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Liban - Présidentielle

La séance parlementaire, entre vexations, plaisanteries et solennité

Le président Aoun donnant lecture de son discours d’investiture devant le président Berry et les membres du cabinet Salam et les députés à la Chambre. Photo Sami Ayad

Rien ne pouvait se passer banalement au cours de cette journée si particulière. Du début jusqu'à la fin de la séance parlementaire pour l'élection du président de la République, rien ne s'est déroulé comme prévu, sauf l'issue finale qui a porté le général Michel Aoun à la magistrature suprême. La personnalité de Aoun, qui ne ressemble pas à ceux qui l'ont devancé à la plus haute fonction de l'État, le contexte interne et les réseaux des alliances et des oppositions, ainsi que les votes successifs pour cause de nombre d'enveloppes non conformes à celui des présents, ont marqué cette séance inoubliable, non seulement pour les Libanais mais aussi pour les diplomates présents dans l'hémicycle qui n'ont sans doute jamais assisté à une séance parlementaire de ce genre.

 

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D'emblée, les mesures de sécurité autour du Parlement étaient impressionnantes, toutes les entrées de la place de l'Étoile étant bouclées sauf une pour les VIP et une autre pour les journalistes. Tôt le matin, les journalistes ont commencé à affluer pour être aux premières loges et ils ont été servis. Depuis longtemps en effet, le Parlement n'avait connu une telle affluence et pour une mission aussi importante : élire un président après deux ans et demi de vacance à la tête de l'État. Premier arrivé au Parlement, Nabih Berry bien entendu et les membres de son équipe pour mettre au point les derniers détails de la séance. Berry est suivi de près par les députés membres du bloc du Changement et de la Réforme (bloc aouniste) qui se mobilisaient pour assurer l'élection de leur chef à la tête de l'État.

 

(Lire aussi : Aoun président, mais l'incertitude reste de mise)

 

À partir de 10h, le flot des députés est devenu plus régulier et les salons du Parlement ont commencé à se remplir en attendant l'heure H, 12h sonnantes. Tous les diplomates accrédités au Liban étaient aussi présents, notamment l'ambassadeur de Syrie assis à côté de l'ambassadeur d'Iran, assez loin de l'ambassadeur des États-Unis et de la représentante du secrétaire général des Nations unies. Les hauts fonctionnaires de l'État étaient présents, ainsi que les responsables militaires, le commandant en chef de l'armée, le commandant des FSI, le directeur de la Sûreté générale et à ses côtés le secrétaire général du Conseil supérieur libano-syrien...

Dès que le quorum des deux tiers est atteint, le président de la Chambre déclare la séance ouverte. Surprise, il n'y a aucun absent, à part le député Robert Fadel qui a démissionné de ses fonctions. Cent vingt-sept députés donc, dont Okab Sakr absent du pays depuis plus de quatre ans et Issam Sawaya, député de Jezzine, lui aussi absent depuis de nombreuses années. Le président de la Chambre ne se prive d'ailleurs pas de le faire remarquer. Mais en dépit des tentatives de Berry de détendre l'atmosphère, celle-ci reste tendue. Walid Joumblatt semble s'être transformé en statue sur son siège, Michel Aoun est strictement entouré par Ibrahim Kanaan et Alain Aoun, et les autres sont assis sagement à leur place.

 

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La séance démarre rapidement, comme si tout le monde était pressé d'en finir. Sauf le chef du parti Kataëb Samy Gemayel qui réclame un isoloir, comme pour les élections législatives. Ce qui pousse Berry à lui répondre qu'il doit présenter une demande d'amendement du règlement interne du Parlement...
Tour à tour, les députés sont ensuite appelés à voter. Lorsque Michel Aoun est appelé à mettre son bulletin dans l'urne, les applaudissements se font entendre du côté des journalistes et de certains invités. Nabih Berry, qui n'autorise généralement pas ce genre de manifestations, ne dit rien et au nom de Saad Hariri, les applaudissements sont plus fournis. Mais c'est Berry lui-même qui en récoltera le plus, comme si quelque part, il y avait une petite guerre des applaudissements.

Alors que de nombreux pronostics avaient donné Aoun gagnant dès le premier tour, il n'obtient finalement que 84 voix sur 127, avec 36 bulletins blancs, six bulletins annulés et une voix pour Gilberte Zouein. Cinq des bulletins annulés avaient mentionné « la révolution du Cèdre est toujours au service du Liban » et le sixième portait le nom de Myriam Klink. Samy Gemayel veut protester en demandant pourquoi le bulletin de Klink est annulé et Berry répond : elle est orthodoxe, suscitant les rires de l'assistance.

 

(Lire aussi : 1988 - 2016 : Michel Aoun en 16 "petites phrases")

 

Pour le deuxième tour, l'atmosphère est encore plus tendue, les députés aounistes sentant qu'un mauvais tour se prépare. Personne ne songe plus à applaudir et tout le monde attend le résultat. Mais il ne sera pas à la hauteur des attentes, puisqu'en faisant le tri, Marwan Hamadé et Antoine Zahra (ils sont membres du bureau de la Chambre, chargés du dépouillement des votes) découvrent qu'il y a 128 enveloppes pour 127 votants. Berry s'emporte et estime que c'est une honte. Il propose de faire le décompte et si le vainqueur l'emporte à plus d'une voix, il sera déclaré président. Samy Gemayel refuse et il faut donc procéder à un nouveau vote. Berry demande à chaque député de bien vérifier qu'il met une seule enveloppe ; ce qui pousse Walid Joumblatt à faire un geste théâtral dans ce sens. Et toujours sur le ton de la plaisanterie, Berry appelle Mikati à ses côtés en le taquinant : « C'est peut-être vous qui avez mis le bulletin de trop. » Mais une fois de plus, le compte n'y est pas. Il est clair que quelqu'un s'amuse à plomber le vote, dans le but peut-être de pousser le général Aoun à bout. Mais ce dernier reste imperturbable assis sur son siège aux côtés de Kanaan et Alain Aoun.

