Quand je me suis levée ce matin (hier), il n'y avait pas d'électricité à la maison. Comme d'habitude. J'ai bu mon café sur mon balcon, avec comme bruit de fond les tirs d'obus, les mitraillettes... Puis je suis allée au bureau. Je travaille pour le syndicat des beaux-arts, parallèlement à mes études. Je suis diplômée en tourisme, mais je fais un second cursus. Je suis actuellement en deuxième année de droit, à l'université d'Alep. Je suis restée trois heures au travail puis je suis rentrée chez moi. Toujours pas d'électricité. J'ai déjeuné et je n'ai plus bougé de l'appartement. Si la situation est mauvaise, on reste cloîtrés chez soi. Mais si les bombardements sont lointains et que la ville semble à peu près calme, je retrouve généralement mes amis dans un café, ou bien on se promène dans les quartiers sûrs. Je rentre tôt à la maison, je dîne avec ma famille et je me couche. Parfois, nos nuits sont tranquilles, sans un bruit. Mais très souvent, on ne peut pas dormir à cause des bombardements. C'est ma vie quotidienne.
Mais depuis quelque temps nos déplacements sont devenus très limités. Je vais au travail quand cela est possible. J'avais une voiture avant, mais je ne conduis plus, car les routes sont endommagées et il faut faire des tas de détours. Et puis j'ai surtout peur qu'un obus tombe sur ma voiture, ou qu'une balle ne m'atteigne. Je me déplace désormais en bus public. Question shopping, on trouve de tout. Les magasins ferment plus tôt qu'avant, et vers 21h, c'est quasiment le couvre-feu, les gens rentrent chez eux, car c'est habituellement l'heure où les terroristes (terme utilisé pour désigner les rebelles, NDLR) commencent à tirer des missiles en direction de nos quartiers. Quand les bombardements sont intenses, tous les habitants sont bien planqués à la maison. On se cache dans les coins des chambres jusqu'à ce que ça cesse. Dans les supermarchés, il n'y a pas vraiment de pénurie mais les prix sont devenus hallucinants. Avant la guerre on achetait par exemple vingt produits pour une somme donnée, aujourd'hui pour le même prix on vous en donne seulement deux. Comme l'Armée syrienne libre nous coupe souvent l'eau, nous devons appeler des camions citernes. Pour 1 000 litres, on paie 1 500 livres syriennes (15 000 livres libanaises). De l'eau potable est disponible dans les églises ou dans les mosquées.
Les après-midi où je traîne avec mes amis dans les cafés, nous ne sommes pas très rassurés, mais nous évitons les quartiers à risque en nous éloignant du centre. Nous avons tous peur, c'est un fait. Quand un obus tombe pas loin, nous prenons nos jambes à notre cou. Ça nous est arrivé plusieurs fois déjà lorsque nous étions dans un café.
Après cinq ans de guerre, on s'est habitués. Ma famille et moi n'avons jamais pensé à quitter le pays, parce qu'on ne retrouvera jamais la même qualité de vie ailleurs. Il y a la guerre, c'est vrai, mais nous sommes heureux et espérons de tout cœur que le pays redeviendra comme avant. Les trois quarts de mes amis ont quitté le pays. Mais ils ne sont pas heureux à l'étranger. Ils me disent combien ils aimeraient revenir à Alep, ne serait-ce que pour un jour. Et ceux qui sont restés sont perdus. Tout est flou devant nous. Nous avions la meilleure des vies avant. Il y a quelques années, j'habitais à Suleimaniyeh, mais c'était devenu trop dangereux, donc j'habite maintenant vers Azizieh, plus à l'ouest. Mais on n'est jamais sûrs de rien, car l'immeuble en face du mien a reçu un obus récemment.
Il est 21h30. Je suis coincée chez mon amie car je ne peux pas rentrer à la maison. Des obus sont lancés en ce moment même sur mon quartier.
Nous avons demandé à Nour de nous envoyer des images illustrant son quotidien.
"Voici le quartier de Ramousseh (Alep-Ouest), qui a été visé par des obus lancés par les +terroristes+", dit-elle en reprenant la terminologie du régime pour évoquer les rebelles. "C'est une zone industrielle. De nombreuses personnes sont mortes ici à cause des bombardements aléatoires. L'Armée syrienne libre (ASL) voulait en garder le contrôle, mais l'armée syrienne a pu le récupérer", poursuit-elle. Voici les écoles du quartier Midan (Alep-Ouest) qui ont été visées par des obus et ont subi de lourds dégâts", dit-elle encore. "On se procure de l'eau grâce aux citernes, c'est la seule solution car il n'y a plus l'eau courante dans le pays", conclut Nour.
"Je vous parle d'Alep", les précédents témoignages :
VIII- Anouar Chehada, anesthésiste à Alep-Est : « Mon petit garçon a très peur des bombardements »
VI – Ismaël Alabdallah, Casque blanc à Alep : Nous avons pu trouver à manger aujourd'hui
IV- Abou el-Abed, combattant rebelle : Ma mère n’a jamais accepté que j’aille combattre
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LA LIBRE EXPRESSION
13 h 04, le 26 octobre 2016