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Liban - Salon du livre

L’hommage de « L’OLJ » à Sélim Abou et Samir Frangié, un appel à une nouvelle résistance culturelle... pour la paix

Au Salon du livre, une table ronde a été organisée samedi par « L'Orient-Le Jour », sous le thème de la « résistance culturelle », en hommage à l'ancien recteur de l'USJ, père Sélim Abou, et à l'ancien député Samir Frangié, deux emblèmes de la lutte souverainiste de 1993 à 2005.

Le rôle du père Sélim Abou et de Samir Frangié dans la résistance culturelle des étudiants qui a mené à l’intifada de l’indépendance, salué samedi par « L’Orient-Le Jour » au Biel. Photo Michel Sayegh

La table ronde organisée samedi soir au Salon du livre francophone par L'Orient-Le Jour a abordé le thème de la « résistance culturelle » sous son angle politique, en hommage à ses deux figures emblématiques : l'ancien recteur de l'Université Saint-Joseph, le père Sélim Abou, pris pour modèle par la jeunesse universitaire qui a lutté contre l'occupant syrien de 1997 à 2005, et l'ancien député Samir Frangié, maître à penser du vivre-ensemble, qui sous-tend la dynamique de la résistance culturelle.

Dotés d'un éminent savoir sur les rapports interidentitaires complexes, d'un sens aigu de la liberté et d'une profonde aptitude à la non-violence, le père Abou et M. Frangié ont mis au point d'une certaine façon une méthode pratique de lutte pour l'État de droit, une lutte vouée à ressurgir inévitablement.
Ainsi, les discours annuels de la Saint-Joseph prononcés par Sélim Abou au début des années 2000 ont moulé une sorte de guide à l'épreuve du temps sur la résistance culturelle, aussi bien collective qu'individuelle.

Abou, le 19 mars 2003...
Le débat au Salon du livre s'ouvre ainsi sur une synthèse du fameux discours du père Abou du 19 mars 2003 - « Les résistances de l'université » – faite par Michel Touma, rédacteur en chef de L'OLJ et modérateur, entouré du père Abou, de M. Frangié, du député Marwan Hamadé, de l'ancien député Farès Souhaid, du sociologue Saoud el-Mawla et de notre collègue Michel Hajji Georgiou.

Ce « document de référence » a défini « les trois fonctions de l'université que sont l'engagement pédagogique, la promotion de la culture nationale et la défense des libertés », rappelle M. Touma. C'est par ces trois fonctions que l'université devaient faire face à « trois menaces : l'effondrement de l'enseignement supérieur (au vu de la prolifération d'universités privées), la médiocrité culturelle et, enfin, le régime politique en déphasage avec les aspirations d'un peuple sous occupation ».
M. Touma indique que dans son discours de 2003, le père Abou s'était attardé sur la primauté du culturel par rapport à l'économique, « la déliquescence politique et les diverses aliénations ayant pour origine première la médiocrité culturelle ». Et « le rôle des étudiants » se situe justement au cœur de « la lutte contre la médiocrité intellectuelle », une lutte qui s'est exaltée, sous l'égide du père Abou, dans l'espace de l'université.

Le père Abou guidera l'action estudiantine qu'il a voulue « symbolique, inatteignable par la crosse des fusils ». Elle s'est ainsi articulée sur des « manifestations ponctuelles, imprévisibles, spectaculaires », soutenues par l'organisation de débats, de tables rondes, d'événements socioculturels sur les campus, notamment à Huvelin, le père Abou illustrant son propos à ce sujet en se référant, dans son discours de 2003, à un article de Michel Hajji Georgiou paru dans L'OLJ du 31 décembre 2002.


Hamadé : « Un Liban plus en danger qu'il ne l'était »
Fermentation d'idées, frénésie de réflexion sur le Liban, acharnement pour la liberté, éveil de l'esprit critique marqueront l'apogée de la dynamique universitaire de l'après-guerre. Mais même à l'époque, la menace d'un désengagement des jeunes existait, surtout parmi les non-partisans.

