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Nos Lecteurs ont la Parole - Par Adib TOHMÉ

Liban : de la non-République à la République-poubelle

Photo bigstock

Bonjour. Vous allez bien ? Pour moi, on pourrait dire que ça va. Ça pourrait être pire. La région danse sur des volcans. Je pourrais me retrouver à Alep, en train de subir la barbarie des uns et des autres. Alep, on connaît. On n'y est déjà passé par là. Après la guerre et la destruction, place à la reconstruction. La reconstruction, on connaît aussi. L'État et son double. Le fantôme de l'État de droit qui sert d'alibi à l'État de non-droit. Les milices dans l'État et l'État des milices. Alep ? Ceux qui font la guerre feront demain la paix. Et se partageront entre eux ce qui reste de la vie des autres. Soyez optimistes. La violence des armes va céder la place à la violence de l'argent. Quand les profiteurs des armes seront assez rassasiés pour se rappeler d'assister leurs victimes, par des emprunts à des taux usuriers, au nom des droits de l'homme. Et les 99 % des gens à Alep seront transformés en chiffres truqués pour justifier un crime. Quel crime ? Celui de l'accaparement des richesses par les seigneurs de la guerre en temps de paix ? Parce que la paix est la période idéale pour détourner la richesse publique pour les uns et pour recycler l'argent sale pour les autres. Et, demain, on assistera à la création de caisses, de conseils, de concessions, de dépréciation volontaire des licences de téléphonie et des entreprises publiques pour les vendre à des amis lors d'enchères illégales, d'allocations opaques de marchés publics, de dettes publiques indignes, de ressources gazières hypothéquées au profit d'un immense système de prêt, de ministères alloués à d'anciens criminels ou des millionnaires à la fortune douteuse et j'en passe.
Dehors, c'est la fête. Hier, on vivait dans le désespoir ; aujourd'hui, on ne parle plus que d'espoir. Hier, ils étaient accablés par les dettes ; aujourd'hui, ils sont les heureux détenteurs de crédits. Hier, l'économie était au point mort ; aujourd'hui, l'économie démarre. Hier, c'était l'érosion de leur pouvoir d'achat qui les empêchait de dormir ;
aujourd'hui, c'est l'amélioration de leur niveau de vie qui les fait rêver. Hier, le prix de l'immobilier avait touché les sommets ; aujourd'hui, les sommets sont devenus des planchers. Hier, le trafic était une calamité ; aujourd'hui, c'est un signe de vitalité. Hier, le taratata était un geste de contestation ; aujourd'hui, c'est un signe de consentement. Hier, les députés étaient hors la loi ; aujourd'hui, ils exigent des ministères dans le nouveau gouvernement. Hier, les déchets étaient partout ; aujourd'hui, ils se trouvent seulement dans notre imagination débridée. Hier, ils étaient à la recherche d'emplois ; aujourd'hui, ils ne veulent plus travailler parce qu'ils sont « ministrables ».
Hier, on voulait faire tomber le système ; aujourd'hui, on est heureux de le voir se relever. Hier, on parlait de la République-poubelle ;
aujourd'hui, on ne parle plus de poubelles. Hier, on voulait faire la révolution ; aujourd'hui, on propose une réforme.
Ceci pour vous dire qu'une étincelle suffit pour réveiller un public anémié. Mais se réveiller sur quoi ? Sortir de la République-poubelle pour se diriger où ? Après les festivités, il faut répondre à la question fondamentale : un président pourquoi ? Sauver le système ou nous sauver du système ? J'appelle « système  » l'entreprise politique de prédation des ressources humaines et matérielles du pays, au profit d'une infime minorité d'anciens criminels et de nouveaux riches devenus politiciens. Dans le règne animal et végétal, la prédation consiste à s'emparer d'une proie pour la dévorer et se nourrir de sa substance. C'est bien de cela qu'il s'agit. Et ce système n'a pas besoin d'un président : la convergence des intérêts des composantes du sommet de ce système et la satisfaction des convoitises divergentes de ses figures de proue suffisent amplement à les faire pousser ensemble dans la même direction. Plutôt qu'à une pieuvre, nous avons affaire à l'hydre de Lerne (1). Quand les ressources sont à ce point concentrées sur une poignée de personnes, un déferlement d'argent vient briser les institutions démocratiques – les tribunaux, le Parlement, le gouvernement, les administrations – de même que les médias, totalement inféodés à la minorité au pouvoir, compromettant ainsi sérieusement leur capacité à fonctionner comme ils sont censés le faire. Plus le carnaval de la composition du gouvernement fait du tapage, moins nous sommes sûrs de la réalité de la démocratie et plus nous sommes sceptiques quant à l'amélioration de la situation. Dans la logique des tenants du système, un président ne va servir qu'à apprivoiser le pouvoir du peuple, transformer des protestataires en gentils fêtards. À canaliser la colère des gens pour l'évacuer vers des voies sans issue. Dans ce système, la corruption est la seule monnaie d'une transaction sociale au sein d'une société monstrueusement inégalitaire. Le PIB n'est que le renoncement de l'État à ses responsabilités, remplacé par les entreprises privées et des institutions charitables communautaires dans certaines fonctions essentielles (l'approvisionnement en eau, électricité, les transports, les télécoms, la santé, l'éducation, le tri et la collecte des déchets, l'exploitation gazière, etc.), la balance de paiement n'est que la contrepartie de l'émigration des jeunes talents et du remplacement de la population, et la croissance économique n'est que l'augmentation des profits des banques. Bon. Je ne vais pas gâcher la fête. J'espère que mon prochain livre aura pour titre " Liban : de la République-poubelle à la République, dans laquelle l'homme – et surtout la dignité de la femme – sera au centre de la politique. La République reste notre seule garantie, c'est notre dernier espoir.

