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Liban - Présidentielle

À Tripoli, le silence de la protestation

Batroun, à quelques kilomètres de la capitale du Nord, fait en revanche la fête.

Une ambiance de grisaille plane sur la ville de Tripoli. Au moment où Michel Aoun est élu président de la République, Tripoli est une ville fantôme. La route menant de Zghorta à Tripoli, d'habitude encombrée d'une longue ligne de voitures, est déserte. Le gendarme qui organise le trafic sur le croisement des rues, près de la citadelle de Tripoli, a lui aussi déserté l'endroit.
Dans la région d'Abou Samra, deux pancartes nouvellement installées décorent le paysage. À gauche, sur un fond bleu, une photo de Saad Hariri frappée du slogan « Avec toi ». À droite, une photo d'Achraf Rifi frappée du slogan « La voix libre ». Sur la place el-Nour, les seules voitures qui klaxonnent ne font pas partie d'un quelconque convoi. Elles sont uniquement pressées d'arriver à leur destination.

La ville de Tripoli ne semble pas être concernée par l'élection d'un nouveau président de la République. Ses habitants se réfugient dans leurs maisons ou magasins, comme s'ils se sont imposé eux-mêmes un couvre-feu. Seul sur le trottoir, Ahmad Naboulsi est plutôt optimiste. « Le soutien de Saad Hariri à la candidature de Michel Aoun est une meilleure option que la persistance de la vacance présidentielle », estime-t-il. M. Naboulsi n'a qu'un seul souhait pour le nouveau mandat : « Nous espérons que Aoun se comportera en chef de l'État et non pas en chef du Courant patriotique libre. »
Que pensez-vous de l'élection de Michel Aoun à la présidence ? La réponse d'Abou Moussa, assis sur le siège à côté du chauffeur dans un taxi, est sans équivoque. « Il ne s'agit pas d'une élection. Je dirai plutôt une nomination, une pièce de théâtre jouée par les députés », rétorque-t-il. Et de poursuivre : « Nous ne sommes pas contre la personne de Michel Aoun, mais contre la procédure non démocratique qui l'a amené à la présidence. » Bien qu'il exprime explicitement son soutien au jeu démocratique, sa réponse est négative lorsqu'on lui demande s'il aurait préféré que Sleiman Frangié maintienne sa candidature.

 

(Lire aussi : Aoun président, mais l'incertitude reste de mise)

 

Ghazi Masri, propriétaire d'une librairie à Abou Samra, aurait préféré que Sleiman Frangié soit élu président. « Je ne suis ni pour l'un ni pour l'autre, et si un troisième candidat se serait présenté j'aurai voulu qu'il soit élu, dit-il. Aoun et Frangié sont tous les deux des candidats prosyriens, mais au moins Frangié n'a jamais traité Tripoli de "Kandahar" du Liban comme l'a déjà fait Aoun. »
Quant à la prise de position de Saad Hariri à l'égard du nouveau président, M. Masri avoue qu'il était sympathisant de Rafic Hariri, mais qu'il préfère actuellement Achraf Rifi à Saad Hariri. « Achraf Rifi représente davantage la rue tripolitaine, surtout en ce qui concerne ses positions très strictes vis-à-vis du Hezbollah », conclut-il.

C'est avec grand soin que Sanaa, femme au foyer, choisit ses fruits et légumes chez le marchand. « Il n'y a plus rien à dire, et encore moins à faire, le mal a été fait », affirme-t-elle. Elle renchérit : « J'aurai préféré qu'Aoun ne soit pas élu président, parce qu'il vendra le pays à l'Iran. » Pour Sanaa, le seul autre candidat est aussi un allié de l'Iran et donc aucune différence ne le distingue du nouveau président. « Je ne comprends pas pourquoi Saad Hariri ne cesse pas de faire des compromis et des concessions ; peut-être que c'est sa façon de régler les crises », s'interroge la dame à voix basse comme si elle s'adressait à elle-même. Pour sa part, la boulangère dans une petite rue d'Abou Samra ne se mêle pas de politique. Elle se contente d'espérer que la condition de la femme au Liban s'améliorera maintenant qu'un nouveau mandat s'annonce.

 

(Lire aussi : L'élection de Aoun dictée par la nécessité de survie, affirme Hassan Rifaat)

 

Misbah Ahdab
L'ancien député de Tripoli Misbah Ahdab est optimiste. Il préfère citer les avantages de l'élection de Michel Aoun. « C'est une bonne chose d'avoir finalement un président de la République, d'autant que c'est rassurant avec tout ce qui se passe dans la région », affirme-t-il à L'Orient-Le Jour. M. Ahdab estime que le nouveau président œuvrera à restaurer le Liban ancien. « Il s'agit de retrouver un Liban fort, de relancer l'activité des institutions et de remettre les pendules à l'heure », explique-t-il.
« Il est également très rassurant d'entendre parler de l'accord de Taëf, parce que cela renvoie à un Liban que nous connaissons », souligne l'ancien député. Et d'ajouter : « La nomination de Saad Hariri à la tête du nouveau gouvernement serait un point positif de plus. » Pour M. Ahdab, « la vraie stabilité sera instaurée une fois le gouvernement formé parce que les Libanais, et les Tripolitains surtout, n'en peuvent plus des situations économique et politique paralysées ».
Misbah Ahdab comprend la réaction des Tripolitains à l'égard de cette élection. « Depuis de très longues années, nous faisons face à une décision politique de marginaliser la région de Tripoli et son peuple, et de les livrer aux tentatives de radicalisation, déplore l'ancien député. De surcroît, il y a eu une longue confrontation entre le courant du Futur – qui a représenté les Tripolitains pendant longtemps – et le CPL, ce qui a provoqué les gens qui n'arrivent pas à oublier facilement », explique M. Ahdab. Et de conclure : « Il y a un travail à faire et l'élection de Michel Aoun est une opportunité à saisir. »

 

(Biographie : De l'armée à la présidence de la République, le parcours de Michel Aoun en images)

 

Batroun, une autre réalité
Quelques trente kilomètres seulement séparent Tripoli de Batroun. Cependant, la réaction des deux villes côtières à l'égard de l'élection de Michel Aoun reflète un contraste flagrant. Dans les rues de Batroun, les drapeaux des Forces libanaises et du Courant patriotique libanais voltigent sur le toit d'une même voiture. Une autre voiture qui défile porte les drapeaux jaunes du Hezbollah.
Au centre-ville, l'ambiance de festivités est teintée de la couleur orange qui entoure les cous des partisans, serrés dans un foulard malgré la chaleur. Le whisky coule à flots et les chansons louant Aoun remplissent l'atmosphère. Une femme sur le capot d'une jeep porte un immense drapeau orange, une photo de Michel Aoun en pendentif sur son décolleté, et un tatouage du symbole des aounistes sur son épaule. « Si Aoun n'arrivera pas à remplir sa fonction en tant que président, alors personne ne pourra jamais le faire », entend-on dire dans la foule.

 

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