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Liban - Droit constitutionnel

Hassan Rifaï à « L’OLJ » : Le président et le Premier ministre ont le droit et le devoir de refuser tous les veto

Le juriste Hassan Rifaï.

La genèse du prochain gouvernement semble progresser vers l'instauration d'une cohabitation de communautés sans projet national commun. La manifestation la plus symptomatique en est l'émergence d'un front chiite incarné par le tandem Hezbollah-Amal qui, depuis l'élection du président Michel Aoun, allègue de son indivisibilité et, conséquemment, s'auto-habilite à représenter exclusivement la communauté chiite. Il invoque son droit à détenir exclusivement et durablement le portefeuille des Finances, qui assurerait un contreseing chiite sur les décrets aux côtés des deux signatures du président de la République et du Premier ministre. Il prétendrait aussi avoir un droit de regard sur la répartition des portefeuilles régaliens ainsi que les portefeuilles stratégiques, arguant de considérations sécuritaires vitales pour le Hezbollah. De plus, le même tandem chiite, qui pourtant monopolise la représentation de sa communauté, plaide, au nom de « l'union nationale », pour la participation au cabinet de parties chrétiennes externes à l'accord de Meerab (calqué, du reste, sur le modèle communautariste du Hezbollah).

D'une manière générale, non seulement les conditions des uns et des autres lient le Premier ministre désigné, ainsi que le chef de l'État, mais elles obéissent à une grille de normes qui s'imposent comme un substitut à la Constitution.
Ainsi, après l'interprétation singulière du pacte national par le CPL, qui y a vu non plus un partenariat islamo-chrétien mais un partenariat entre « les forts » de chaque communauté, le tandem Amal-Hezbollah est venu ajouter que seul lui détient la légitimité pour parler au nom de sa propre communauté, déniant aux autres le pouvoir de détenir pareil monopole au sein de leurs communautés respectives.
Dans ce contexte de dénaturation des fondements de notre système, il a fallu une lecture de l'éminent juriste Hassan Rifaï à L'OLJ, dans une tentative de restituer in extremis les repères instaurés à Taëf.

Le diagnostic général qu'il fait de la situation est le suivant : le système confessionnel « a un objectif louable et nécessaire (jusqu'à nouvel ordre) d'équilibrer la représentation islamo-chrétienne. Il a pris néanmoins un tout autre aspect depuis que les partis politiques sont devenus des partis communautaires dans l'après-guerre ».
Ainsi, l'exercice politique qui se déployait entre deux camps pluriconfessionnels n'existe plus, explique M. Rifaï. Il compare ainsi les députés de 1972 aux députés actuels en adoptant une approche historique centrée sur l'élément humain comme facteur déterminant de l'efficacité du droit. « Malgré leur manque de culture juridique, les premiers avaient un sens beaucoup plus développé du bien commun que les seconds, lesquels sont prêts à démonter toutes les règles pour servir leurs intérêts propres », dit-il.
Il reste qu'en dépit de la dénaturation de l'exercice politique par la surcommunautarisation des partis, il existe des règles instaurées par Taëf à même d'assainir les rapports au sein du pouvoir, à condition que ceux qui ont intérêt à les appliquer, comme le Premier ministre désigné, ne craignent pas de le faire.

Double message à Aoun et Hariri
Ce dernier a en effet « pleine latitude pour rejeter des veto qui compromettraient la bonne marche de son gouvernement », explique M. Rifaï, revenant sur le modèle de la IIIe République en France et même sur la pratique au Liban de 1943 à 1989, où il est arrivé que le Premier ministre, dépendamment de son envergure, soit parvenu à s'assurer une autonomie par rapport au président de la République.
Il y aurait surtout un impératif pour le Premier ministre d'user de sa pleine latitude pour nommer le Conseil, de manière à prévenir autant que possible d'éventuelles confrontations de l'intérieur qu'il ne serait pas en mesure de contrecarrer.