Adib TOHMÉ

1- L'hydre de Lerne est une créature de la mythologie grecque. Cette créature est décrite comme un monstre possédant plusieurs têtes, dont une immortelle. Celles-ci se régénèrent doublement lorsqu'elles sont tranchées, et l'haleine soufflée par les multiples gueules exhale un dangereux poison, même durant le sommeil du monstre.

Bonjour. Vous allez bien ? Pour moi, on pourrait dire que ça va. Ça pourrait être pire. La région danse sur des volcans. Je pourrais me retrouver à Alep, en train de subir la barbarie des uns et des autres. Alep, on connaît. On n'y est déjà passé par là. Après la guerre et la destruction, place à la reconstruction. La reconstruction, on connaît aussi. L'État et son double. Le...

commentaires (2)

UN NOUVEAU LIBAN "Mais se réveiller sur quoi ? Sortir de la République-poubelle pour se diriger où?" J'aime bien cette phrase. Elle devrait etre serieusement cogitee par ceux qui s'imaginent qu'en "faconnant" une nouvelle loi electorale ils peuvent tout changer au Liban.C' est comme si on pouvait radicalement changer le gout d'un plat, simplement en ajoutant ou en diminuant le sel. Bien avant la manipulation de cette loi, ce sont les "mentalites" qu' il s'agit de changer. Il faut creer chez le citoyen une "prise de conscience de ses responsabilites".Il faut que ce citoyen/citoyenne comprennent qu'entre leur maison et leur Etat, la difference n'est qu'un ordre de grandeur.Le jour ou les citoyens assimileront ce principe essentiel sera le jour ou le Liban sera le Phoenix qui surgira de ses cendres. Ce jour la disparaitront les ordures physiques et les ordures de la corruption.

George Sabat

22 h 18, le 07 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • UN NOUVEAU LIBAN "Mais se réveiller sur quoi ? Sortir de la République-poubelle pour se diriger où?" J'aime bien cette phrase. Elle devrait etre serieusement cogitee par ceux qui s'imaginent qu'en "faconnant" une nouvelle loi electorale ils peuvent tout changer au Liban.C' est comme si on pouvait radicalement changer le gout d'un plat, simplement en ajoutant ou en diminuant le sel. Bien avant la manipulation de cette loi, ce sont les "mentalites" qu' il s'agit de changer. Il faut creer chez le citoyen une "prise de conscience de ses responsabilites".Il faut que ce citoyen/citoyenne comprennent qu'entre leur maison et leur Etat, la difference n'est qu'un ordre de grandeur.Le jour ou les citoyens assimileront ce principe essentiel sera le jour ou le Liban sera le Phoenix qui surgira de ses cendres. Ce jour la disparaitront les ordures physiques et les ordures de la corruption.

    George Sabat

    22 h 18, le 07 décembre 2016

  • A LA POUBELLE TOUT COURT !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 31, le 06 décembre 2016

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