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Économie - Rapport

L’interventionnisme économique de la BDL a-t-il porté ses fruits ?

La Banque mondiale dresse un bilan globalement positif des différentes mesures prises depuis des années par la banque centrale pour soutenir les prêts aux PME. Elle souligne toutefois qu'une grande part de ces mesures ont surtout bénéficié à l'immobilier et relève certains risques.

« L’activité économique au Liban aurait pu être encore plus faible en l’absence de la politique d’intervention de la BDL dans le secteur réel », salue la Banque mondiale.

Alors que le quatrième mandat du gouverneur de la banque centrale (BDL) Riad Salamé expire l'an prochain, les spéculations sur son éventuelle reconduction à ce poste se sont amplifiées avec l'élection de Michel Aoun à la présidence de la République le 31 octobre. Un sujet hautement sensible sur lequel rien n'a filtré à l'issue de la rencontre qu'ont eue hier les deux hommes à Baabda. Hasard du calendrier ?
Dans son dernier rapport sur l'économie libanaise publié la semaine dernière, la Banque mondiale (BM) a consacré tout un dossier spécial à une partie du bilan de la BDL en matière de soutien à l'économie. « En raison de l'inefficacité des institutions et de la paralysie politique, la BDL est allée au-delà de ses fonctions classiques en s'engageant dans la politique économique du pays », a résumé Ferid Belhaj, directeur du département du Moyen-Orient à la BM, lors de la présentation du rapport à l'Université américaine de Beyrouth (AUB).

Redynamiser les crédits aux PME
Prenant note du rôle central joué par les PME dans l'économie libanaise – elles représentent 96 % des entreprises –, la BDL « établit un lien explicite entre la croissance économique et la croissance des prêts au secteur privé », souligne le rapport de la BM. Elle a donc multiplié les mesures depuis 1997 pour inciter les banques à augmenter les prêts en livres libanaises au secteur privé. Des mesures intensifiées à partir de 2011, en raison du ralentissement de la croissance de ces prêts, qui est passée d'une moyenne annuelle de 15,4 % entre 2008 et 2010 à 7,8 % entre 2011 et 2013.

Pour la BM, ce déclin résulte d'abord d'un facteur conjoncturel lié à l'impact de la crise syrienne et de la paralysie politique locale sur l'activité économique. Mais elle pointe également du doigt un facteur structurel lié à la récurrence des déséquilibres budgétaires et la dette publique élevée qui privent le secteur privé et les PME d'un accès adéquat au financement. « La BDL tente d'encourager les banques à réduire leur exposition à la dette publique, mais ces dernières préfèrent investir dans des bons du Trésor plutôt que de prêter au secteur privé. C'est à la fois plus rentable et moins risqué », confie à L'Orient-Le Jour Ibrahim Jamali, professeur à l'AUB et rédacteur du dossier spécial. Un effet d'éviction de l'emprunt privé qui explique en partie que « de janvier 2008 à octobre 2015, (la part) des prêts au secteur privé sur le total des actifs des banques commerciales n'a pas dépassé les 26,17 % », relève le rapport.

« Les mesures prises par la BDL pour remédier à cette chute du crédit privé peuvent être résumées en trois catégories : les programmes de prêts déduits des réserves obligatoires des banques ; les programmes de prêts déduits des exigibilités assujetties à la constitution des réserves obligatoires des banques ; et les programmes de prêts à taux d'intérêt subventionnés », détaille M. Jamali.
Les premiers programmes de prêts à moyen et long terme avec taux d'intérêt subventionnés (de 5 à 7 %) ont été introduits dès 1997 par la BDL. Depuis janvier 2013, la BDL a par ailleurs élargi l'octroi de ces prêts subventionnés au secteur privé avec le lancement de trois plans de relance successifs d'un montant respectif de 1,46 milliard de dollars et d'un milliard de dollars pour chacun des deux derniers. Ces enveloppes sont mises à la disposition des banques à un taux de 1 % ; à charge pour elles de les prêter à un taux maximal de 6 %.

