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Liban - Interview

Yves Bigot, directeur de TV5 Monde : des Beatles à Stromae, de Cruyff à Ben Arfa

À l'occasion des trophées francophones du cinéma, dont TV5 Monde est partenaire, le directeur général de la chaîne Yves Bigot revient pour « L'Orient-Le Jour » sur ses deux passions : la musique et le football.

À la tête du réseau TV5 Monde, Yves Bigot a commencé sa carrière comme journaliste. Il a enchaîné les expériences et les médias. De passage à Beyrouth, il a livré à L'Orient-Le Jour ses impressions sur la musique et le football qu'il a extensivement pratiqués au début de sa carrière.

Quelles tendances musicales dégagez-vous des vingt dernières années ?
Les deux influences majeures des vingt dernières années sont pour moi le rap et la musique électronique. Je voyage beaucoup en Afrique et j'y suis toujours frappé par l'omniprésence du rap. Cela s'explique sans doute par des facteurs culturels : la sensibilité rythmique africaine est assez proche du rap, dans lequel on retrouve aussi la tradition africaine de l'histoire racontée. Finalement, le rappeur est un griot moderne. En France, le rap découle directement de notre tradition poétique, philosophique et littéraire, à l'instar de la chanson française. Plaçant le texte au-dessus de la musicalité, le rap français est un héritage direct des troubadours. Dans tous les cas, le hip-hop a transfiguré la musique. Dans le rock actuel, par exemple, les batteurs ont intégré les rythmiques hip-hop : ils jouent moins carré, mais marquent les demi-temps ou abusent de syncopes. On retrouve aussi cette influence sur les musiques dites « commerciales » (Rihanna, Beyoncé, etc.) qui ont des subtilités rythmiques souvent dérivées du hip-hop. L'autre évolution majeure, c'est bien sûr la musique électronique. D'autant plus que ce genre, avec Daft Punk, Justice, Cassius, etc., a permis à la France de retrouver une place internationale qu'elle avait perdue depuis l'arrivée des Beatles.

La musique est un miroir des changements sociaux et des aspirations de la jeunesse. Quels changements depuis les années rock ?
Le plus gros changement vient sans doute des musiques de club, notamment la techno qui est en plein boum en Europe. La première chose qu'on remarque, c'est que la musique s'est démocratisée : à l'inverse des années rock, on ne voit plus d'artistes superstars, quasi divinisés. À la place, l'artiste se rapproche de son public et une forme de conscience commune s'installe, un peu comme dans les années 1960 et des festivals comme Woodstock, à la différence qu'on a perdu la dimension politique : là où la jeunesse se rassemblait pour faire changer les choses, elle se rassemble aujourd'hui pour oublier ses problèmes. Cette normalisation de l'artiste vient aussi du fait qu'il fait vivre les morceaux des autres, qui, eux-mêmes, font vivre les siens.
L'autre évolution, plus générale, est celle de la structure économique de l'industrie musicale. Le téléchargement et l'écoute illimitée sur Internet l'ont bouleversée. Cela se ressent dans le travail des artistes. S'ils gagnent en indépendance face aux maisons de production, ils sont aussi poussés vers un certain conformisme, voire de la « pétasserie ». Un artiste en 2016 ne vend pas de disques. Pour gagner sa vie, il faut faire des performances, concerts, BO de films, séries, pubs, avoir un marketing efficace, etc.

 

(Pour mémoire : TV5Monde victime d'une cyberattaque sans précédent par un groupe se réclamant de l'EI)

 

Votre artiste francophone du moment ?
Stromae : on peut l'écouter même sans comprendre les paroles, ses instrus sont dansantes et sophistiquées. Et puis, il a ce côté transformiste de David Bowie : l'utilisation du mime, du travestissement... Il crée des personnages, danse, joue comme un acteur, ses performances sont innovantes. Cette facette étrange et multipersonnalités qu'il cultive est un atout énorme, et il a un gros potentiel.