En effet, alors que le Premier ministre signe avec le président de la République le décret relatif à la formation du cabinet, c'est le premier qui est « responsable » de tout manquement de l'exécutif.
« Aucune responsabilité ne peut être imputée au chef de l'État, celui-ci n'ayant compétence à prendre aucune décision unilatérale opposable aux tiers », ajoute-t-il. Néanmoins, le président de la République reste la seule autorité à prêter serment sur la Constitution, ce qui l'investit de la mission de « veiller sur la bonne application de la loi fondamentale, même si celle-ci pourrait ne pas convenir à ses intérêts propres. Il a un pouvoir politique indirect, mais sans responsabilité ». Le président Michel Aoun devrait donc assumer son rôle, en président « fort et juste », de veiller à lever les obstacles à la bonne marche du cabinet.

D'autant plus que le grand gagnant de la réforme de Taëf n'est ni le président de la République ni le Premier ministre, mais chaque ministre pris isolément. En effet, si la nomination d'un ministre se fait par les deux présidents, la révocation, elle, nécessite un vote aux deux tiers du Conseil des ministres.
Adressant un double message au président et au Premier ministre, M. Rifaï se demande de manière rhétorique si une personnalité de l'étoffe de Raymond Eddé – qui devrait servir de modèle – aurait plié devant la contrainte des veto et autres hérésies constitutionnelles entretenue par les partis politiques.

(Lire aussi : Futur gouvernement : des Libanais expriment leurs attentes)

 

La parité et la compétence contre « l'hérésie » des veto
Dans son argumentaire, M. Rifaï déconstruit certaines pratiques qui vicient actuellement le processus de formation du cabinet mené par le Premier ministre désigné Saad Hariri. D'abord, il affirme que « les veto et contre-veto dans l'attribution des portefeuilles n'ont aucun fondement dans la Constitution et sont donc irrecevables ».
Il dénonce subsidiairement l'aberration de catégoriser les portefeuilles en fonction de leur prétendu degré d'importance. La qualification de certains portefeuilles de régaliens, par exemple, serait une « hérésie sans précédent ».
La répartition des portefeuilles et le choix des ministrables devraient obéir à deux critères stricts : « la parité, prévue par Taëf » et « la compétence du ministre à gérer son portefeuille ». Loin pourtant de plaider pour la technocratie, M. Rifaï juge inconcevable d'attribuer un portefeuille à une personne qui est complètement étrangère à son objet.

Sur le principe, il explique la dualité des fonctions du ministre, l'une étant de nature administrative exercée au sein du ministère, et l'autre politique, prenant forme en Conseil des ministres. « La première impose une expertise minimale du ministre, la seconde place tous les ministres à égalité dans l'exercice de leurs attributs politiques, lesquels restent confinés dans le cadre de politique générale que fixe le Conseil des ministres dans son ensemble », explique-t-il. Ainsi, rien n'empêcherait de confier par exemple l'un des portefeuilles dits régaliens à une personne appartenant aux minorités.

« Berry serait-il prêt à confier les Finances à un chiite indépendant ? »
Partant, le principe de rotation serait superflu, de même que l'accaparement d'un portefeuille par une communauté serait infondé et inconstitutionnel. Mais le niveau abyssal que les partis politiques ont atteint en instrumentalisant le système confessionnel à des fins propres à chacun a permis par exemple au tandem chiite d'instrumentaliser le pacte national à des fins hégémoniques. Aux yeux de M. Rifaï, l'attachement de Nabih Berry au portefeuille des Finances ne serait pas motivé par son soi-disant souci de garantir les droits de la communauté chiite au pouvoir, mais seulement de servir des intérêts politiques propres. « M. Berry serait-il prêt, sinon, à confier les Finances à un chiite véritablement indépendant ? » s'interroge-t-il.

L'éminent juriste déplore, du reste, la perversion du pacte national. Il explique que celui-ci se définit en référence à la déclaration ministérielle du cabinet de Riad Solh sous le mandat de Béchara el-Khoury, ayant instauré un partenariat islamo-chrétien. D'autres explications du pacte seraient irrecevables, ajoute-t-il.
Qui plus est, l'alinéa H du préambule de la Constitution de 1990 ne serait qu'une formulation creuse sujette à de multiples interprétations, que l'ancien président de la Chambre Hussein Husseini « a d'ailleurs regretté d'avoir insérée, au vu de sa dénaturation ». Quoi qu'il en soit, « aucun pacte ne saurait avoir valeur supérieure au texte de la Constitution », conclut-il.

