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Moyen Orient et Monde - Interview

« C’est quand elle n’est pas ce qu’elle est réellement qu’Hillary devient populaire »

Thomas Snégaroff, auteur et historien spécialiste des États-Unis, répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

De gauche à droite : Bill Clinton, Hillary Rodham Clinton et Tim Kaine, candidat à la vice-présidence démocrate, lors du discours de défaite d’Hillary Clinton, après qu’elle a perdu l’élection face à Donald Trump, le 9 novembre à New York. Jewel Samad/AFP

Femme, avocate, épouse, sénatrice, mère, Première dame, secrétaire d'État. Hillary Clinton aura réussi – presque – tout ce qu'elle aura entrepris. Lentement, mais sûrement, celle qui fut regardée avec sympathie, et même pitié, tout en affrontant l'opinion publique choquée par les frasques de son mari, a pris sa revanche. Multipliant les contradictions, alternant réserve, fiabilité, loyauté, respect des traditions, fougue, vivacité, force et même dureté, Hillary Clinton est toutes ces choses à la fois.

Après plus de trente ans passés sous le feu des projecteurs, Hillary Rodham Clinton et son mari demeurent une énigme. Icône féministe pour les uns, malhonnête et calculatrice pour les autres, elle a été la première femme à être candidate à la Maison-Blanche. Elle a déjà connu les coulisses du Bureau ovale lors des deux mandats de son mari, puis sous Barack Obama, contre lequel elle a perdu la campagne pour la primaire démocrate dans le cadre de la campagne pour la présidentielle en 2008, avant de devenir sa secrétaire d'État pour quatre ans. En 2015, Hillary Clinton se lance dans la course à la Maison-Blanche. Un an durant, elle fait face aux rumeurs, aux ragots, aux diverses attaques de ses détracteurs et survit même à une enquête du FBI.
Aujourd'hui, après avoir perdu l'élection présidentielle contre Donald Trump le 8 novembre, elle semble s'être retirée de la scène politique. Retour sur un parcours exceptionnel avec le spécialiste des États-Unis, mais aussi, et surtout, des Clinton Thomas Snégaroff, qui lève pour L'Orient-Le Jour un pan du voile pour mieux comprendre ce couple historique.

Vous avez écrit plus d'un ouvrage sur les États-Unis, dont « Bill et Hillary Clinton. Le mariage de l'amour et du pouvoir » (éd. Tallandier, 2014) et « Hillary et Bill Clinton, l'obsession du pouvoir » (éd. Tallandier, 2016). Pourquoi ce couple en particulier ?
C'est un couple complètement atypique dans l'histoire américaine. Il y a un mystère concernant ce qui les unit, les a maintenus ensemble depuis si longtemps. Pour quelqu'un qui aime à la fois l'histoire et la littérature, il y a là un sujet fertile en termes d'écriture.
Mais, surtout, il y a le fait que ce couple s'inscrit dans l'histoire américaine, à savoir que son évolution politique raconte aussi l'histoire des États-Unis, parce qu'on peut notamment analyser tous les grands événements de l'histoire américaine de ces 40 dernières années à travers leur couple. Je pense à la guerre du Vietnam, que Bill Clinton s'était employé à éviter de faire, créant un scandale en 1992 ; le Watergate, puisqu'Hillary Clinton fait partie des jeunes juristes qui travaillent sur le procès en destitution au Congrès. C'est aussi la présidence de Bill Clinton, 8 ans durant ; c'est ensuite Hillary Clinton, témoin privilégié et malheureux de la montée en puissance de Barack Obama.
Plus structurellement, de manière moins visible, il y a aussi l'évolution des mentalités américaines : ils sont un couple des Trente Glorieuses, à savoir moderne, qui n'a qu'un seul enfant, et au sein duquel la femme a des velléités d'autonomie. Là, c'est un problème plus particulier parce qu'il s'agit de politique. Dans ce couple donc, la femme conserve son emploi et, malgré le fait que son mari soit gouverneur, reste avocate. Toute la question du puritanisme, avec l'affaire Lewinski, de l'infidélité, du mensonge sont autant de thèmes de la culture américaine qui ressortent à travers ce couple. Les Clinton ont trois dimensions : ils sont des acteurs de l'histoire, mais ils en sont aussi des témoins et le reflet.