Aussi, le député Marwan Hamadé devait-il prononcer à l'adresse de jeunes diplômés de la faculté de médecine de l'USJ en 2001 un discours d'incitation à la résistance, qu'on eût dit adressé aujourd'hui aux acteurs du printemps de Beyrouth ensommeillé.
Lors de la conférence du Biel, M. Hamadé choisit d'ailleurs de donner lecture de son allocution. « Impatients de voir leur pays recouvrer son entière souveraineté (...) jeunes et moins jeunes alternent l'explosion justifiée de colère et l'accès, tout aussi compréhensible de pessimisme, pessimisme qui les pousse le plus souvent au repli ou au départ », avait-il dit. Dans son plaidoyer en faveur de l'engagement pour un Liban « qui vaut la peine d'être aimé pour ce qu'il est », M. Hamadé avait invoqué l'obligation d'assistance à personne en danger. « Parce que le Liban est précisément en danger, ses élites dont vous faites partie doivent demeurer à son chevet. Même si nous sommes tous sur écoute, (...) épiés, répertoriés, labellisés, classifiés, espionnés, nous devons, vous devez tenir bon. » Quinze ans plus tard, « nous sommes toujours sur écoute, toujours espionnés et notre pays est encore plus en danger qu'il ne l'avait été auparavant », constate M. Hamadé, non sans audace.

À contre-courant du repli identitaire
Et ce danger, Farès Souhaid le cerne sous l'angle du repli identitaire qui a récemment rattrapé les communautés chrétiennes. Il fait la distinction entre le christianisme religieux, réservé à une minorité de fidèles, le christianisme religieux et culturel, aboutissant parfois à une radicalisation ou « un repli identitaire et politique », et enfin « le christianisme invisible, support des valeurs de notre modernité ». C'est, selon lui, « à travers ce christianisme invisible que les prélats avaient lancé leur fameux appel au retrait des troupes syriennes en septembre 2000, et que le père Abou (...) avait engagé son Église jésuite et son université ». Quant à « Samir Frangié, polyvalent, laïc et profondément chrétien, de gauche et farouchement défenseur de la liberté de l'homme, il faisait le pontage entre ces deux Églises », relève M. Souhaid.
En effet, Samir Frangié, « notre maitre à penser à tous » (dira M. Hamadé), « le capitaine du navire » (ajoutera M. Hajji Georgiou) avait entamé, dès la fin de la guerre, un chantier de dialogue intercommunautaire, qui préludera aux alliances indépendantistes nationales.

Dynamiques parallèles
Revenant ainsi sur la genèse du congrès permanent du dialogue national, Saoud el-Mawla souligne que les références à une résistance culturelle avaient intégré, dès 1993, le discours des fondateurs et membres de cette plateforme, notamment Samir Frangié, feu Hani Fahs, et lui-même. Ainsi, au moment de la déclaration des évêques maronites de 2000, le terrain était quelque peu apprêté à un ralliement de personnalités non chrétiennes autour de Bkerké. Et cela en dépit du risque particulier pour les musulmans de défendre le discours du patriarcat. L'éminent sociologue explique ainsi en substance les efforts déployés auprès de l'élite musulmane pour la persuader de la pertinence de ce discours, auquel toute adhésion devait nécessairement être précédée d'une autocritique. Dans ce contexte, le discours du père Sélim Abou, auquel il rend un vibrant hommage, a servi de repère fondamental aux communautés musulmanes, en ce qu'il a réussi à déconstruire le nationalisme arabe et tous les artifices justifiant le règne du régime autoritaire syro-libanais, explique M. Mawla en substance. L'ancien recteur l'avait d'ailleurs cité, avec Mohammad Mahdi Chamseddine notamment, dans son discours de 2003.
Mais que reste-t-il aujourd'hui de ces repères, et comment repenser une nouvelle mouvance transcommunautaire ?

Pour une « résistance individuelle contre le populisme et la bêtise »
En acteur du mouvement estudiantin à l'USJ à la fin des années 90 et au début des années 2000, Michel Hajji Georgiou reflète le point de vue d'une génération portant l'ardeur du changement et « le rêve d'un Liban meilleur », mais qui a fini par être « sacrifiée sur l'autel de ce pays ».

