Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Diplomatie

Cette autre Union européenne désirée par la Russie

Moscou souhaiterait surtout affaiblir le lien transatlantique entre l'UE et les États-Unis.

Les dirigeants russes prônent une Europe forte émancipée de l’influence des États-Unis. Pool/Sergei Karpukhin/AFP

Lors d'un discours en 1985, Mikhaïl Gorbatchev, numéro un soviétique, lance le concept de Maison commune européenne pour manifester sa volonté de réchauffer les relations avec l'Europe de l'Ouest. Plus de 30 ans plus tard, les relations russo-européennes ne cessent pourtant de se dégrader.
Depuis l'annexion de la Crimée en mars 2014, l'Union européenne (UE) a imposé une série de sanctions contre la Russie. Les bombardements effectués par l'aviation russe en Syrie ont déterminé leur prorogation en juillet 2016. Au dernier sommet européen, les 20 et 21 octobre dernier, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré : « Il est clair que la Russie cherche à affaiblir l'Union européenne. » Il a accusé Moscou entre autres de violer les espaces aériens européens et d'interférer dans les décisions politiques européennes. L'Europe s'est d'ailleurs divisée au sujet d'éventuelles sanctions supplémentaires à imposer au Kremlin, ce qui accrédite, pour certains, la thèse de la déstabilisation.
À l'inverse, le 26 janvier 2016, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, assurait vouloir une Europe forte : « Nous ne souhaitons pas que l'UE s'affaiblisse, se fissure et se scinde. Ce que nous voulons, c'est une UE unie, forte, avec laquelle il est confortable de travailler tant en matière économique que sur toutes les autres questions. »

 

(Lire aussi : Tensions croissantes entre Occidentaux et Russes)

 

Une hantise de l'Otan
La stratégie du Kremlin vis-à-vis de l'UE doit se comprendre dans le cadre de l'identification de sa principale source d'inquiétude : l'Otan, assimilée à un organe de promotion des intérêts américains. « L'extension de l'Otan pourrait être une politique unilatérale contre la Russie », a déclaré Vladimir Poutine le 17 juin 2016. La Russie reproche entre autres à l'Otan de ne pas avoir respecté l'accord implicite prévoyant son démantèlement à la suite de la guerre froide. L'organisation a en effet intégré de nombreux pays à l'est de l'Europe, zone que le Kremlin considère comme sa zone d'influence : Estonie, Lettonie, Lituanie, Albanie, Bulgarie, Croatie, Slovaquie, Slovénie, Pologne, Roumanie, Hongrie et République tchèque.
Les rapprochements entre l'Otan, l'Ukraine et la Géorgie ont été interprétés comme la goutte de trop par Moscou, qui a réagi en soutenant les séparatistes dans ces deux pays, aboutissant aux conflits de 2008 pour la Géorgie et de 2014 pour l'Ukraine.
« En avançant jusqu'à ses frontières, l'Otan touche aux intérêts vitaux de la Russie, qui la voit comme un encerclement. Cette situation est comparable à l'atteinte faite aux intérêts américains lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Donc Poutine n'est pas le problème, aucun dirigeant russe n'aurait toléré cette situation », estime Pascal Marchand, géographe et enseignant à l'Université Lyon 2.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a d'ailleurs vivement dénoncé en juin 2016 l'attitude « belliciste » de l'Otan suite à des manœuvres militaires en Pologne.

 

(Lire aussi : Le retour de l’endiguement)

 

Un dialogue sous condition
La Russie accuse donc l'Otan, derrière laquelle elle voit la main des États-Unis, d'envenimer ses relations avec l'Europe. Moscou aurait cependant aimé une relation différente avec cette partie du continent.
« Du point de vue russe, la superpuissance américaine est concurrencée par la superpuissance chinoise. Face cette situation, la Russie veut constituer avec l'UE un ensemble économique – pas politique – de coopération qui englobe l'ex-URSS, l'UE, l'Asie centrale et le pourtour de la Méditerranée de la Turquie au Maroc, afin d'échapper à ces deux superpuissances », explique M. Marchand.
Cette configuration géopolitique est pourtant soumise à condition : la Russie est prête à collaborer avec l'UE moyennant un désengagement de l'Otan en Europe : « La Russie souhaiterait surtout affaiblir le lien transatlantique (...) elle joue pleinement aujourd'hui sur les dissonances entre les États européens, entre les différentes forces politiques au sein des États européens et entre l'UE et les États-Unis », selon Tatiana Kastouéva-Jean, responsable du centre Russie à l'Institut français des relations internationales. « À court terme, le but est la levée des sanctions. À plus long terme, une Europe débarrassée de l'influence américaine, ainsi qu'une Otan affaiblie voire discréditée », précise-t-elle.
« La Russie espère avoir avec l'Europe un dialogue plus pragmatique et dépolitisé », poursuit Mme Kastouéva-Jean. Moscou « regarde l'UE de façon méfiante. Il y a une possibilité de s'entendre, sauf si cette dernière devient un Polichinelle américain », renchérit M. Marchand. L'« Europe forte » souhaitée par M. Lavrov serait donc un message subliminal prônant une Europe émancipée de l'influence des États-Unis.

UE ou Chine ?
Le projet initial russe ne semble pourtant pas prendre un bon chemin. Les guerres en Syrie et en Ukraine exacerbent les divergences russo-européennes. Le déploiement de 330 soldats américains à la fin octobre 2016 en Norvège et l'installation de missiles russes Iskander dans son enclave de Kaliningrad n'apaise pas la situation avec l'Otan.
Si la porte de l'Europe lui est verrouillée, la Russie devrait se rabattre sur un autre pôle stratégique : la Chine. « Les Russes n'ont pas encore choisi entre l'UE et la Chine. Ils n'osent pas franchir le pas de l'alignement sur Pékin », selon M. Marchand.
L'UE reste aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Russie. Or le régime de sanctions et contre-sanctions imposé entre les deux acteurs depuis 2014 amorce une réorientation progressive de l'économie russe vers la Chine. La Maison commune européenne pourrait donc se transformer, si les tensions persistent, en maison sino-russe.

 

Lire aussi

Pourquoi les pays de l’UE n’arrivent-ils pas à adopter une attitude commune face à la Russie ?

 

Pour mémoire
L’UE réfléchit à un allègement des sanctions contre la Russie

Au sommet de l'Otan, front uni face au terrorisme et à la Russie

Lors d'un discours en 1985, Mikhaïl Gorbatchev, numéro un soviétique, lance le concept de Maison commune européenne pour manifester sa volonté de réchauffer les relations avec l'Europe de l'Ouest. Plus de 30 ans plus tard, les relations russo-européennes ne cessent pourtant de se dégrader.Depuis l'annexion de la Crimée en mars 2014, l'Union européenne (UE) a imposé une série de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut