Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Récit / Alep

Alep-Est : « Je viens de brûler ma maison pour que personne ne puisse en profiter »

Hier, un accord permettant l'évacuation des civils des dernières zones rebelles de la deuxième ville de Syrie a été scellé. Retour sur les dernières vingt-quatre heures des habitants des quartiers est, avant l'annonce fatidique.

Un homme poussant une vieille dame sur une charrette en direction de la dernière zone contrôlée par les rebelles, à Alep, hier. Abdelrahman Ismail/Reuters

Seuls quelques kilomètres les séparent. Pourtant, dans l'épilogue de la grande bataille d'Alep, deux tableaux se jouent encore sous le regard globalement indifférent du monde entier. L'effervescence des quartiers ouest sous contrôle du régime de Bachar el-Assad bat son plein lundi soir. La rue alépine célèbre la reprise totale et dans le sang des quartiers est sous contrôle des insurgés par les troupes prorégime. « Allah, Souriya, Bachar w bass ! (Dieu, la Syrie et Bachar seulement) », scande une foule déchaînée autour de journalistes locaux.

L'un d'entre eux, Hossain Mortada, se félicite du « succès » de l'armée syrienne, se nourrissant des « mabrouk » lancés ici et là, et invitant même « tous ceux qui souhaitent se rendre à le faire au plus vite ». « Nos bus verts sont prêts », ajoute-t-il face à la caméra. « On n'en peut plus de ce calvaire », avaient souvent écrit, via WhatsApp à L'Orient-Le Jour, des habitants d'Alep-Ouest, en faisant référence aux attaques des rebelles contre leurs quartiers. Depuis le début de l'offensive, 130 civils ont été tués par des tirs rebelles dans l'ouest de la ville, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

Au même moment, lundi soir, les derniers habitants de l'est sont, eux, en proie aux pires heures jamais vécues jusqu'alors. Quelque 100 000 personnes sont retranchées dans une poche d'à peine 2 km carrés, selon l'Onu, après la perte de leurs quartiers, tombés les uns après les autres depuis le lancement de la grande offensive du régime et de ses alliés, en premier lieu les Russes, le 15 novembre dernier. La puissance de feu des forces prorégime a fait plus de 463 morts civils, et contraint plus de 130 000 personnes à fuir vers les districts gouvernementaux. Entassés dans des abris de fortune ou dans des immeubles bombardés, des familles attendent désespérément l'arrêt des bombardements, après avoir abandonné l'espoir d'être évacuées en lieu sûr. « Si nous étions Américains ou Européens, nous aurions été évacués. C'est la vérité », déplore alors un activiste du groupe WhatsApp Aleppo Siege Media Center.

Des messages de détresse inondent la Toile, relatant des massacres perpétrés par l'armée et les milices alliées au régime. Seuls quelques témoignages de sources sur place parviennent aux journalistes, qui attendent tout signe de vie. La crainte que le régime n'intercepte des textos ou des vidéos envoyés aux journalistes étrangers est également palpable. « Nous sommes tétanisés, il est impossible de savoir ce qu'il se passe. Dehors, il y a des corps à perte de vue », raconte un habitant via WhatsApp.

 

 

(Lire aussi : Les cris de détresse des civils d'Alep-Est, en vidéos)

 

Nuit sans sommeil
Les inquiétudes grandissent à mesure que les troupes sur le terrain avancent, faisant craindre de nouveaux massacres et notamment des expéditions punitives contre le personnel médical, les journalistes ou les activistes, qui ont osé défier le régime.

« On n'ose pas aller à l'hôpital à cause des tirs et des obus. Les soldats peuvent nous tuer d'un moment à l'autre. Plutôt mourir que de nous rendre », témoigne un infirmier. « Il y a quelques jours, une petite fille blessée est arrivée. Nous l'avons opérée trois fois. Personne n'est venu la réclamer. Nous avons su quel était son prénom et son âge quand elle s'est réveillée, mais aucun membre de sa famille n'est venu la chercher.

Aujourd'hui, elle est encore à l'hôpital, seule, hagarde. Et ce n'est pas le seul cas », raconte l'infirmier. « Personne ne peut sauver les gens de sous les décombres. Je suis sûr que les chiens ou les rats sont repus des corps des cadavres », poursuit-il, à bout. Après une nuit sans sommeil, les habitants de ce qu'il reste d'Alep-Est, n'en savent pas plus sur leur sort, mardi matin. Le flou est tel que certains habitants en viennent à tenter de savoir ce qui se trame auprès de journalistes à l'extérieur du pays. « Dites-moi si vous apprenez quelque chose !

(...) Dites, est-ce que nous allons être évacués ? Allons-nous tous mourir ? », s'affole un habitant dans un message. « Il y a des femmes et des enfants autour de moi, ils veulent entendre de votre voix que tout va bien se passer », poursuit-il.

 

(Lire aussi : Silence de mort dans la vieille ville d'Alep, défigurée par la guerre)

 

Quelques heures plus tard, l'Onu fait part d'informations indiquant que des forces progouvernementales ont liquidé au moins 82 civils, dont 11 femmes et 13 enfants, dans les quartiers de Boustane al-Qasr, Fardous, Kallassé et Salhine. La communauté internationale tente dans l'urgence de stopper le drame humanitaire en cours. Des informations contradictoires circulent à tout-va. Le temps presse. Les civils pourraient être une nouvelle fois la cible des exactions de l'armée syrienne et surtout des milices étrangères. « Tous les gens à Alep comptent sur vous pour mettre la pression sur vos gouvernements respectifs afin que les Alépins de l'Est ne soient pas capturés ou tués par le régime », tweete, mardi dans la journée Salah el-Ashkar, un journaliste d'Alep sur place.