 

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La genèse du prochain gouvernement semble progresser vers l'instauration d'une cohabitation de communautés sans projet national commun. La manifestation la plus symptomatique en est l'émergence d'un front chiite incarné par le tandem Hezbollah-Amal qui, depuis l'élection du président Michel Aoun, allègue de son indivisibilité et, conséquemment, s'auto-habilite à représenter...

commentaires (5)

J'ai décidé de cesser de lire après les dix premières lignes, simplement parce que je savais que l’on était sur la fausse longueur d'ondes. Mes amis, pouvez-vous me dire de quoi nous parlons? Si vous hésitez à me répondre, laissez-moi vous le dire le plus simplement possible. Nous sommes un petit pays de cinq millions d’habitants (ou sont-ils quatre ou 6 millions? Ca personne ne le sait parce' il n’y a pas eu de recensement depuis 1932. Ce premier malentendu est, à mon avis, la source de tous nos maux. Mais passons outre si vous le voulez bien. Que voulons-nous faire à l’intérieur de ces 10,000 kilomètres carres? Là aussi, mystère et boule de gomme. Donc quelle est la solution? Simple, décidons ENSEMBLE ce que nous voulons faire et prenons le taureau par les cornes pour le faire. Mais le problème c’est que les Libanais n’ont jamais voulu le faire sérieusement depuis 1945. Voici pourquoi nous en sommes la à présent. CQFD.

George Sabat

21 h 43, le 17 novembre 2016

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Commentaires (5)

  • J'ai décidé de cesser de lire après les dix premières lignes, simplement parce que je savais que l’on était sur la fausse longueur d'ondes. Mes amis, pouvez-vous me dire de quoi nous parlons? Si vous hésitez à me répondre, laissez-moi vous le dire le plus simplement possible. Nous sommes un petit pays de cinq millions d’habitants (ou sont-ils quatre ou 6 millions? Ca personne ne le sait parce' il n’y a pas eu de recensement depuis 1932. Ce premier malentendu est, à mon avis, la source de tous nos maux. Mais passons outre si vous le voulez bien. Que voulons-nous faire à l’intérieur de ces 10,000 kilomètres carres? Là aussi, mystère et boule de gomme. Donc quelle est la solution? Simple, décidons ENSEMBLE ce que nous voulons faire et prenons le taureau par les cornes pour le faire. Mais le problème c’est que les Libanais n’ont jamais voulu le faire sérieusement depuis 1945. Voici pourquoi nous en sommes la à présent. CQFD.

    George Sabat

    21 h 43, le 17 novembre 2016

  • Mme Noujeim nous allons enfin être d'accord tous les 2,le hezb résistant et AMAL représentent la majorité écrasante de la communautés chiite, si ça avait été un doute pour vous vous voilà bien informé. Après si des chiites ont des voix discordantes au sein de cette communauté prenez le comme une preuve que nous vivons la démocratie comme l'exige les règles du droit à la minorité chez les chiites. N'essayez même pas de rêver nous voir nous entre déchirer un jour parce qu'on vient de loin. .......

    FRIK-A-FRAK

    12 h 37, le 16 novembre 2016

  • Vivons-nous dans une démocratie, ou déjà sous le joug d'une dictature, où le dictateur (ou délégué d'une dictature étrangère) sait qu'il peut exiger ceci ou cela ? Libanais, pourquoi avez-vous vendu votre patrie ? Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 08, le 16 novembre 2016

  • le meme bla bla : les responsabilites du president de la republique - Enormes- telles decrites ici , en enlevant a celui-ci tout pouvoir- ou presque! comment faire alors pour accomplir sa mission sacro-sainte et defendre la constitution ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 27, le 16 novembre 2016

  • ET PASSER OUTRE AUX CHANTAGES ET INTIMIDATIONS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 20, le 16 novembre 2016

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