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En bas, là-bas

Premier décembre et l'impression que cette date déclenche une sorte de compte à rebours. Dans chaque recoin du monde – nous en sommes sûrs – ceux d'entre nous qui vivent ailleurs se préparent avec une certaine fébrilité au retour saisonnier. Bientôt, selon l'expression consacrée on ne sait par qui ni comment, ils « descendront » à Beyrouth. On « monte » à Paris, Londres, New York ou Dubaï, mais à Beyrouth on « descend », c'est la règle. Il y a comme une chronique de la chute dans ce verbe étrange. Parmi la diaspora, la question de descendre se passe d'ailleurs de complément d'objet. On demande « tu descends ? » et on se comprend à demi-mot. Combien bas descend-on quand on descend à Beyrouth ?

Dans cette ville abîme, il y a la maison de l'enfance, derrière la station d'essence, en face du four à mana'iche, à l'angle de la quincaillerie, dans la rue restée sans nom, où l'étranger ne peut que se perdre mais que les taxis, curieusement, repèrent d'instinct. Y vivent encore quelques voisins, fratrie urbaine, avec lesquels on organisait des concours de skate-board sur la rampe du parking. Avec lesquels, plus tard, durant les longues périodes sans école, on n'avait plus goût à jouer. Avec lesquels on a tremblé quand les bombardements se rapprochaient, souffert de mille dénuements, attrapé des fous-rires dans le noir, écouté de la musique à tue-tête pour faire taire la mort, rêvé de partir sans oser l'avouer, et à défaut, avec lesquels on est finalement un peu parti, risquant sciemment sa petite vie d'adolescent entre les seins de la dernière Lola du souk et la niche du sniper qui était le cousin du copain du grand-frère de l'aîné de la bande. On avait commencé une collection de douilles. On connaissait l'origine du moindre shrapnel. Certains étaient empoisonnés. Bref, après le bac, il n'était plus question de rester dans ce trou, déjà qu'on y avait perdu son enfance. Voilà comment on est « monté » là-bas. Là-bas est devenu ici. Ici se déroule désormais la suite, définitivement, avec des intermittences.

À une quinzaine du prochain intermède, on appréhende un peu, comme toujours. Descendre, c'est se plonger une fois de plus dans ce bain acide dont on n'a jamais eu le temps d'émerger vraiment. Il y a d'abord ces périodes qui serrent le cœur, où l'on trouve que tout le monde a vieilli. Mais il arrive un moment où les rides ne peuvent pas rider davantage, alors on s'habitue. D'ailleurs, malgré son angoisse endémique, Beyrouth est l'autre nom de la joie, surtout nocturne, surtout quand c'est dimanche, ou Noël, ou l'Eid, le jour de l'An, le mariage de la cousine, le baptême du petit neveu, la circoncision du gamin du 7e, la remise de diplôme du dernier de la fratrie. Surtout quand on rentre et qu'on est attendu comme si l'on revenait de la lune. Dans ces moments-là, bien qu'ayant juré ne plus s'y laisser prendre, descendre vous remonte.

Premier décembre et l'impression que cette date déclenche une sorte de compte à rebours. Dans chaque recoin du monde – nous en sommes sûrs – ceux d'entre nous qui vivent ailleurs se préparent avec une certaine fébrilité au retour saisonnier. Bientôt, selon l'expression consacrée on ne sait par qui ni comment, ils « descendront » à Beyrouth. On « monte » à Paris, Londres,...

commentaires (2)

Géniale Fifi cette fois-ci! J'ai eu le coeur serré, mais lorsqu'on descend "à Beyrouth" pour partager une joie, vous avez bien raison, ça remonte! Merci Fifi pour cette bouffée d'optimisme!

Zaarour Beatriz

18 h 17, le 04 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • Géniale Fifi cette fois-ci! J'ai eu le coeur serré, mais lorsqu'on descend "à Beyrouth" pour partager une joie, vous avez bien raison, ça remonte! Merci Fifi pour cette bouffée d'optimisme!

    Zaarour Beatriz

    18 h 17, le 04 décembre 2016

  • Cela vous prend au coeur et aux tripes vous donne la larme a l oeil et fait remonter vos emotions merci fifi

    Dolly Talhame

    07 h 28, le 02 décembre 2016

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