Mon Dieu, faites en sorte que je me trompe

Je ne voudrais pas jouer les Cassandre et gâcher la fête inexplicable que je vois sur tous les écrans, mais je suis réaliste et j'ai les pieds sur terre.
Ce qui me choque aujourd'hui le plus n'est pas la pièce magnifiquement jouée sur la scène du plus grand théâtre du monde, notre Parlement. Ceci ne m'étonne pas de la part des meilleurs acteurs, tous dignes du prix Molière. Ce qui me pousse à écrire, c'est surtout l'exploitation à tort et à travers de la mémoire des morts à des fins personnelles ou communautaires. C'est typiquement semblable à ce que le lobby juif mondial fait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il ne rate aucune occasion pour manipuler et tirer profit de la valeur tragique de l'Holocauste afin d'attirer la sympathie, l'empathie ou même le sentiment de culpabilité des donateurs pour renflouer les caisses de certains partis juifs ou de l'État.
Quelqu'un de raisonnable et de sensé peut-il croire que nos martyrs sont tombés aux combats pour l'arrivée du général Aoun à la présidence ?
Je n'ai pas la réponse mais je doute fort. Posons la question aux mères, aux pères, aux veuves et veufs, et aux enfants des martyrs. Qu'ont-ils récolté hier de ses élections peaufinées à l'étranger qu'on veut nous faire croire cent pour cent libanaises. Leur perte immense sera-t-elle compensée ? Leurs morts reviendront-ils ?
Nos martyrs sont morts pour une cause et non pour une personne. De 1988 à 1990, le général Aoun représentait cette cause et j'étais le premier à le soutenir en occupant notre ambassade à Bruxelles pendant plusieurs jours. C'était pour le « Liban majestueux ». Mais le général fougueux et homme de principes n'est plus le même depuis 2005 (pour ne pas dire tout simplement n'a plus). Nos martyrs sont tombés en combattant les alliés actuels du général. Ils sont tombés pour voir naître un Liban libre, moderne, démocratique et vidé de toute forme de corruption. Que Dieu ait leur âme.
Que va changer le général Aoun ? Il est vrai qu'il est aujourd'hui à la tête de l'État, poste amputé de certains pouvoirs. Je rappelle à ceux qui ont la mémoire courte et la vue encore plus courte, que le général et ses alliés sont dans la majorité législative et dans l'exécutif depuis plus de huit ans. Qu'est-ce qui a changé depuis lors: plus d'électricité ?
Plus d'eau ? Plus de liberté ?
Plus de croissance réelle ? Moins de corruption ? Moins de déchets ? Moins de dette ? Rien, mes chers compatriotes, absolument rien. Bien au contraire. Comment va-t-il résoudre la crise de l'électricité alors qu'il a géré ce ministère sans grand succès ? Comment va-t-il gérer l'immense dossier des télécommunications alors qu'il a géré ce ministère sans grand succès ? Comment va-t-il annihiler la corruption lorsqu'on sait comment les élections à la tête du CPL se sont déroulées ?
Comment va-t-il gérer la crise syrienne lorsque dans son discours il ne tranche pas. Il veut bien isoler le Liban de son environnement belliqueux, mais en même temps officialise la résistance armée illégale en voulant libérer les territoires libanais. Cette crise va empoisonner, miner et déchirer le prochain gouvernement, par ailleurs véritable enjeu de cette élection présidentielle.
Désillusion, désillusion. Les Libanais iront d'une déception à une autre. Mes amis, je n'espère aujourd'hui qu'une seule chose : « Mon Dieu, faites en sorte que je me trompe. »