 

(Lire aussi : Présidentielle : les acteurs économiques espèrent le changement et les réformes)

 

Berry fait une dernière tentative en demandant à chaque député de se lever pour mettre son bulletin dans l'urne sous les yeux vigilants de Marwan Hamadé et Antoine Zahra. La scène peut paraître ridicule en tout cas, elle n'est pas à la hauteur de l'importance de l'échéance. On dirait des élèves dissipés qui cherchent à vexer leur professeur. Pourtant, la nouvelle méthode porte ses fruits et cette fois le compte est bon. Ce qui pousse les députés à applaudir avec soulagement. Finalement, Michel Aoun est élu avec 83 voix au second tour, 36 bulletins blancs, sept annulés et une voix pour Sethrida Geagea, toute de blanc vêtue.

Cette fois, c'est donc fini, le Liban a un nouveau président, Michel Aoun au parcours peu commun et à la personnalité hors normes. Les félicitations commencent à pleuvoir, mais le président élu pense surtout au discours qu'il va prononcer lors de la séance de prestation de serment qui commence immédiatement. Berry prononce un discours de félicitations qui ne manque pas d'une petite pointe sur la légalité du Parlement, dont, dit-il en s'adressant à Aoun, « vous êtes l'un des piliers ». Mais il lui tend aussi la main pour le bien de la nation et du peuple, tout comme il estime que le véritable défi sera dans l'adoption d'une loi électorale.

 

(Biographie : De l'armée à la présidence de la République, le parcours de Michel Aoun en images)

 

Conscient de la solennité du moment, Aoun monte ensuite à la tribune et prononce son premier discours de président qui commence par le serment de respecter la Constitution et de protéger le pays. Dans la salle, quelques instants auparavant si prompte à plaisanter ou à lancer des pointes, le silence est total. Les 127 députés et les nombreux invités présents, sans parler des journalistes, sont tous conscients du fait que c'est une nouvelle page d'histoire qui s'écrit. Les circonstances de l'élection, la personnalité du nouveau président, son discours où il n'y a aucune grandiloquence, ni langue de bois, rien que des points précis et un immense hommage à ses fidèles qui ont toujours été à ses côtés contre vents et marées (et ils sont nombreux dans sa vie) et qui ne l'ont jamais lâché lorsque tout le monde le croyait fini politiquement. Cette renaissance, Aoun a dit qu'il la leur devait. Beaucoup, au Liban, attendent et espèrent qu'elle sera aussi la leur.

 

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Rien ne pouvait se passer banalement au cours de cette journée si particulière. Du début jusqu'à la fin de la séance parlementaire pour l'élection du président de la République, rien ne s'est déroulé comme prévu, sauf l'issue finale qui a porté le général Michel Aoun à la magistrature suprême. La personnalité de Aoun, qui ne ressemble pas à ceux qui l'ont devancé à la plus...

commentaires (1)

Bon, cette election a ete un evenement televisuel enorme. En fait dans l'histoire de la tele, il y a eu 2 evenements, le courronement de la reine d'angleterre en 1952 et l'election de michel aoun a la presidence. les gens ce sont rués a la tele pour revivre ces moments de gloire. heureusement que elias bou saab a donne un jour ferie pour que les jeunes puisse suivre cela en direct a la tele, parceque s'ils s'etaient connecte le soir pour revivre cela, le cable sous-marin connectant le Liban au monde aurait simplement peté. les chiffres sont eloquents. retransmission de l'election sur la MTV: 937 vues retransmission de l'election sur la LBC: 807 vues retransmission de l'election sur la OTV: 6,027 vues commentaires de Nadim Koteich sur l'election presidentielle: 31,033 retransmission des funerailles de Melhem Barakat sur la MTV: 135,576 vues

George Khoury

09 h 11, le 01 novembre 2016

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Commentaires (1)

  • Bon, cette election a ete un evenement televisuel enorme. En fait dans l'histoire de la tele, il y a eu 2 evenements, le courronement de la reine d'angleterre en 1952 et l'election de michel aoun a la presidence. les gens ce sont rués a la tele pour revivre ces moments de gloire. heureusement que elias bou saab a donne un jour ferie pour que les jeunes puisse suivre cela en direct a la tele, parceque s'ils s'etaient connecte le soir pour revivre cela, le cable sous-marin connectant le Liban au monde aurait simplement peté. les chiffres sont eloquents. retransmission de l'election sur la MTV: 937 vues retransmission de l'election sur la LBC: 807 vues retransmission de l'election sur la OTV: 6,027 vues commentaires de Nadim Koteich sur l'election presidentielle: 31,033 retransmission des funerailles de Melhem Barakat sur la MTV: 135,576 vues

    George Khoury

    09 h 11, le 01 novembre 2016

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