depuis Al Qaïda , puis Daech , Al Nosra , avec chaque fois de nouvelles métastases Jaïch Al Cham, Arar El Cham allié à 15 autres groupes djihadistes criminogènes ...pour finalement devenir dans le vocabulaire du "politiquement désinformateur" des "rebelles"...! bon à ce jour ,4 frontières syriennes sont sécurisée , Turquie, Jordanie ,Liban , Israël (Golan), reste la frontière Irakienne partiellement " contrôlée " ,la frontière djihadiste interne d'Alep fut abattue...donc la progression pour la pacification complète de la Syrie ,s'annonce sous un angle favorable , et qu'importe les versions des journalistes de services..

    M.V.

    07 h 53, le 31 décembre 2016

Retour en haut