Les pluies diluviennes donnent quelques instants de répit aux habitants, empêchant les avions de survoler et, surtout, de viser la zone assiégée. Le temps, aussi, que les tractations diplomatiques aboutissent enfin. En début de soirée, un accord visant à évacuer « les habitants et les rebelles avec leurs armes légères des quartiers assiégés » est conclu « sous la houlette de la Russie et de la Turquie ». La prudence est de mise.

Tant de fois, les Alépins ont cru à ce genre d'informations, entre fausses annonces d'évacuations, de corridors humanitaires ou de livraison d'aides. « Massrahiyé » (du théâtre), comme ils le répétaient souvent. « Allah Karim (Dieu est généreux) », se contente de dire Joumana, recluse chez elle avec les siens. » « Je ris, je pleure. Je ne sais pas, c'est confus », confie mardi soir Ahmad*, après avoir compris que l'évacuation est réelle. « Je viens de brûler ma maison pour que personne ne puisse en profiter », dit-il avec sang-froid. « Ceux qui avaient une voiture ou une moto font de même », ajoute-t-il. Après avoir lutté en vain toutes ces années pour une vie digne et libre, la jeunesse des quartiers rebelles ne se fait plus guère d'illusions. « On va quitter notre ville pour laisser la place à notre ennemi », déplore l'infirmier. Selon les témoignages des habitants, l'évacuation des civils devraient débuter aujourd'hui dès l'aube, suivie de celle du corps médical et des humanitaires. Les combattants rebelles, eux, devraient être les derniers à quitter Alep.

 

*Le prénom a été modifié pour raisons de sécurité.

 

 

 

 

Lire aussi

Des ONG appellent à l'évacuation sécurisée des journalistes d'Alep-Est

Comment Damas a une nouvelle fois perdu Palmyre

« Alep se meurt. Ceci est peut-être mon dernier message SOS »

 "Tout ce qu'ils connaissent c'est la guerre et les bombardements"

La dramatique échappée des familles d'Alep

À Alep-Est : « Croyez-moi, hier, j'ai compris ce que c'est que l'enfer »

Les quartiers prorégime d'Alep frappés aussi par la mort

Seuls quelques kilomètres les séparent. Pourtant, dans l'épilogue de la grande bataille d'Alep, deux tableaux se jouent encore sous le regard globalement indifférent du monde entier. L'effervescence des quartiers ouest sous contrôle du régime de Bachar el-Assad bat son plein lundi soir. La rue alépine célèbre la reprise totale et dans le sang des quartiers est sous contrôle des...

commentaires (7)

PAUVRE PEUPLE MASSACRE PAR LES ARMES PAYES PAR EUX POUR LA DEFENSE DE LEUR PATRIE...

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 48, le 14 décembre 2016

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • PAUVRE PEUPLE MASSACRE PAR LES ARMES PAYES PAR EUX POUR LA DEFENSE DE LEUR PATRIE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 48, le 14 décembre 2016

  • Pauvre Alep, pauvre peuple quid ne demandait que plus de liberté !!! Assad fleet jouer de vous comme son Pere l'avait fait avec les libanais ...

    Bery tus

    14 h 03, le 14 décembre 2016

  • Évacuation "sous contrôle" peut on y croire? Qui a décidé et pour qui? Les quelques vrais résistants syriens? Les plus malins de djihadistes étrangers voulant sauver leur peau? Attendons la réaction des djihadistes les plus virulents avec le slogan Mourir en martyr plutôt que de se rendre... Tout Ca sur le dos des civils innocents, hébétés, à qui on a fait croire qu'il pourrait y avoir "une victoire de la rébellion" ou au moins "une partition de la ville et du pays. Trompeurs, trompes, tous subissent cette tragédie...dont il faudra chercher les vrais responsables...les "allumeurs de feu" et "ceux qui par tous moyens essaient de l'attiser"

    Chammas frederico

    13 h 24, le 14 décembre 2016

  • Ouh la la la la la, le nombre d'armes et de minutions retrouvées dans les hôpitaux et les cliniques d'Alep est libérée. ...... C'est affolant ..... Ceci explique bien cela ..... c'est affolant. ..

    FRIK-A-FRAK

    13 h 07, le 14 décembre 2016

  • vous parlez de 100000 personnes dans 2 km carré je croyais que c'était le nombre d'habitant de Alep-Est ?

    Talaat Dominique

    12 h 09, le 14 décembre 2016

  • Les allies coalisés de l'Occident des bensaouds de la turquie et d'israël peuvent aboyer autant qu'ils voudront , ils n'arriveront jamais à voler la VICTOIRE DES RÉSISTANTS SUR LES BACTÉRIES WAHABITES .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 29, le 14 décembre 2016

  • Pourquoi autant de bonté de la part des résistants vis à vis des bactéries wahabites ? Ces dernières vont récidiver ailleurs dans le monde sur les pauvres civils que nous sommes, assis dans des terrasses de café ou dans des églises ou sur des places publiques ....

    FRIK-A-FRAK

    08 h 25, le 14 décembre 2016

Retour en haut