Vous commentiez aussi le football sur Europe 1 dans les années 1980. Quelles ont été les évolutions majeures depuis ?
La grosse différence, c'est l'impact physique. Quand j'ai le temps de me rendre au stade, je suis toujours stupéfié par le bruit des chocs. C'est incomparable avec l'époque où je commentais. Tactiquement, on a aussi atteint un niveau de sophistication énorme, la question n'est plus « 4-4-2 ou 4-3-3 ». Regardez les latéraux : avant, l'arrière gauche, c'était la brêle. Aujourd'hui, il sait tout faire. Les attaquants aussi : le format classique avant-centre pivot et ailiers de débordement est dépassé. Les joueurs d'aujourd'hui sont plus polyvalents et les meilleures équipes sont celles qui changent de système de jeu facilement. D'ailleurs, pour être compétitifs, on a besoin d'un groupe de 25 à 30 joueurs, alors que 15 suffisaient il y a trente ans.

Quelles sont les équipes qui ont amené ce changement ? Qui est à suivre en ce moment ?
Tactiquement, le Brésil des années 90, le Milan AC d'Ancelotti et le Barca de Guardiola ont changé beaucoup. Je suis aussi nostalgique des Pays-Bas et de l'Ajax de Cruyff. En ce moment, j'aime bien suivre l'OGC Nice. Ils ont une fraîcheur tactique et d'état d'esprit : Nice va à l'extérieur pour gagner, ce qui est rare dans le championnat français. En termes de joueurs, j'aime beaucoup Ben Arfa, je pense qu'il aurait dû être à l'Euro. Et, comme tout le monde, j'ai été bluffé par Renato Sanches. On voit qu'il est pro, il a la tête sur les épaules et un sens du placement et de l'anticipation incroyable.

L'image répandue de joueurs stupides et ingrats est-elle justifiée ?
Cette image n'est pas justifiée, même si on a quelques spécimens. Je pense qu'en France, le problème avec le football reflète un mal plus profondément ancré dans la société, qui s'est concrétisé en 2010 à Knysna, mais perdure encore : il y a un certain degré de racisme, d'islamophobie et d'intolérance dans le foot comme dans notre société. Ce problème étant sous-jacent, il instaure un malaise qui participe à cette vision négative. Quant au monde du foot, il faut reconnaître que les enjeux financiers sont trop importants pour ne pas avoir d'effets néfastes. Cela accroît la pression sur les joueurs, les dirigeants, et pousse à la frilosité, de sorte que la probabilité de voir un « petit poucet » s'imposer est faible. Le risque aujourd'hui est de perdre cette possibilité de surprendre un « gros », qui fait toute la beauté du foot.

Trophées francophones du cinéma
Aujourd'hui a lieu la remise des trophées francophones du cinéma au Casino du Liban (Jounieh), qui clôture la 4e édition. Interrogé sur l'importance de la francophonie, Yves Bigot commence par rappeler les chiffres : « 280 millions de personnes sont francophones aujourd'hui et on prévoit environ 400 millions en 2025 et 700 millions en 2050. C'est une force démographique que l'on doit exploiter. On fait 60 % plus d'affaires avec des gens qui parlent le même langage. De plus, beaucoup d'États francophiles mais non francophones cherchent à s'arrimer à l'Organisation internationale de la francophonie, comme l'Argentine, le Mexique ou la Corée du Sud : c'est pour eux un moyen d'intégrer un autre espace géopolitique que l'espace américain et de s'ouvrir de nouvelles possibilités. » Pour conclure, Yves Bigot désigne le film qu'il a préféré pendant les trophées : Le Tout Nouveau Testament (2015), film belge de Jaco Van Dormael avec Catherine Deneuve et Benoît Poelvoorde.

 

Pour mémoire
TV5 Monde devient libanaise pendant le Mois de la francophonie

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