À partir de 2001, la BDL a également mis en place des programmes facilitant l'octroi des prêts au secteur privé en réduisant ses exigences réglementaires vis-à-vis des banques. Le premier mécanisme permet qu'une part du montant (remontée jusqu'à 90 % depuis 2011) de ces prêts soit directement déduite du total des réserves obligatoires des banques ; tandis qu'un second mécanisme permet l'octroi de prêts déduits des exigibilités assujetties à la constitution de réserves obligatoires.
Outre ces mesures, la BM mentionne aussi d'autres initiatives qui portent sur des moyens de financement alternatifs aux crédits, telles que la circulaire 331 (août 2013) de la BDL qui autorise les banques à investir dans les sociétés de l'économie de la connaissance, tout en garantissant 75 % des montants investis.


(Pour mémoire : La Banque mondiale constate une faible reprise de l'activité)

 

La part du lion à l'immobilier
S'agissant des résultats concrets permis par ces initiatives, la BM dresse un bilan globalement positif : « Avec la paralysie politique, la volatilité de l'environnement sécuritaire et les retombées de la crise syrienne, l'activité économique au Liban aurait pu être encore plus faible en l'absence de la politique d'intervention de la BDL dans le secteur réel », salue le rapport. Pour autant, si Riad Salamé avait estimé, dans un discours prononcé à la mi-mai, que « 67 % de la croissance résulte des plans de relance lancés par la BDL », la BM souligne néanmoins qu'aucune étude ne permet pour le moment d'évaluer l'impact des plans de relance sur la création de richesse et d'opportunités d'emploi.

Reste que la BM considère que ces mesures ont atteint en partie leur objectif consistant à réduire les difficultés d'accès aux financements des PME. D'une part, en incitant les banques à augmenter leurs parts de TPE et PME dans leurs portfolios, et d'autre part, en leur permettant de fournir des sources alternatives de financement à moindre coût pour les start-up, les TPE et PME. « Avec les données disponibles, nous ne sommes pas en mesure de déterminer la part exacte des fonds qui ont été directement dirigés vers les PME », regrette toutefois M. Jamali.

Au regard des conclusions du rapport, le secteur immobilier apparaît néanmoins comme le plus grand bénéficiaire des dernières mesures prises par la BDL. Certes, la BM rappelle qu'entre 2008 et 2014, « les secteurs de l'industrie, du tourisme et de l'agriculture sont ceux qui ont le plus bénéficié des prêts subventionnés à moyen et long terme par la BDL et des prêts garantis par Kafalat ». Mais elle souligne que s'agissant des prêts subventionnés dans le cadre des plans de relance adoptés depuis 2013, c'est l'immobilier qui détient la part du lion (56 % des fonds en ce qui concerne le premier plan). Un constat identique est dressé en ce qui concerne la part de l'immobilier dans la distribution des crédits accordés à travers les programmes de déduction des réserves obligatoires des banques : elle a augmenté de trois points de pourcentage entre mars 2012 et 2015 – à 79,6 % –, tandis que celle des crédits aux secteurs productifs est restée stable – à 3,89 % – sur la même période. Idem pour les parts respectives de ces deux catégories de prêts sur le total des prêts déduits des exigibilités des banques : celle des prêts au logement grimpant d'environ 10 points de pourcentage sur la période – à 22,9 % du total –, contre un déclin de 2 points de la part des prêts aux secteurs productifs – à 1,8 % du total. « Il est vrai que ces initiatives servent plus à financer les crédits résidentiels des ménages plutôt que les PME, mais la BDL estime que l'immobilier est le moteur de l'économie du pays, et qu'en le stimulant, cela tirera l'activité des autres secteurs », commente M. Jamali.

La BM pointe par ailleurs du doigt un certain nombre de limites ou effets pervers potentiels à cette politique. D'abord, un risque d'accoutumance à ces mesures de la part des agents économiques : « Par exemple, il est possible que les promoteurs immobiliers ne baissent pas leurs prix même en période de crise, en l'attente d'une nouvelle initiative de la BDL pour relancer le secteur », craint M. Jamali. « Il faudra être attentif (aux) capacités de remboursement des ménages », prévient en outre la BM, qui constate que la BDL a déjà pris des mesures pour limiter cet effet levier. Enfin, l'institution relève que la BDL ne communique pas sur le coût de ces initiatives. « Avec la multiplication de ces mesures peu orthodoxes, on pourrait s'inquiéter du fait que la BDL n'ait plus assez de réserves à l'avenir pour maintenir la stabilité de la monnaie et une inflation basse », observe M. Jamali. Confrontée à une baisse importante de ses réserves en début d'année, la BDL a d'ailleurs eu recours à une autre mesure « peu orthodoxe » pour les faire remonter à un niveau record.

 

Pour mémoire

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