Formé dimanche au terme d'interminables marchandages de bazar, le nouveau gouvernement reflète assez fidèlement l'actuel équilibre des forces politiques. Équilibre imparfait, certes, qu'annonçait déjà l'élection à la magistrature suprême d'un homme qui fut un des piliers du 8 Mars, même si Michel Aoun se veut sincèrement le président de tous les Libanais. Équilibre des plus instables, en outre, puisque sous couvert d'unité ou d'entente nationale, l'on s'est ingénié à rassembler en un machin hétéroclite la quasi-totalité des sensibilités, seul manquant à l'appel le parti Kataëb, privé en effet de ministère en titre. Sujets épineux et motifs de désaccord ne manquant guère, on peut donc redouter un retour à ces périodes de blocage qui avaient miné le gouvernement sortant.
Mais à chaque jour suffit sa peine, et il est décemment trop tôt pour présumer des batailles homériques qui vont opposer toutes ces Excellences à propos de la nouvelle loi électorale ou du budget. Sans doute est-il tout aussi prématuré de s'interroger sur l'avenir des rapports avec le Tribunal spécial pour le Liban avec l'entrée en force, dans le gouvernement, de personnages connus pour leur défiance à l'égard de cette institution onusienne : à leur tête, comme pour faire exprès, le nouveau ministre... de la Justice.
Pour l'heure donc, on se bornera à regretter que tant d'énergie dépensée à construire, morceau par morceau, troc par troc, le puzzle gouvernemental n'ait pas toujours conduit à placer, pour le moins, l'homme qu'il faut à la place qu'il faut : l'homme ou bien la femme, tant qu'on y est, puisque l'on a tout de même pensé à inclure dans les trente une – une seule – représentante du sexe féminin. Médecin de carrière, bardée de diplômes, Inaya Ezzeddine aurait pu faire une fort compétente ministre de la Santé, plutôt que d'avoir à parcourir les labyrinthes sans fin de la Réforme administrative. Non moins fantomatique est la tâche assignée aux cinq autres ministères d'État, dans un cabinet appelé à préparer des élections législatives et dont la longévité ne devrait pas excéder quelques mois. Ces charges sont fort convenablement assumées bien sûr ; elles sont dédiées à de nobles causes, telles que les droits de l'homme et ceux de la femme ; mais il faut bien constater qu'elles n'ont été émises en série, passant ainsi de deux à huit, que pour solde des quotas dont se prévaut chacune des parties en présence.
Parce qu'il faut bien que dans tout ce méli-mélo l'humour conserve ses droits, on gardera pour la fin le canular de l'année, à savoir un ministère d'État pour la lutte contre la corruption. C'est dépourvu de troupes, sans soutien logistique, sans même disposer d'un bureau peut-être que le téméraire devra aller traquer une pourriture qui gangrène la quasi-totalité des services publics et qui éclabousse, sans que cela les embarrasse trop, nombre de puissants.
Souhaitez quand même bonne chance au mouton se hasardant dans la tanière des loups !
Issa GORAIEB
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