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Économie - Liban - Rétrospective

Agriculture : une année marquée par l’urgence

L'État a débloqué cette année plusieurs dizaines de millions de dollars pour subvenir à des filières agricoles en crise. Des mesures palliatives qui sont loin de résoudre les problèmes des agriculteurs.

Sit-in de producteurs de pommes à Tannourine, début septembre. Photo D.R.

Déjà difficile en 2015, la situation des agriculteurs libanais a continué de se dégrader en 2016.
Le contexte reste le même: les exportations de produits agricoles sont à la peine, en particulier vers les pays du Golfe – l'une de leurs destinations privilégiées – depuis le blocage des voies d'exportation terrestres vers ces pays, consécutive à la fermeture, en 2015, de la frontière syro-jordanienne. Et lorsqu'ils arrivent à bon port – par voie maritime, via l'Égypte –, ces fruits et légumes subissent la concurrence des produits européens, redirigés vers les pays du Golfe suite au boycott russe décidé en 2014 en réponse aux sanctions de l'Union européenne, sur fond de crise ukrainienne. Comme si cela ne suffisait pas, les agriculteurs locaux ont dû faire face en 2016 à de nouvelles complications qui ont notamment perturbé les relations commerciales entre le Liban et la Syrie, une autre destination d'importance pour leurs exportations. Conséquence : les prix ont fortement baissé, entraînant une vague de manifestations et conduisant le gouvernement à verser des aides d'urgence pour apaiser des agriculteurs en colère et mobilisés.

La pomme en est l'exemple le plus représentatif. Selon Antoine Hoyek, président de l'Association des agriculteurs, la caisse de pommes (soit 20 kilogrammes) se vendait cette année à 3 dollars, contre 10 dollars en 2015. En cause, la chute de la livre égyptienne, pays qui absorbe plus de 70 % des exportations de ce produit phare de l'agriculture libanaise. « En pleine saison cette année, les Égyptiens achetaient un kilo de pommes à un demi-dollar, alors qu'avant, ils payaient 0,8 dollar », précise le syndicaliste.
En réaction, les producteurs de pommes de nombreuses régions ont commencé à manifester dès septembre. Un mois plus tard, le Conseil des ministres débloquait environ 26 millions de dollars d'aides. En temps normal, les aides du gouvernement sont indirectes, explique une source au sein de ministère de l'Agriculture. « Nous distribuons, par exemple, des pesticides naturels pour diminuer les résidus chimiques » qui peuvent recaler l'entrée des pommes libanaises par rapport aux standards de certains marchés internationaux.

 

(Pour mémoire : Les subventions aux agriculteurs, une course à l’échalote ?)

 

Riposte syrienne
Le début de la saison des exportations pour les producteurs de bananes a aussi été perturbé, cette fois en raison d'une décision du ministère de l'Agriculture visant pourtant à protéger les agriculteurs: en juin, ce dernier décide d'interdire les importations de fruits et légumes syriens, alors que le Liban et la Syrie font tous deux partie de l'accord de libre-échange arabe (Gafta). Face à cette mesure, le gouvernement syrien riposte en refusant officieusement l'entrée des bananes libanaises sur son territoire, où est généralement écoulée 70 % de la production du pays du Cèdre. Mi-septembre, le ministre de l'Agriculture, Akram Chehayeb, se résout finalement à lever l'interdiction, reconnaissant qu'elle avait surtout aidé à « stimuler la contrebande ». En novembre, la Syrie finira par autoriser à nouveau les importations de bananes libanaises, suite à l'intervention du président du Parlement, Nabih Berry, auprès des autorités syriennes.

Outre les difficultés à l'export, certaines filières ont été touchées par des problèmes sécuritaires. Les producteurs de cerises à Ersal (Baalbek) ont ainsi bénéficié d'une aide de 6,6 millions de dollars mi-octobre à cause des combats qui font rage depuis trois ans dans la région entre l'armée libanaise et les combattants jihadistes. Les producteurs d'agrumes, eux, n'ont pas profité de telles mesures de soutien. « C'est parce qu'ils ne commenceront pas à exporter leurs produits avant début 2017 », précise Antoine Hoyek.
Les producteurs de raisins comptent, eux, parmi les rares rescapés. Selon Saïd Gédéon, directeur du département agricole de la Chambre de commerce et d'industrie de Zahlé, « la demande locale reste acceptable, et les prix ont peu reculé ». Le kilo se négocie cette année entre 0,80 et 1,30 dollar, soit une baisse, tout de même, de 25 % par rapport à 2015.

 

(Pour mémoire : L'État va subventionner les cultivateurs de pommes)

 

 

Protection de la filière avicole
Mais les aides du ministère ne se sont pas limitées aux filières fruitières. En septembre, l'importation de volaille surgelée a été soumise à une autorisation préalable (l'importation de volaille vivante ou réfrigérée étant déjà interdite). « Le marché libanais subit la concurrence de la volaille congelée bon marché, notamment en provenance du Brésil », explique le consultant avicole Alfred Moukarzel.

Selon lui, les éleveurs de poules pondeuses ont aussi reçu une « compensation déguisée » de la part du gouvernement. Suite à la détection de la grippe aviaire dans la Békaa dans le village de Nabi Chit, les éleveurs locaux ont obtenu 400 000 dollars à la mi-octobre. « Le marché de l'œuf est très bas depuis environ un an et demi, et les éleveurs essuient beaucoup de pertes », explique le consultant. En cause, la contrebande d'œufs de Turquie et d'Ukraine transitant par la Syrie avant d'être vendus sur le marché libanais.
Mais selon Alfred Moukarzel, ce type d'aide ponctuelle n'est pas bénéfique sur le long-terme. « Les contrebandiers d'œufs de la Békaa sont connus, il suffirait d'envoyer les douanes les inspecter pour limiter les fraudes », estime-t-il. Le consultant défend également le marquage des œufs, avec leur date de production et le nom de la ferme. Une procédure qui, selon lui, augmenterait leur traçabilité et améliorerait la sécurité alimentaire.

De manière générale, les professionnels s'accordent à dire que l'agriculture libanaise a besoin d'être réformée en profondeur. Pour Antoine Hoyek, les aides pécuniaires du ministère devraient plutôt être utilisées pour financer la création d'institutions chargées de soutenir le secteur agricole, évoquant par exemple la création d'une Chambre d'agriculture, indépendante des chambres de commerce. Financée par des aides internationales et des cotisations des agriculteurs, cette dernière aurait pour rôle de soutenir la création d'usines.
« Une Chambre d'agriculture aurait besoin d'un budget très important. Les cotisations des agriculteurs couvriraient à peine les frais d'administration, et les Chambres ne bénéficient pas d'aide de l'État au Liban », souligne, de son côté, Saïd Gédéon. Selon lui, les réformes du secteur agricole devraient se centrer sur l'amélioration de la production et la distribution d'assistance technique aux agriculteurs. Les variétés de fruits et légumes devraient aussi être diversifiés pour s'adapter au goût du consommateur friand, par exemple, de raisins sans pépins, peu répandus au Liban.

 

 

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