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Moyen Orient et Monde - Offensive

L’armée irakienne a envisagé un changement de stratégie à Mossoul

Faire fuir les civils pour mieux viser les jihadistes s'est avéré trop risqué pour les autorités.

Des forces spéciales irakiennes se préparant à l’assaut contre l’EI, hier, à Mossoul. Thomas Coex/AFP

Confrontée à une guerre de rue sanglante à Mossoul, rendue encore plus délicate par la présence d'un million d'habitants, l'armée irakienne a envisagé de changer de stratégie en facilitant la fuite des civils pour pouvoir combattre plus efficacement les jihadistes de l'État islamique. Cette proposition symptomatique de la frustration qui gagne l'armée, après six semaines d'une progression aussi lente que coûteuse en vies humaines, a finalement été écartée par le Premier ministre irakien, Haïdar el-Abadi, et par les généraux, dit-on de sources militaires. Le chef du gouvernement et ses conseillers craignaient que les habitants en fuite ne soient massacrés par les jihadistes, qui contrôlent encore les trois quarts de la ville, et que les agences humanitaires ne soient incapables de faire face à un exode massif. Le seul fait que cette hypothèse ait été étudiée lors d'une réunion au sommet, le 24 novembre, comme l'ont confirmé deux responsables militaires et un conseiller du gouvernement, montre cependant à quel point l'état-major craint de se laisser enfermer dans une guerre d'usure à Mossoul.

Les jihadistes, qui se déplacent à la faveur d'un réseau de tunnels percés pendant leurs deux années d'occupation de la ville, livrent une résistance féroce aux assaillants. Leurs tireurs embusqués, mortiers et attentats-suicide à la voiture piégée infligent de lourdes pertes aux militaires qui ne peuvent pas utiliser tout leur arsenal, notamment aérien et blindé, par crainte de toucher les habitants. « Nos chefs nous demandent de progresser et en même temps d'accorder la priorité à la sécurité des civils », témoigne un officier de la 9e division blindée, qui combat dans le sud-est de Mossoul. « Comment est-on censé faire ça ? C'est mission impossible », soupire-t-il.


(Lire aussi : La pluie, un nouveau coup du sort pour les déplacés de Mossoul)

 

Combattre sans retenue
La campagne de reconquête de Mossoul, dernier grand bastion urbain de l'EI en Irak, est la plus spectaculaire opération militaire montée dans le pays depuis une décennie. Pas moins de 100 000 hommes sont mobilisés pour chasser les quelques milliers de jihadistes qui seraient retranchés dans la ville.

L'état-major avait prévenu que la reconquête prendrait du temps, mais, au rythme actuel, elle va s'étendre bien au-delà du début de l'année prochaine, aggravant le risque de crise humanitaire majeure en plein hiver tout en augmentant les pertes dans les rangs de l'armée. « La semaine dernière, nos commandants ont discuté avec d'autres officiers participant à l'offensive de la possibilité de permettre aux civils de fuir Mossoul (...) pour enlever un fardeau aux forces assaillantes et leur permettre de combattre sans retenue les éléments de Daech (acronyme arabe de l'EI) », a déclaré l'officier de l'armée, qui a souhaité garder l'anonymat, car il n'est pas autorisé à parler à la presse. Un soldat des services de contre-terrorisme (CTS), l'unité d'élite de l'armée, ajoute qu'une ville vidée de ses habitants permettrait de mener davantage de frappes aériennes pour neutraliser les poches de résistance.

Les chefs de l'armée sont convenus qu'un tel changement de stratégie permettrait aux soldats d'avancer plus vite, mais ils ont estimé que le risque de voir les choses mal tourner était plus élevé que le bénéfice escompté. « Ils ont donc décidé de s'en tenir au plan actuel », a dit le soldat, qui a lui aussi voulu rester anonyme.

 

(Lire aussi : Les habitants de Mossoul confrontés à une pénurie d’eau « catastrophique »)

 

Ménager les sunnites
Pour les militaires, la présence des civils est un casse-tête et constitue la principale différence par rapport aux opérations de reconquête de Tikrit, de Ramadi ou de Fallouja. « C'est pour cela que ça prend du temps », a déclaré jeudi soir le général Abdoul Amir Rachid Yarallah à la télévision irakienne. « Si elle n'avait pas à prendre un tel luxe de précautions, l'armée aurait déjà reconquis la partie de la ville située à l'est du Tigre, qui coupe Mossoul en deux », a-t-il dit.

Pour le gouvernement dirigé par le chiite Haïdar el-Abadi, il est crucial de montrer aux habitants majoritairement sunnites de Mossoul que l'armée est de leur côté afin d'espérer dépasser les profondes divisions confessionnelles qui ont favorisé l'émergence de l'EI. C'est aussi la position des États-Unis, dont la coalition fournit appui aérien, matériel et conseils aux militaires irakiens. Les autorités ont tenté d'aller plus loin, en encourageant dans un premier temps la population à se soulever, mais toutes les tentatives ont été réprimées dans le sang par les jihadistes, qui ont exécuté des dizaines de civils. Pour le colonel John Dorrian, de l'US Air Force, la patience des militaires irakiens devrait finir par payer. Le rythme des attentats à la voiture piégée a ainsi diminué, notamment parce que les jihadistes, désormais totalement assiégés, n'ont pas un nombre illimité de véhicules et de kamikazes, mais aussi parce que la destruction de plusieurs ponts et routes par des frappes aériennes a limité leur liberté de mouvement. « Cette tactique commence à perdre de son élan », assure-t-il.

Reste aux militaires un espoir, dit Hicham el-Hachemi, un conseiller du gouvernement irakien sur la lutte contre l'EI : « Nous parions sur le fait que Daech va bientôt en avoir assez, qu'ils seront bientôt à court de munitions, maintenant qu'ils ne peuvent pratiquement plus franchir le Tigre. »

 

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