C'est à cette génération, « animée par une cause commune et qui savait mettre en sourdine ses divergences pour s'unir sur l'essentiel », qu'il tient d'abord à rendre hommage. Elle entretenait avec le père Abou, « le guide spirituel » de la résistance culturelle, « une correspondance invisible, qui relève de l'indicible : sans entrer en contact direct avec les étudiants, il était là, une fois l'an, incarnant quelque chose d'immanent à travers son discours ». Et ce sentiment s'est exacerbé « lorsque le père Abou a commencé à déconstruire, avec un courage exceptionnel, la rhétorique du régime sécuritaire, tout en alertant les étudiants sur l'affadissement du goût de la liberté qui s'insinuait alors en chacun ».

Ce faisant, « le père Abou nous a appris que la résistance culturelle n'est pas seulement extérieure, contre l'occupation. Elle est aussi individuelle et intérieure ». Un soulèvement contre la servitude, l'atrophie et l'abrutissement individuels serait plus que jamais de mise aujourd'hui. Car « il nous faut désormais déconstruire le populisme abject, les slogans pompeux, faire face par le mot et la culture à toutes les formes de suivisme. La résistance culturelle, c'est d'abord une résistance contre la bêtise sous toutes ses formes, déclare M. Hajji Georgiou. Quant à Samir Frangié, le maître, il a eu le mérite de nous immuniser très tôt contre toutes les formes d'identitarisme, de sectarisme et de populisme », note-t-il.

La nouvelle intifada pour la paix..
Les quelques mots prononcés par le père Sélim Abou à l'issue du débat entretiennent différemment cette part « d'indicible » décrite par notre collègue. « Tout a été dit et n'a pas été dit. Les faits sont vrais mais les motivations ont peut-être échappé aux gens », constate-t-il, esquissant un petit sourire...

Le premier apprentissage – immuable et indiscutable – que Samir Frangié retient de l'expérience de la résistance culturelle, c'est la possibilité d'un changement par l'action. « Il ne s'agit donc plus de se plaindre aujourd'hui mais de se regrouper », dit-il, avec une édifiante détermination. Il cerne en effet les enjeux d'une « nouvelle résistance culturelle », inscrite dans le cadre d'une nouvelle intifada, « l'intifada de la paix » qui doit succéder à l'intifada de l'indépendance. Il est désormais impératif de « faire face à la violence qui se déchaîne et d'affronter tous les extrémismes. Il faut bâtir la paix ici, au Liban, pour en fournir une référence, un modèle pour la région, et contribuer à bâtir des ponts entre les deux rives de la Méditerranée ».

Signalons que le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, a fait un témoignage à l'issue de la table ronde, se rapprochant du père Abou pour rendre hommage à celui qu'il a désigné comme notre « notre père à tous ». « Il nous a appris à être libres et fidèles à la vérité », a-t-il dit, remerciant également Samir Frangié « pour son long combat en faveur d'un Liban moderne, un grand combat qui n'est encore qu'à ses débuts ».


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La table ronde organisée samedi soir au Salon du livre francophone par L'Orient-Le Jour a abordé le thème de la « résistance culturelle » sous son angle politique, en hommage à ses deux figures emblématiques : l'ancien recteur de l'Université Saint-Joseph, le père Sélim Abou, pris pour modèle par la jeunesse universitaire qui a lutté contre l'occupant syrien de 1997 à 2005, et...

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ON EST ENTRAIN DE PLEURER SUR LE CERCUEIL DU LIBAN LIBRE, AU LIEU D'INVITER DES GENS, DES PATRIOTES VIVANTS COMME ACHRAF RIFI PAR EXEMPLE POUR SE RASSEMBLER EN FORCE.

Gebran Eid

14 h 49, le 14 novembre 2016

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Commentaires (1)

  • ON EST ENTRAIN DE PLEURER SUR LE CERCUEIL DU LIBAN LIBRE, AU LIEU D'INVITER DES GENS, DES PATRIOTES VIVANTS COMME ACHRAF RIFI PAR EXEMPLE POUR SE RASSEMBLER EN FORCE.

    Gebran Eid

    14 h 49, le 14 novembre 2016

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