Quelles ont été les influences principales d'Hillary Clinton ?
Sa mère Dorothy, d'abord, qui a eu une influence majeure dans l'éducation de sa fille. C'est elle qui, à en croire Hillary Clinton dans ses Mémoires, forge son identité politique, mais aussi de femme. Elle lui enseigne l'importance d'être en permanence en accord avec ses idées, de ne pas abdiquer ses ambitions simplement parce qu'elle est une femme. Elle lui enseigne aussi le fait d'avoir de la tempérance en tout. Elle raconte par exemple que quand elle était petite fille et qu'elle s'énervait, sa mère lui sortait un niveau de menuisier, avec une bulle au milieu, lui répétant en lui montrant la bulle qu'elle devait être toujours à ce niveau-là de modération.

Jeune, elle reste, d'un point de vue politique, favorable au Parti républicain. Elle bascule idéologiquement plus à gauche quand elle entre à l'université en 1969. Elle fait son mémoire de sociologie sur Saul Alinsky, un sociologue très hostile à la société américaine de l'époque. Elle s'en prend progressivement à l'administration Nixon ; elle va aussi, à partir d'Alinski, s'intéresser à tout ce qui relève de l'organisation des communautés, leurs échelons, etc. Quand elle est admise à l'université de Yale, elle se lie d'amitié avec Marian Wright Edelman, une militante des droits civiques, mais surtout des droits des enfants, qui est un peu plus âgée qu'elle et qui devient son mentor. Elles travaillent ensemble sur des projets pour des communautés pauvres. Il faut aussi préciser que sa rencontre en 1970 avec Bill Clinton, qui a déjà une conscience politique très aiguë, notamment sur les questions raciales et qui prône le dialogue entre communautés, joue un rôle crucial.

 

Issue d'un milieu méthodiste, en quoi son éducation religieuse et sa pratique actuelle la marquent-elles ?
Elle a joué un rôle important dans la structure de son identité, de sa personnalité. Elle affirme par exemple que sa capacité de pardon, notamment durant l'affaire Lewinsky, s'explique en particulier par cette foi. Après, cette foi est personnelle, mais il y a une vraie croyance dans une éthique individuelle, dans le fait que chacun doit faire un effort pour la communauté. Il faut souligner que la question religieuse a très peu été évoquée pendant la campagne présidentielle.

 

Vous mentionnez son origine républicaine et son passage dans l'autre camp à la fin des années 1960. Quel impact sa connaissance intime des deux partis a-t-il eu sur sa politique actuelle ?
Je pense que s'il y a déjà ce cheminement au sein des deux partis, c'est qu'elle n'était pas une républicaine très conservatrice ou convaincue ; elle reste également modérée au sein du Parti démocrate. Le fait de bien connaître ces deux partis lui a permis d'en comprendre le fonctionnement et de ne pas s'interdire de travailler avec les républicains, en fin de compte sa famille d'origine. Elle l'a fait quand elle était sénatrice à New York, par exemple, contrairement à Barack Obama qui n'a jamais réellement travaillé avec eux. D'ailleurs, on lui reproche souvent d'être quasiment sur les mêmes positions conservatrices que les républicains en matière de politique étrangère, par exemple, et d'être en revanche beaucoup plus progressiste en matière de politique intérieure. Elle a donc un profil idéologique assez difficile à saisir, qui ne ressemble à aucun autre. Elle a un pied dans chacun des deux partis.

 

 

(Pour mémoire : Laminé par la défaite de Clinton, le Parti démocrate veut renouer avec les cols bleus)

 

 

