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Des bâtisseurs, une Raymonde

L'esprit du château fort, c'est le pont-levis.
René Char

 

Rares, très rares sont celles et ceux, simples citoyens, capables de modeler efficacement, comme une pâte, champ de tant de possibles, les destins de dizaines de groupes à la fois. De tellement de promotions. Encore plus rares sont celles et ceux qui, pour ce faire, se sont imposé une charte de conduite d'une éclatante simplicité, d'une bienheureuse rigidité : ne jamais, au grand jamais, enfermer entre des murs, cloisonner, séparer, ne jamais recroqueviller ou bunkériser, ne jamais oublier l'infinie urgence du métissage. Mais au contraire, consacrer sa vie, en temps de guerre comme en temps de paix, à un objectif unique, une seule entreprise, qui éreinte, qui vide, qui angoisse, qui tétanise, qui salit et blesse les mains : la construction de ponts.

Raymonde Abou a été, est et restera une maçonne. Une ingénieure en chef un peu Minerve, un peu fée, car comment, sinon, expliquer la multiplicité de ces ponts qu'elle a érigés avec une équipe d'airain, de 1969 à 2001, lorsqu'elle était directrice du très novateur Collège Louise Wegmann ? Des ponts entre tellement de rives, au-dessus de fleuves-Achéron comme de cours d'eau tranquilles ; des ponts entre les deux Beyrouth, châtrées durant quinze ans ; des ponts au sein des mêmes classes (naturelles, vertes ou de neige) et au sein d'une même salle des profs, entre chrétiens, musulmans et druzes, entre maronites et orthodoxes, entre sunnites et chiites ; des ponts entre élèves, entre premiers de classe et ceux qui avaient plus de peine ; des ponts entre et avec les parents ; des ponts entre l'être et le paraître, entre les tentations de Venise et la dynamique collective, des ponts en lesquels elle se métamorphosait elle-même, exhortant ses élèves, ou les forçant, parfois il faut le faire, à les franchir. En donnant son nom à une rue de la capitale, de ce Hamra qu'elle ne quittait que pour mieux y revenir, la municipalité de Beyrouth, dans un geste probablement inédit et fort, a consacré plus qu'une marraine : une bâtisseuse de générations.

D'anciens élèves pétris par l'esprit et la lettre du label Raymonde Abou, la Génération Orient, lancée par L'Orient-Le Jour en partenariat avec la SGBL, et dont la première saison vient de s'achever, en a eu, et en aura. La minicuvée 2016 (les prochaines présenteront douze artistes au lieu des six de cette année) n'est formée que de jeunes filles et de jeunes gens (Mir-Jean Bou Chaaya, Rayya Morcos, Ali Chahrour, Hala Ezzeddine, Marc Dibeh et Blu Fiefer) uniquement préoccupés, eux aussi, eux surtout, par le dynamitage des murs, sinistre spécialité, apparemment, de ce XXIe siècle ; uniquement focalisés sur la construction de ponts. Comme ils l'ont appris sans doute à la maison, mais surtout à l'école, toutes ces écoles dont Raymonde Abou est l'émouvant et le puissant épitomé. Parce que effectivement, cette femme, cette grande dame, n'est pas/plus une directrice ou une pédagogue, mais bien, à elle seule, une école.

P.-S. Et pendant ce temps, les partis politiques, tous les partis politiques, s'écharpent pour les portefeuilles régaliens et de services, oubliant qu'au cœur d'une République, moteurs de tout pays et, idéalement, de tout État-nation, il y a les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture. Affligeant.

L'esprit du château fort, c'est le pont-levis.René Char
 
Rares, très rares sont celles et ceux, simples citoyens, capables de modeler efficacement, comme une pâte, champ de tant de possibles, les destins de dizaines de groupes à la fois. De tellement de promotions. Encore plus rares sont celles et ceux qui, pour ce faire, se sont imposé une charte de conduite d'une éclatante...

commentaires (4)

Les ministères de l'Education nationale et de la Culture... d'accord, mais ils ne sont pas juteux et ne permettent pas de faire 52 voyages par an à travers le monde.

Un Libanais

14 h 13, le 28 novembre 2016

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Commentaires (4)

  • Les ministères de l'Education nationale et de la Culture... d'accord, mais ils ne sont pas juteux et ne permettent pas de faire 52 voyages par an à travers le monde.

    Un Libanais

    14 h 13, le 28 novembre 2016

  • ETAIT-CE DU : FREE OF CHARGE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 53, le 28 novembre 2016

  • Bon , ben ...oui ....

    FRIK-A-FRAK

    10 h 06, le 28 novembre 2016

  • Merci à Ziyad Makhoul pour cet éditorial qui se passe de commentaires et mérite tous les éloges.

    COURBAN Antoine

    07 h 29, le 28 novembre 2016

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