La mode en deuil pour Franca Sozzani

2016 aura été une année décidément noire pour les icônes. Franca Sozzani, figure aussi célèbre qu'Anna Wintour, Grace Coddington ou Suzy Menkes dans le monde de l'édition fashion, s'est éteinte le 22 décembre à l'âge de 66 ans, emportée par un cancer.
Avec son regard bleu et ses longs cheveux blonds et ondulés, la rédactrice en chef de Vogue Italia était reconnaissable à sa beauté botticellienne. Avec de solides études en littérature et philosophie entre Londres et Milan, rien ne prédestinait cette grande travailleuse, connue pour sa discrétion, à travailler dans la mode. Dans les années 60, elle vit à fond la mouvance beatnik en prenant la route des Indes avec un sac à dos, cultive une fascination pour Georgia O'Keefe et Frida Kahlo et, initiée à la mode par sa sœur aînée, s'éprend des créations d'Yves Saint Laurent dans une Italie encore bourgeoise et conventionnelle. Bombardée rédactrice en chef de Vogue Italia en 1988 après avoir fait ses armes dans divers services aux éditions Condé-Nast, elle laisse exploser sa créativité et réinvente la manière de raconter la mode. Dans un magazine ronronnant, assimilé à un catalogue, elle impose une nouvelle maquette, une nouvelle typographie et contribue à lancer les carrières de photographes tels que Mario Testino, Peter Lindbergh, Bruce Weber ou Steven Meisel. Navrée par le manque de consistance des mannequins sur les shoots, elle met en avant, dans les années 90, le concept de Top Model avec les Fantastic 6: Naomi Campbell, Cindy Crawford, Kate Moss et les autres, qui dégagent, en plus de leur beauté, une puissance d'amazones à laquelle s'identifie toute une génération. Elle est surtout une des premières, toujours dans les années 90, à tisser un lien fort entre l'art et la mode en collaborant notamment avec Maurizio Cattelan et Vanessa Beecroft et en créant, en 1996, la Biennale Arte Moda de Florence.
Entière, engagée contre le sexisme et le racisme, elle crée des numéros qui font date, l'un consacré aux rondes, un autre aux Noires, après avoir osé, à ses débuts dans une Italie machiste, un shoot d'androgynes en slips à paillettes pour Vogue Uomo. Elle milite aussi contre le sida, le cancer, et l'accès à l'éducation à travers l'organisation Child Priority soutenue par Condé-Nast. Avec Franca Sozzani, la mode aura définitivement racheté son âme en emboîtant le pas à l'art et aux grandes causes. «Donner jusqu'à en souffrir», répétait-elle. Qui, après cette grande dame, serait prêt à adopter un tel slogan?