Quel moment a le plus marqué la vie politique d'Hillary Clinton ?
Il y a plusieurs moments très importants que l'on peut citer. D'abord, l'un de ces moments décisifs fut lorsqu'elle a accepté de s'installer dans l'Arkansas avec Bill Clinton (qui y poursuivait sa carrière, avant d'en être élu gouverneur dans les années 1970). Elle s'installait dans un État qu'elle ne connaissait pas. Culturellement, le Sud des États-Unis est très loin d'elle. Elle dit aujourd'hui qu'elle l'a fait par amour, certes, mais elle l'a aussi fait par calcul politique. Elle savait que Bill Clinton allait devenir président des États-Unis ; c'est en tout cas ce qu'elle répétait à qui voulait l'entendre, mais tout le monde riait. Elle a choisi sa carrière à travers son mari.
Il y a ensuite le fait qu'elle accepte, en 1980, de porter le nom de Bill Clinton (pourtant son mari depuis 1975) alors qu'elle continuait durant leur mariage de se faire appeler Hillary Rodham, son nom de jeune fille, pour garder une certaine forme d'indépendance. Son mari est sur le point d'être battu à sa réélection en tant que gouverneur de l'Arkansas, et certaines personnes de leur entourage expliquent à Hillary qu'elle est trop indépendante. Elle accepte alors de se faire appeler Clinton. Elle a beau paraître radicale ou un peu dure, cet exemple montre qu'elle est capable de s'adapter aux circonstances pour ne pas nuire aux ambitions de son mari, et aux siennes.

L'élection présidentielle de 1992 aussi est décisive, ainsi que le fait d'avoir à faire face aux infidélités de son mari. L'affaire Lewinski est l'un des moments-clés de sa vie, parce que c'est un moment très paradoxal pour elle. Elle devient enfin très populaire, mais c'est parce qu'elle devient ce qu'elle n'est pas, à savoir une femme un peu soumise qui reste aux côtés de son mari menteur et infidèle. C'est quand elle n'est pas ce qu'elle est réellement qu'elle devient populaire.
Il y a également son discours de défaite, en juin 2008. Elle vient de perdre la primaire contre Barack Obama, et elle prononce un discours où, pour la première fois, elle met en avant son identité de femme dans la campagne alors qu'elle ne le faisait pas avant. Dans ce discours, elle dit aussi : « Même si nous n'avons pas pu briser ce haut et dur plafond de verre, grâce à vous, il y a maintenant 18 millions de fissures dedans », en référence au nombre de voix obtenues. Elle est déjà en train de poser les jalons d'une candidature à venir.

 

Monica Lewinsky n'aurait pas été la première maîtresse de Bill Clinton. Comment Hillary a-t-elle vécu les infidélités de son mari ?
Elle a eu plusieurs réactions. Une première a été pour elle de nier l'affaire, la seconde de la politiser, c'est-à-dire affirmer qu'on tente d'affaiblir politiquement son mari. Concernant l'affaire Lewinsky, elle avait par exemple affirmé qu'il s'agissait d'un complot d'extrême droite. Troisième option, comme en 1992, souligner l'aspect privé de ce genre de problème qui ne concerne personne. Quatrièmement, expliquer que son mari est victime de son propre caractère, qu'il a grandi entre deux femmes – sa mère et sa grand-mère – et que, par conséquent, il sera toujours tiraillé entre deux idéaux féminins, deux types de femme. C'est de ces différentes façons qu'elle a passé toutes les étapes. On raconte qu'en 1989, elle était très près de demander le divorce.

 

Après le scandale Lewinsky, nombreux sont ceux qui affirment qu'Hillary a sauvé le mandat de Bill...
Tout à fait. Elle l'a d'ailleurs sauvé à plusieurs niveaux. Elle a milité auprès de tous les démocrates pour qu'ils ne votent pas sa destitution. Ensuite, elle est restée à ses côtés, acceptant de le pardonner ; elle a ouvert la voie aux Américains, qui l'ont aussi pardonné. Elle a en grande partie sauvé la présidence de son mari, à qui il restait une bonne tranche de mandat ; il est resté populaire jusqu'à la fin d'ailleurs, recueillant plus de 60 % d'opinions favorables en quittant la Maison-Blanche.

 

Certains détracteurs du couple affirment que le rôle d'Hillary Clinton dans les coulisses de la Maison-Blanche, pendant les deux mandats de son mari, n'est pas à sous-estimer. Êtes-vous d'accord ?
Bien entendu. Quand Bill a été élu, elle s'est installée dans l'aile Ouest de la Maison-Blanche, alors que, traditionnellement, la Première dame doit rester dans l'aile Est. Elle va tenter d'imposer une réforme de santé jusqu'en 1994, par exemple. Après l'échec subi quant à cette réforme, on lui dit de rentrer dans les rangs, elle est trop impopulaire. Elle devient beaucoup moins active politiquement, mais reste la principale conseillère de son mari. Le couple discute beaucoup de divers sujets. Elle aurait par exemple beaucoup insisté pour des frappes en Libye durant le mandat de Bill Clinton.

