Troisième parti politique de Turquie, le Parti démocratique des peuples (HDP) fait aujourd'hui face à l'inconnu après l'arrestation de quatorze de ses députés la nuit dernière, dont les deux coprésidents Figen Yuksekdag et Selahatttin Demirtas. Ces derniers ont par ailleurs été mis en détention préventive dans l'après-midi, selon Anadolu, l'agence de presse progouvernementale. Ce coup de filet a eu lieu dans le cadre d'une enquête antiterroriste liée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), et fait suite à une vague d'arrestations dans les milieux de l'opposition, notamment prokurde, dont ont fait les frais l'HDP mais également le quotidien Cumhuriyet. Le 31 octobre dernier, douze journalistes et dirigeants du journal étaient en effet arrêtés dans le cadre d'une enquête pour « activités terroristes » liée au prédicateur Fetuhllah Gülen. Depuis le coup d'État manqué du 15 juillet dernier, le gouvernement conservateur conduit une purge dans l'appareil d'État qui s'étend aux milieux d'opposition.
En décapitant la troisième force politique du pays, le président Recep Tayyip Erdogan cherche-t-il à modifier l'équilibre parlementaire dont il a besoin pour réformer la Constitution ?
Il y a probablement un projet de ce type puisque le HDP, le parti prokurde, a modifié l'équilibre parlementaire et politique au cours des dernières années en privant l'AKP de la majorité absolue au Parlement, dont il a besoin pour réformer la Constitution. Je pense même que l'AKP est en train d'achever son cycle d'évolution politique par des grignotages et une réforme constitutionnelle qui lui permettrait de rassembler tous les pouvoirs et de réduire l'opposition au silence. Désormais, il n'y a plus qu'un seul parti d'opposition, puisque le parti nationaliste est en train de négocier avec l'AKP pour lui apporter des voix. Le seul vrai parti d'opposition restant est le CHP (Parti républicain du peuple – kémaliste) qui va se retrouver complètement isolé au Parlement.
(Pour mémoire : Trois mois après le putsch raté, Erdogan met le cap sur la présidentialisation du régime)
Ces arrestations et la répression dans les médias marquent-elles la « fin de la démocratie » en Turquie, comme le déclare le HDP dans un communiqué ?
Oui. Pour moi, l'arrestation des deux leaders du troisième parti politique représenté au Parlement qui fait suite à l'arrestation des deux comaires de Diyarbakir incite à dire que la démocratie en Turquie est en train de disparaître, de s'effondrer. Après le coup d'État, on avait ces grandes déclarations de l'AKP expliquant que le parti et ses militants avaient sauvé la démocratie ; on était pourtant troublés par la radicalité et l'ampleur des arrestations qui ont concerné des fonctionnaires, mais aussi une partie des journalistes, des universitaires. On se demandait où allait la Turquie, et aujourd'hui on commence véritablement à voir où elle va avec les arrestations des journalistes et des maires élus qu'on a remplacés par un administrateur nommé. Par ailleurs, le week-end dernier, dix journalistes de l'un des principaux journaux d'opposition, Cumhuriyet, ont été arrêtés. Cela est fortement symbolique puisqu'il s'agit d'un quotidien fondé dans les années 1920 par Mustafa Kemal. Il faut également ajouter que, désormais, c'est l'exécutif qui nommera les recteurs sans tenir compte de l'avis des conseils d'université. Par conséquent, sur tous ces plans, c'est l'autoritarisme qui prévaut.
(Portrait : Selahattin Demirtas, icône kurde et bête noire d'Erdogan)
Ces arrestations ne risquent-elles pas de raviver la contestation dans le sud-est de la Turquie, où se trouve un épais tissu kurde ?
Oui. Une force kurde légale existe en Turquie depuis le début des années 90, et elle est bien implantée dans le Parlement depuis une dizaine d'années. Cela permet notamment de donner une chance à un règlement politique de la question kurde, beaucoup de gens se disant qu'il faut mieux se battre sur le terrain politique plutôt que de soutenir des mouvements qui ont recours à la violence.
Mais s'il n'y a plus de possibilité d'exprimer la posture politiquement, on peut notamment craindre que les jeunes générations préfèrent recourir à la violence plutôt qu'à des moyens politiques. Recep Tayyip Erdogan compte peut-être sur son influence dans les zones kurdes où l'AKP est le deuxième parti politique. Il fut notamment le premier à reconnaître en 2005 qu'il existe en Turquie une question kurde. Ceci dit, l'AKP a perdu de l'influence ces dernières années, notamment au profit du HDP, car la position sur la question kurde de l'AKP est aujourd'hui antagoniste.
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DEJA ALLAH YIRHAMA !
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 12, le 07 novembre 2016