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Moyen Orient et Monde - Les mille et un visages d’Alep/Témoignages

Mireille George Soufo : Les rebelles sont inhumains... Si tu viens pour me convaincre, tu ne viens pas me tuer

Quatre années de divisions, d'incompréhension et parfois de haine auront séparé les habitants de l'est de la ville de ceux de l'ouest, restés loyaux au régime. Seuls quelques kilomètres les séparent, mais ils ont vécu ces quatre années de façon radicalement différente, persuadés tous deux d'être du bon côté de l'histoire et de défendre une juste cause. C'est parce que leur témoignage apporte deux perceptions diamétralement opposées du conflit syrien en général, des cinq ans qui ont précédé la chute d'Alep en particulier, que « L'Orient-Le Jour » a souhaité donner la parole à un Alépin de l'Est (lire son témoignage ici) et à une Alépine de l'Ouest.

Mireille George Soufo. Photo personnelle

J'ai 21 ans. J'ai vécu toute la guerre syrienne à Alep. La première fois que j'ai senti que cette guerre était vraiment réelle, j'étais en 3e, en 2012. J'étais en cours quand une forte explosion a eu lieu. C'était loin de chez nous, mais nous avons eu très peur. On nous a fait descendre en lieu sûr et nos parents sont venus nous chercher. Les lignes téléphoniques étaient saturées.

À partir de là, les combats n'ont plus cessé et la peur était quotidienne. Je passais mes examens, avec comme bruit de fond les bombes. Quelque temps plus tard, mon école a été touchée. J'ai pu effectuer toute ma scolarité, passer mon bac et entrer à l'Université d'Alep. Je suis étudiante en économie. Évidemment, nous n'avons pas suivi un cursus normal. La situation était terrible et notre moral en a pâti. Puis, nous n'avons plus eu d'eau ni d'électricité, car les rebelles nous ont coupé de tout. Mes parents faisaient tout leur possible pour qu'on ne manque de rien. Beaucoup de mes amis et de mes professeurs ont quitté le pays pour se rendre au Liban, en Turquie, ou plus loin, comme en Europe ou en Australie. Ceux qui sont restés étaient très nerveux.

Mes parents sont profondément attachés à leur terre, à leur pays, et ils ne pouvaient pas s'imaginer partir. Ils ont une foi inconditionnelle en Dieu, en l'armée et en notre président. C'est notre pays. Nous sommes là depuis plus de 1000 ans. Ceux qui sont venus combattre sont des étrangers, avec des idées wahhabites, ignorants et analphabètes. Chez nous à la maison, avant le début de la guerre, on ne parlait pas vraiment de politique. Mais depuis, tous les Alépins ne parlent que de ça et sont devenus experts. J'entendais toute la journée des chaînes de télévision mentir, comme al-Jazira, al-Arabiya ou la BBC, qui ne font qu'attiser la haine et prolonger la guerre.

 

(Lire aussi : Alep 2011-2016 : requiem pour une ville)

 

Quand mes amis sont partis, j'étais très triste. Nous étions toujours ensemble et d'un coup, ils avaient disparu de ma vie. La pire année a été 2012, car je n'étais pas préparée à vivre dans la peur. J'étais jeune et je ne comprenais pas ce qui se passait. J'avais peur des bruits, je craignais que quelqu'un meurt tué devant moi. J'étais, pour la première fois de ma vie, confrontée à la mort. Entre les histoires racontées par les uns et les autres, ou les images crues à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Sans oublier les connaissances qui ont été tuées. Puis je me suis habituée, j'ai dépassé tout ça et je n'ai plus peur. Je ne traînais pas trop dans les cafés avec mes amis, à part ceux tout près de chez moi. Les soirs, de mon balcon au 6e étage de notre appartement dans le quartier de Suleimaniyeh, je voyais les nuages de fumée et la lumière des obus et des missiles tomber sur la ville. Les rebelles sont inhumains. Si tu viens pour me convaincre de quelque chose, tu ne viens pas me tuer ou me couper l'eau. Ils nous souhaitent la mort. Nous ne leur avons rien fait. L'armée leur a donné du répit, et des trêves, afin qu'ils se rendent. Notre président a donné beaucoup d'amnisties pour qu'ils sortent de la ville.

Je suis chrétienne maronite. Sur la place Farhat, il y a la cathédrale Mar Élias. Elle a été bombardée. Elle était tellement belle avant. Quand j'y suis retournée il y a quelques jours, j'ai fondu en larmes. C'est vrai que ce n'est que des pierres au final, et que ce qui compte c'est le temps que la guerre nous a volé et les vies humaines envolées. Avec d'autres jeunes maronites nous avons commencé avant-hier à la restaurer et la nettoyer afin que nous puissions y célébrer la messe de Noël. Nous voulons montrer au monde que même dans une église détruite, et malgré la guerre Dieu est avec nous.
Vous ne pouvez pas vous imaginer combien je suis heureuse d'entendre que l'armée nous a libérés et qu'il n'y aura plus de vies fauchées. On va pouvoir commencer une nouvelle vie.

 

 

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J'ai 21 ans. J'ai vécu toute la guerre syrienne à Alep. La première fois que j'ai senti que cette guerre était vraiment réelle, j'étais en 3e, en 2012. J'étais en cours quand une forte explosion a eu lieu. C'était loin de chez nous, mais nous avons eu très peur. On nous a fait descendre en lieu sûr et nos parents sont venus nous chercher. Les lignes téléphoniques étaient...

commentaires (8)

Touchant! Malgré le silence des médias occidentaux, il existait donc une Alep Ouest, avec des gens attaches à leur pays, sans extrémisme politique ni projet "géostratégique" de domination sectaire

Chammas frederico

13 h 58, le 16 décembre 2016

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Commentaires (8)

  • Touchant! Malgré le silence des médias occidentaux, il existait donc une Alep Ouest, avec des gens attaches à leur pays, sans extrémisme politique ni projet "géostratégique" de domination sectaire

    Chammas frederico

    13 h 58, le 16 décembre 2016

  • Vers la fin du texte j'ai été surpris par le "Dieu est avec nous"

    Vezina Jean-Francois

    19 h 42, le 15 décembre 2016

  • Pfffff de tu à quel âge ?!?

    Bery tus

    15 h 03, le 15 décembre 2016

  • Tant d'émotion tant d'innocence mais une maturité à fleur de peau. A la question qu'on aurait envie de lui poser : mais pourquoi vous en veulent-ils autant que ça les bactéries wahabites bensaouds ? On devinerait presque sa réponse : je ne sais pas, je ne comprends pas. Pauvres de nous victimes innocentes à cause de notre différence.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 18, le 15 décembre 2016

  • Cette charmante jeune femme se perçoit d'abord comme membre d'un groupe particulier, elle est "maronite" comme elle le dit elle-même .... Tout est dit malheureusement. Son récit révèle quelque peu un esprit d'Ancien Régime, un esprit d'avant 1789. Pourquoi nous haïssent-ils? Que leur avons-nous fait? Ils ne vous haïssent pas, mais vous représentez à leurs yeux la classe privilégiée par la dictature. Vous êtes un des symboles de la dictature. En espérant qu'après avoir reconstruit sa propre chapelle, cette jeune personne maronite aidera à construire les chapelles d'autres confessions d'Alep-Ouest, puis des mosquées détruites par centaines, et pour finir, s'attellera à reconstituer son pays démembré, la Syrie.

    COURBAN Antoine

    10 h 19, le 15 décembre 2016

  • Article emouvant on y trouve malheur et espoir des chrehiens du moyen orient

    Mounir Sader

    09 h 50, le 15 décembre 2016

  • Les "rebelles " n'existe que dans le vocabulaire novlangue , des politiciens/journalistes (ou vis versa)de l'occident, pour meubler le décor désertique ,du fiasco de l'invention fantasmée ... du " printemps arabe" .

    M.V.

    07 h 25, le 15 décembre 2016

  • FALLAIT, CHERE MADEMOISELLE OU MADAME, PARLER AVANT DES PLUS DE 70 ANS DE TYRANNIE QUI A FORME LA SOCIETE DES REBELLES SANS AME DONT VOUS PARLEZ... REVELEZ LA CAUSE AVANT LES EFFETS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 08, le 15 décembre 2016

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