 

(Lire aussi : La défaite de Clinton laisse de nombreuses femmes désemparées)

 

Hillary Clinton s'est présentée une première fois à la présidentielle américaine en 2008, perdant face à Barack Obama lors des primaires. Quelles leçons a-t-elle tirées de sa défaite et comment a-t-elle vécu le fait de devenir sa secrétaire d'État ?
Il a fallu qu'Obama le lui demande trois fois. Mais elle a compris aussi, et son mari l'en a convaincue, que si elle avait une chance infime de devenir présidente des États-Unis, il fallait absolument qu'elle ne disparaisse pas de la scène politique et qu'elle acquière cette expérience internationale, cette image de force et de virilité qui lui manquait en 2008 pour qu'elle ait enfin l'espace pour jouer sur sa personnalité de femme. Elle est donc devenue secrétaire d'État pendant quatre ans, a publié un livre sur son expérience en tant que telle, avant de se représenter à la présidence américaine en 2015, ce qui constitue un timing très intéressant. Elle est ainsi plus crédible en tant que présidente que Donald Trump. Elle a de l'expérience, a parlé les yeux dans les yeux avec tous les grands dirigeants de ce monde, a montré qu'elle était forte ; elle était dans la salle de commandement quand les forces américaines ont tué Ben Laden... Elle a acquis cette valeur qui pouvait lui donner une chance d'être élue.

A-t-elle toujours eu l'ambition d'être présidente des États-unis ?
Je pense qu'elle a toujours eu cette ambition, probablement évanescente au départ. Elle s'est précisée et concrétisée à partir de 1998-1999, quand son mari s'apprêtait à quitter la Maison-Blanche.

 

Selon plusieurs sondages américains, Hillary Clinton n'est pas exactement ce qu'on appellerait une femme populaire ou aimée des Américains. Certains la qualifient également de « malhonnête » et de « voleuse ». Pourquoi, à votre avis ?
Pendant l'affaire Lewinsky, elle a probablement été la femme la plus populaire du monde, pour les Américains en tout cas. Elle est très populaire quand on ne parle pas vraiment d'elle. Elle l'a été par exemple de 2003 à 2005. Il est vrai qu'elle et son mari charrient l'image de gens ultrariches, qui se sentent au-dessus de tout. Il y a eu pas mal d'affaires, comme celle de Whitewater (le couple Clinton aurait favorisé des prêts illicites entre l'une de leurs associées et un homme d'affaires, qui a aussi évoqué une création de sociétés fictives et des détournements de fonds) dans les années 1980-90, ainsi que celle des e-mails durant son mandat. Tout cela dessine l'image d'Américains au-dessus des lois. Il y a certainement aussi un double standard pour une femme : si elle est trop douce, elle doit faire preuve de fermeté ; mais si elle est trop dure, elle est considérée comme trop froide et distante. Il n'y a qu'à voir en Europe comment sont considérées des femmes comme Margaret Thatcher, Theresa May ou encore Angela Merkel. Ce ne sont pas des femmes d'une grande douceur, en apparence. Hillary Clinton a peut-être dû surjouer un peu ce caractère dur et froid, et c'est aussi ce qui éloigne un peu les Américains d'elle, et peut même, parfois, engendrer une forme d'antipathie.

 

 

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Femme, avocate, épouse, sénatrice, mère, Première dame, secrétaire d'État. Hillary Clinton aura réussi – presque – tout ce qu'elle aura entrepris. Lentement, mais sûrement, celle qui fut regardée avec sympathie, et même pitié, tout en affrontant l'opinion publique choquée par les frasques de son mari, a pris sa revanche. Multipliant les contradictions, alternant réserve,...

commentaires (1)

Elle mériterait la taule. C'est le seul reproche qu'on pourra faire à Trump de lui avoir pardonné ses crimes de corrompue. Cette femme est dangereuse pour l'humanité.

FRIK-A-FRAK

06 h 23, le 25 novembre 2016

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Commentaires (1)

  • Elle mériterait la taule. C'est le seul reproche qu'on pourra faire à Trump de lui avoir pardonné ses crimes de corrompue. Cette femme est dangereuse pour l'humanité.

    FRIK-A-FRAK

    06 h 23, le 25 novembre 2016

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